Un cégep bilingue en banlieue de Montréal à l’étude

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« Le réseau collégial français est en voie de minorisation dans l’île de Montréal. »


Un projet de cégep bilingue à Vaudreuil-Dorion, en banlieue de Montréal, soulève des inquiétudes pour la pérennité de l’enseignement supérieur en français. D’autres voix craignent que cette initiative affaiblisse les cégeps environnants au nom d’une « course à la clientèle » et d’une « marchandisation » de l’éducation collégiale.


Ce campus bilingue accueillerait environ 1000 étudiants, indiquent des documents obtenus par Le Devoir. Il est porté par deux cégeps francophones, Gérald-Godin et Valleyfield, ainsi que le cégep John-Abbott, un établissement anglophone de l’Ouest-de-l’Île. L’ouverture est souhaitée pour la rentrée scolaire de l’automne 2021.


  

Cette antenne collégiale répondrait à des besoins criants de formation dans cette région à la croissance démographique fulgurante — la plus forte au Québec —, souligne le cégep Gérald-Godin. Le nombre de jeunes de 15 à 19 ans doit augmenter de 17,3 % d’ici l’année 2026 dans la seule MRC de Vaudreuil-Dorion. Il y aura alors 10 720 jeunes de ce groupe d’âge.


« Le besoin pour de la formation collégiale à Vaudreuil-Dorion nous apparaît clair », dit Jonathan Gagné, porte-parole du cégep Gérald-Godin, établi dans l’ouest de Montréal. Le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES) a confirmé au Devoir que le projet est à l’étude.


Ce campus offrirait des programmes techniques et préuniversitaires en français et en anglais, mais aucun diplôme ne serait bilingue, explique Jonathan Gagné. Les élèves étudieraient uniquement en français ou uniquement en anglais. Onze programmes seraient en français et quatre en anglais, indique un document préparé par le cégep Gérald-Godin, que Le Devoir a obtenu.


L’appétit est grand pour des études collégiales en anglais dans la région de Vaudreuil-Dorion : 65 % des résidants sont bilingues, comparativement à 43 % au Québec. Et 12 % des habitants du territoire sont issus de l’immigration — dont la population est plus jeune et plus anglophone, souligne le document du cégep Gérald-Godin.


L’attrait de l’anglais


Le chercheur indépendant Frédéric Lacroix s’inquiète de cette volonté d’élargir l’accès aux études collégiales en anglais « dans une région qui s’anglicise et où le français est en recul accéléré ». Le poids des francophones a diminué de 10 points (de 76 % à 66 %) dans la zone de recensement de Vaudreuil-Soulanges entre les années 2001 et 2016, note le chercheur. La part des anglophones a augmenté de 3 points (de 20 % à 23 %), et celle des allophones de 7 points (de 3,6 % à 10,7 %), durant la même période.


« Après l’approbation de nouveaux DEC bilingues en décembre 2019 par le MEES, l’approbation éventuelle d’un nouveau cégep public bilingue constituera, s’il se produit, également un triste précédent », indique Frédéric Lacroix dans une analyse qu’il a fait parvenir au Devoir et à L’aut’journal.



Le réseau collégial français est en voie de minorisation dans l’île de Montréal. Ce n'est pas rien!




 

Pour cet observateur des questions linguistiques, il est clair que les cégeps anglophones de la grande région de Montréal ont nettement plus d’attrait — même pour les francophones — que les cégeps francophones. Le Cégep John-Abbott, situé à tout juste 12 kilomètres du projet de campus bilingue de Vaudreuil-Dorion, a connu une hausse spectaculaire de plus de 1000 étudiants depuis 10 ans, tandis que l’effectif stagne dans les deux partenaires francophones du projet. John-Abbott compte à lui seul presque deux fois plus d’étudiants que les deux autres cégeps (Gérald-Godin et Valleyfield) mis ensemble.


Les cégeps anglophones accaparent 47 % des étudiants inscrits dans un programme préuniversitaire dans l’île de Montréal, souligne Frédéric Lacroix. Si la tendance se maintient, il estime que cette proportion dépassera 50 % autour de 2021-2022.


« Le réseau collégial français est en voie de minorisation dans l’île de Montréal. Ce n’est pas rien ! Les études supérieures sont une des principales causes, sinon la principale cause, de l’anglicisation de la région métropolitaine », souligne Maxime Laporte, président du Mouvement Québec français (MQF).


Le MQF réclame l’élargissement de la loi 101 au collégial pour obliger les francophones et les nouveaux arrivants à se scolariser en français, comme c’est le cas au primaire et au secondaire. Le Parti québécois a déjà envisagé d’inclure cette mesure dans son programme, mais y a renoncé au nom du libre choix des adultes à étudier dans la langue de leur choix. Aucun parti représenté à l’Assemblée nationale ne prône l’application de la loi 101 au collégial.


Les francophones et les allophones sont pourtant majoritaires dans les cégeps anglais — les anglophones ne représentent que 41,5 % de l’effectif du réseau collégial anglais, souligne le MQF. « Sans cette mesure [la loi 101 au collégial], l’avenir du français à Montréal ne peut être garanti », estime Maxime Laporte.


Un besoin à démontrer


La Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ, affiliée à la CSN), le plus important syndicat de professeurs de cégeps, s’inquiète aussi du projet de campus bilingue à Vaudreuil-Dorion. La croissance démographique du secteur est due en bonne partie à l’immigration. Or, les allophones ont tendance à se tourner vers les études supérieures en anglais, souligne Yves de Repentigny, vice-président de la FNEEQ.


« Le risque de transfert linguistique vers l’anglais est préoccupant », dit-il.


Le syndicat s’interroge d’abord et avant tout sur la pertinence d’offrir un nouveau campus dans une région déjà desservie par trois cégeps (les trois qui souhaitent créer cette antenne bilingue). La FNEEQ a appuyé la création de tels « centres d’études collégiales » dans des régions éloignées des grands centres, mais la preuve reste à faire que Vaudreuil-Dorion a besoin d’un campus collégial.


« On ne s’oppose pas quand ça répond à des besoins. C’est important de rendre les études collégiales accessibles en région, mais on dit au ministère : « Montrez-nous que les cégeps environnants ne sont pas capables de répondre à la demande »», dit Yves de Repentigny.


« Si on fait juste déplacer des étudiants d’un campus à l’autre, on devrait plutôt investir dans les services pédagogiques », ajoute-t-il.


Selon nos informations, le coût de construction du campus de Vaudreuil-Dorion est évalué à 15,2 millions de dollars. La location de locaux coûterait 1,8 million de dollars par année. Les syndicats dénoncent depuis longtemps cette tendance à construire des antennes régionales de cégeps ou d’universités pour attirer toujours plus de « clients » — les établissements sont financés en bonne partie en fonction du nombre d’étudiants.


Ces satellites régionaux sont souvent établis dans des bâtiments anonymes, dépourvus de vie étudiante ou d’installations sportives, déplore la FNEEQ. Cafétérias trop petites, nombre insuffisant de photocopieurs ou de fours à micro-ondes : « On veut s’assurer que l’environnement de travail des profs et des étudiants est adéquat », dit Yves de Repentigny.


Le campus de Vaudreuil-Dorion, en tout cas, est planifié avec des « installations complètes, incluant un partage potentiel d’infrastructures avec des partenaires » : salles de classe, laboratoires, locaux étudiants, bureaux administratifs, bibliothèque, centre sportif et espaces verts, indique un document obtenu par Le Devoir. Le budget de fonctionnement serait d’environ 6 millions de dollars.




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