Pierre Falardeau Photo: André Tremblay, La Presse
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Daniel Lemay - Au restaurant Mont-Royal Hot-dog, où nous avons rendez-vous, un homme s'approche et lui tend la main. «M. Falardeau, vous avez changé mes plans pour l'été. Je voulais aller à Québec lancer des tomates aux Anglais, mais là, je vais faire d'autre chose... J'ai bien aimé votre position sur ce sujet. Excusez-moi de vous avoir dérangé...»
Pierre Falardeau sourit: «Tu m'as pas dérangé pantoute. Salut!»
Sur la question de la reconstitution de la bataille des plaines d'Abraham (1759), le polémiste avait exprimé sa «position» dans sa chronique hebdomadaire publiée dans ICI (le dernier numéro papier de l'hebdo de Quebecor a paru cette semaine mais on ignore si P.F. collaborera à l'édition web). En janvier, dans le style emporté dont il a fait sa marque, Falardeau se demandait, entre autres questions, si une reconstitution historique allait réunir Juifs et Allemands à Auschwitz...
Ce texte n'apparaît pas dans Rien n'est plus précieux que la liberté et l'indépendance - une citation de Ho Chi Minh - qui rassemble surtout les écrits de Pierre Falardeau publiés entre 1999 et 2006 dans le mensuel satirique Le Couac et dans Le Québécois, un bimestriel voué à «l'avènement du pays du Québec». Pierre Falardeau en est à son troisième «assemblage» de textes; en 1995, à l'invitation d'Alain Stanké, il avait publié La liberté n'est pas une marque de yogourt puis en 1999, chez VLB Éditeur où on aime aussi les titres longs, Les boeufs sont lents mais la terre est patiente.
«C'est ce qui me sort du cerveau depuis 40 ans», nous dira ce baby-boomer intégral (il est né en 1946) et diplômé en anthropologie de l'UdeM. Citant Indépendance (s)
de Pierre Vadeboncoeur (1972), Falardeau s'explique sur son thème récurrent, unique: «Ce qui me fascine, c'est la liberté, la liberté de création, la liberté de parole, la liberté politique, celle des peuples, de mon peuple et des autres peuples qui se font fourrer, comme les Noirs américains, les Palestiniens et les Basques...»
Tirer sur tout ce qui bouge
Dans ses écrits, systématiquement outrés et hargneux mais parfois drôles dans leur démesure, Falardeau répète son credo: «Les peuples qui vont survivre sont les peuples qui se donnent un État.» Ce faisant, le pamphlétaire et émule d'Olivar Asselin apporte des dimensions nouvelles à l'expression «traiter de tous les noms», tire sur tout ce qui bouge. Et même sur ce qui ne bouge plus: en 2002, dans Le Québécois, deux jours après la mort de Claude Ryan, il termine son texte sur l'ex-leader du clan du NON avec ces mots: «Salut, pourriture!»
«Je cours après, c'est sûr. Mais là, tout le monde m'a planté; j'étais tout seul en esti!» No shit, Sherlock! Mais n'avait-il pas, encore, «dépassé les bornes»? «Je me fais souvent accuser de dépasser les bornes mais, quand je regarde ça, je me dis: pourquoi ils ont mis une borne là, esti? L'autre bord, ça continue...»
Et Pierre Falardeau, le Lone Ranger à pied, continue de fesser sur ses têtes de Turc favorites: les journalistes de «Radio-Cadenas» et, surtout, ceux de La Presse - qui apparaît dans les trois quarts des textes du présent ouvrage: début de fixation? La liste ne s'arrête pas aux «journaleux» et aux politiciens: il faut ajouter les collègues cinéastes et la plupart des artistes: «Je les haïs parce qu'ils sont lâches...»
Et n'allez surtout pas lui parler de «conditions favorables» et de «nous inclusif»... Là, Pierre Falardeau se lève: «Nous qui? Nous quoi? Nous, tabarnak! Ceux qui veulent!» Et les autres? «Les autres, c'est des esti d'sales et j'vas leur casser la gueule!»
La question, évidente, est alors posée sur la démocratie... Après avoir évoqué «les grandes vertus de démocrassie» des commandites et du «Clarity Act», le réalisateur d'Octobre finit ça clair: «Il faut faire l'indépendance de façon démocratique parce que, pour l'instant, y'a pas d'autres moyens.»
«Ne plus perdre une journée»
Entre-temps Pierre Falardeau continue de varger, malgré «la situation bloquée», malgré le cancer qui le pousse à «ne plus perdre une journée».»J'ai toujours su que j'allais mourir; là, je suis sûr...» Il n'a pas vraiment peur, sauf peut-être de la souffrance... Ce qui le tue, par contre, c'est de ne plus pouvoir faire de film: «Pourquoi ils veulent pas que je travaille? J'ai quand même pas fait trop de marde...»
Le scénario sur lequel il travaille mettrait à l'écran des soldats québécois qui, pendant la Première Guerre mondiale, montent en première ligne relever une unité française composée de tirailleurs sénégalais... «Tous des gars qui se faisaient fourrer des deux bords. Mais ma productrice trouve ça trop politique...»
Pierre Falardeau entend donc s'attaquer à l'écriture d'un «vrai livre»: une adaptation québécoise de Les veines ouvertes de l'Amérique latine du journaliste uruguayen Eduardo Galeano; «Cinq siècles du pillage d'un continent», dit le sous-titre.
«Les Québécois refusent de regarder la réalité de leur histoire. C'est la faute de nos propres élites; on a stické sur Marguerite Bourgeoys et Maurice Richard...»
Pierre Falardeau, en historien, va aller «trop loin» encore, c'est écrit. Dépasser les bornes de l'Histoire nous fait-il entrer dans l'Éternité?
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Rien n'est plus précieux que la liberté et l'indépendance
Pierre Falardeau
VLB Éditeur, 264 pages, 24,95$
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