Le langage non verbal du commissaire à l’éthique et à la déontologie, Jacques Saint-Laurent, en disait autant sur son état d’esprit que l’extrême prudence de ses propos : cet homme était manifestement conscient de marcher dans un champ de mines.
Il n’avait pas d’autre choix que de reconnaître le caractère « exceptionnel » de la situation dans laquelle se retrouve Pierre Karl Péladeau. Il faudrait être aveugle pour ne pas voir l’énorme problème que pose le contrôle qu’il exerce sur Québecor. Recommander aux membres de l’Assemblée nationale d’examiner la possibilité de modifier le code d’éthique en conséquence était la moindre des choses qu’il pouvait faire, mais aussi le plus loin où il pouvait aller.
En recommandant de préciser les règles relatives à la fiducie ou au mandat sans droit de regard, plus spécifiquement les instructions qui peuvent être données au fiduciaire, il semble se ranger à l’avis du jurisconsulte de l’Assemblée nationale, selon lequel une interdiction de vendre des actifs dénature le concept même de fiducie sans droit de regard, mais il ne l’a pas dit aussi explicitement. Son rôle est d’appliquer les règles du jeu, pas de les définir.
Il est clair que le gouvernement aurait préféré entreprendre différemment l’examen du cas de M. Péladeau. Aussi bien le Conseil de presse que le Centre d’études des médias de l’Université Laval ont cependant refusé de se laisser entraîner dans un débat qui, tout légitime qu’il soit, a nécessairement une forte connotation politique.
Soit, la loi faisait obligation au commissaire à l’éthique et à la déontologie de se présenter devant les parlementaires pour faire rapport sur la mise en oeuvre du code au cours de ses quatre premières années d’application, mais il n’en a pas moins été instrumentalisé.
Depuis son arrivée au pouvoir, il y a un an, le gouvernement Couillard semble s’être fait une spécialité d’utiliser à des fins partisanes les organismes qui relèvent de l’Assemblée nationale.
D’entrée de jeu, il a demandé au vérificateur général de se pencher sur les états financiers laissés par le gouvernement Marois, sachant très bien que ses conclusions allaient lui permettre de justifier une politique d’austérité qu’il s’était bien gardé d’annoncer durant la campagne électorale. Les résultats ont dépassé ses espérances.
Celui qui assurait l’intérim depuis le départ de Renaud Lachance pour la commission Charbonneau, Michel Samson, ne pouvait pas refuser ce mandat, mais cela lui a enlevé toute chance d’occuper le poste de façon permanente. Le PQ ne l’aurait pas toléré.
Encore en début de semaine, Radio-Canada révélait que la directrice générale du PLQ, Marie-Ève Ringuette, avait multiplié les démarches à la Commission de la représentation électorale, qui relève du Directeur général des élections, pour que les immigrants en attente de leur certificat de citoyenneté soient pris en compte dans les calculs qui mèneront au redécoupage de la carte électorale, ce qui avantagerait clairement les libéraux.
Malgré les rodomontades du ministre des Affaires municipales, Pierre Moreau, selon lequel M. Péladeau doit choisir entre son empire médiatique et sa carrière politique, il paraît douteux que le gouvernement soit réellement déterminé à modifier le code d’éthique contre la volonté de l’opposition officielle, même avec l’appui de la CAQ et de Québec solidaire. Cela irait à l’encontre de toutes les traditions parlementaires.
D’entrée de jeu, le premier ministre Couillard avait déclaré que le problème causé par la situation de M. Péladeau finirait par trouver une solution politique, ce qui semblait exclure une intervention législative. Donner l’impression de vouloir spolier M. Péladeau de son héritage risque en effet d’être contre-productif.
D’ailleurs, on peut se demander pourquoi les libéraux se priveraient du plaisir d’embarrasser le nouveau chef du PQ en lui remettant régulièrement sous le nez les agissements de ses entreprises. Mercredi, à l’Assemblée nationale, le ministre des Ressources naturelles, Pierre Arcand, qui n’est pourtant pas un foudre de guerre parlementaire, a stoppé net une charge à l’emporte-pièce de son vis-à-vis péquiste, Bernard Drainville, qui s’insurgeait contre les taux d’intérêt usuraires qu’Hydro-Québec impose à ses clients qui tardent à payer leur facture. Il lui a suffi de souligner que les taux pratiqués par Vidéotron sont encore plus élevés pour lui clouer le bec.
Ceux qui estiment que la situation de M. Péladeau constitue une menace pour la démocratie québécoise ont certainement le droit, sinon le devoir de le démontrer, mais il serait pour le moins paradoxal de compromettre à cette fin l’indépendance des institutions qu’on prétend défendre.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé