Québec, Catalogne et Écosse: des comparaisons boiteuses

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Texte publié dans Le Devoir du mardi 15 septembre 2009 sous le titre "Le Québec, la Catalogne et l'Écosse"
PHOTO: DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSSE

C'est avec étonnement que j'ai lu et entendu certains commentaires relatifs au documentaire [«Questions nationales»->21294] présenté récemment au Festival des films du Monde. Comparer le Québec avec la Catalogne et l'Écosse en mettant en évidence des aspects prétendument avantageux de la Catalogne et de l'Écosse par rapport au Québec est un exercice quelque peu périlleux.
Mon expérience dans le domaine du droit linguistique comparé me dicte la prudence à l'égard des comparaisons si l'on veut qu'elles soient instructives.
Les contextes linguistico-culturels de ces trois nations sont fort différents. Je me limiterai à en énumérer ici les aspects suivants: 1) Le mouvement nationaliste et séparatiste au Québec est profond et permanent, même s'il est temporairement et légèrement en veilleuse depuis quelque temps. Si le mouvement nationaliste est également profond en Catalogne et en Écosse, en revanche, le mouvement séparatiste est pratiquement inexistant en Catalogne et très minoritaire en Écosse; 2) Au Québec, plus du 80% de la population est francophone, dont la majorité parle le français seulement; le bilinguisme n'y est pas prédominant. En Catalogne, la majorité des Catalans sont bilingues (parlant le catalan et l'espagnol); le bilinguisme y est très fort. En Écosse, presque plus personne ne parle l'écossais, alors que presque tout le monde parle l'anglais. De ce point de vue, l'Écosse est un très mauvais exemple pour les théoriciens de l'équation langue = culture. Si les Écossais ont perdu leur langue, ils n'ont pas perdu pour autant leur culture; 3) Le Québec a beaucoup de pouvoirs au sein de la fédération canadienne. Cela lui a permis, entre autres, d'adopter la loi 101, qui est considérée de par le monde comme une loi à la fois exemplaire, remarquable et téméraire, et ce, sauf exception. La Catalogne et l'Écosse aimeraient bien avoir les mêmes pouvoirs que le Québec. Un exemple important de l'impact de la loi 101 nous a été fourni récemment dans un reportage de La Presse portant sur les inscriptions des élèves dans les écoles publiques francophones du Québec, primaires et secondaires. On y fait le constat que les élèves dits allophones, plus précisément ceux dont la «langue maternelle» n'est pas le français ni l'anglais, fréquentent désormais le réseau scolaire public francophone. C'est là une des grandes réussites de la loi 101.
Par ailleurs, dans la perspective d'une politique québécoise d'intégration, qui se veut rassembleuse, l'expression «personnes de langue maternelle autre que française» pour désigner les francophones qui ne sont pas «de souche» est tout à fait inappropriée, à moins qu'elle ne soit utilisée pour des raisons statistiques et sociologiques et, de toute façon, temporaires.
On oublie ainsi que ceux dont la «langue maternelle» n'est pas le français et qui fréquentent le réseau scolaire public francophone, sont ou déjà francophones ou le deviendront bientôt. Il faudrait mettre l'accent sur le fait que ces élèves seront tous des francophones au moment où ils sortiront de l'école secondaire, à moins que le terme de francophone n'ait un sens ethnique dans certains milieux nationalistes!
Au fait, Marie-France Bazzo, Pierre Curzi, Marco Micone et Ricardo (francisé avec un seul «c»!) Trogi sont-ils des allophones ou des francophones? Et leurs descendants éventuels seront-ils allophones ou francophones? Est-on allophone à tout jamais? Cela irait nettement à l'encontre de l'esprit et de la lettre de la Charte de la langue française. D'ailleurs, il n'est pas fait mention de «langue maternelle» dans le texte de la Charte. Y sont employés régulièrement les termes de «langue française» et de «francisation», alors que celui de «francophone» n'est utilisé qu'une seule fois dans le préambule. La Cour suprême du Canada, dans l'affaire Forget, du 1er septembre 1988, a statué que le concept de langue dans la loi 101 n'est pas limité à la langue maternelle, mais qu'il comprend aussi la langue d'usage et la langue de communication habituelle ([1988] 2 R.C.S. 100). Est donc francophone au Québec toute personne qui parle couramment le français.
Cela dit, même si la bataille du français n'est pas terminée au Québec, je crois qu'il serait plus judicieux et plus emballant de regarder le contexte linguistico-culturel du Québec de façon plus positive, surtout lorsqu'on fait certaines comparaisons.
***
Joseph-G. Turi
L'auteur est l'ancien directeur du Secrétariat et des services juridiques de la Commission de protection de la langue française (dont le mandat relève maintenant de l'Office québécois de la langue française). Il est actuellement le Secrétaire général de l'Académie internationale de droit linguistique.

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L'auteur est l'ancien directeur du Secrétariat et des services juridiques de la Commission de protection de la langue française (dont le mandat relève maintenant de l'Office québécois de la langue française). Il est actuellement le Secrétaire général de l'Académie internationale de droit linguistique.





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