C'est peut-être Philippe Destatte qui s'exprime le plus (1). Il pourfend plusieurs idées reçues. D'abord, comme je l'ai souvent rappelé ici, jamais les Wallons n'ont dominé la Belgique, ni politiquement, ni démographiquement.
Quelques idées reçues bonnes à trucider
Il faut admettre que les Flamands sont plus souvent bilingues que les Wallons. Mais ce n'est pas que les Wallons auraient désiré une Wallonie unilingue alors que les Flamands auraient voulu une Flandre bilingue. Cette idée absurde traîne dans certaines têtes politiques, même au plus haut niveau. Destatte fait remarquer qu'avant que la Belgique ne se divise en trois régions linguistiques en 1932, la Flandre, qui avait une université bilingue à Gand, en a supprimé la section française, ce qui n'est pas se montrer fanatique du bilinguisme. Il relie cela d'ailleurs à une situation qui, en fait - et contrairement à une autre idée reçue - , existait bien avant que la Belgique ne devienne un Etat en 1830. Et il cite à cet égard les remarques d'un adjoint au Préfet de Liège sous la période française de 1795 à 1815 parlant de deux nations (2), ou encore la belle leçon d'un historien wallon donnée en 1833, soit au lendemain de l'indépendance du pays et où l'historien constate que la Belgique est vraiment coupée en deux populations (les Wallons et les Flamands). C'est étrange que cette donnée évidente ait tellement de mal à s'imposer, alors qu'elle demeure, mutatis mutandis. Mais il est vrai que la propagande unitariste a sans cesse tenté de montrer que la division de la Belgique en deux régions linguistiques était artificielle, néfaste, «nationaliste». C'est faux. Pour ceux qui se retrouvent un peu dans les localités belges, il est aisé de voir la parfaite bonne foi de Louis Dewez en 1833, historien enthousiaste de la création de la Belgique. L'ancienneté d'un phénomène ne le justifie pas nécessairement, mais les choses étant ce qu'elles sont, on peut estimer qu'il est logique et même démocratique que la Belgique qui a voulu nier cette différence échoue, tant côté wallon que flamand.
Le problème belge n'est pas linguistique
D'ailleurs, la question n'est pas que linguistique. Avec la révolution industrielle, déjà préparée de longue date en Wallonie (sorte de miracle géologique: charbon, plomb, fer, cuivre, zinc ... comme dans toutes les régions au bas de montagnes anciennes, ici, l'Ardenne). De sorte que lorsque l'Etat belge se crée, la Wallonie est la deuxième puissance économique au monde en termes relatifs, mais parfois aussi absolus (notamment la houille certaines années, mot d'origine wallonne d'ailleurs). La Flandre à la fois très urbanisée et demeurée rurale, agricole, échappe à la déchristianisation qu'engendre l'industrialisation en Wallonie. Elle se regroupe autour d'un parti catholique assez réactionnaire. Or, grâce à la grande grève générale de 1893, les ouvriers wallons imposent au pays le suffrage universel. Mais la conséquence en est que la Flandre renforce encore son poids politique issu de son poids démographique. Et aussi son adhésion à un catholicisme très conservateur. Alors que la Wallonie donne une majorité relative aux socialistes et en tout cas absolue aux deux partis laïques (les socialistes et les libéraux, sans compter le fait que les catholiques en Wallonie sont plus «laïcisés»). C'est cela la grande contradiction qui se sent encore aujourd'hui (sous d'autres formes). Dans les années qui précèdent la Grande guerre, la Wallonie se rebiffe à l'idée qu'elle va être gouvernée ad vitam aeternam par un parti catholique majoritaire pour tout le pays et qui bloque par conséquent tout accès de la majorité politique en Wallonie aux responsabilités gouvernementale belges. Ce problème se relancera dans l'entre-deux-guerres dans le domaine délicat de la politique étrangère. Pour celle-ci - conséquence de la Première guerre mondiale - , les Wallons veulent demeurer fidèle à l'alliance avec la France démocratique, les Flamands voulant détruire cette alliance (l'influence française étant menaçante pour le devenir de leur langue). La politique de neutralité adoptée comme une sorte de synthèse en 1936 (à l'instigation du roi), est un échec grave. L'Allemagne envahit une seconde fois brutalement la Belgique le 10 mai 1940, le roi Léopold III s'accommode de leur présence. Après la guerre son maintien sur le trône va diviser à nouveau le pays (en deux, c'est toujours ainsi), durablement. Sur cette division viennent se greffer en 1960-1961 à la fois (et étrangement), tant le dynamisme socialiste de la Wallonie qui veut renforcer le contrôle public sur l'économie, que son angoisse face à ses premières difficultés (dynamisme et déclin se mélangent). C'est une nouvelle et profonde division qui, elle aussi, va durer. Jusque dans la manière de concevoir le fédéralisme.
La NVA représente la nouvelle Flandre
Le livre de Destatte et Beyen montre bien que le blocage actuel était quasiment inévitable même s'il n'est pas insurmontable. L'un des grands changements que souligne l'auteur flamand du livre, Marnix Beyen, c'est le fait que le parti flamand (la NVA nationaliste), qui a la majorité relative en Flandre depuis juin 2010, ne l' y a pas de manière accidentelle. Aux yeux de cet historien indépendant, la NVA représente tant la Flandre rurale, se confiant jadis aux catholiques, que la Flandre moderne. La NVA joue pour les Flamands le rôle autrefois joué par les catholiques ou aujourd'hui les démocrates-chrétiens (CD&V en perte de vitesse, mais qui ont une aile gauche, ce que la NVA n'a pas). Ceci confirme des analyses qu'une collaboratrice de TOUDI avait déjà faite et qui conclut à la possible disparition de ce parti démocrate-chrétien (le CD&V), jouant à la fois la carte belge (du fait de la majorité flamande) et la carte flamande (en raison de la population auquel ce parti s'adresse). Il semblerait donc que les compromis belges depuis près d'un siècle soient devenus impossibles. Mais cela ne tient pas à je ne sais quelle incapacité des politiciens belges à s'arranger. Cela tient au fait que le jeu a changé, ce qui d'ailleurs, redonne du poids et redonne de la force, côté wallon, à la défense de la Wallonie non comme parlant une langue, mais à la Wallonie de ses intérêts régionaux et de sa mentalité politique, chose qui s'allie à un sentiment identique dans la région de Bruxelles.
Qui est Philippe Destatte?
Philippe Destatte est un historien de 57 ans qui s'est longuement formé à la prospective, notamment aux USA. Il dirige l'Institut Jules Destrée , centre d'études indépendant, travaillant pour l'Europe et la Wallonie. Lui-même enseigne à l'université tant en Wallonie qu'en France. Considéré comme proche du PS en Wallonie, il en est indépendant. Il incarne d'ailleurs, face à ce parti, une ligne qui n'est pas une ligne de défense francophone et antiflamande, mais beaucoup plus wallonne, disposée à comprendre les réquisits acceptables de la Flandre, à jouer même le jeu éventuellement d'une Wallonie qui ne pourrait plus compter que sur elle-même (tout en espérant que cela ne se fasse pas trop vite), et très ouverte à Bruxelles de même qu'à la Communauté germanophone en Wallonie établie sur une partie du territoire wallon. Ce qu'il met en avant, cependant, ce n'est pas un poids politique, ce sont des constats clairs, non embrumés par les théories inventées dans les années 70 par des intellectuels bruxellois attachés à la Belgique sous le nom de belgitude. Et qui ne font que noyer le poisson à la manière du trudeauisme au Canada (un trudeauisme valant ici non pour la majorité comme au Canada mais pour la minorité, ce qui est atterrant). C'est la raison pour laquelle ce livre en vaut la peine. Ecrit à deux mains, l'une wallonne et l'autre flamande, il rappelle de simples réalités, que les Wallons, en particulier, ont parfois voulu oublier, mais qui sont à la base d'un renouveau possible pour tout le monde en Belgique, c'est-à-dire non pas les Belges, mais les Flamands, les Wallons, les Bruxellois et les germanophones. Tout qui veut comprendre comment ces quatre sociétés s'en sortiront doit lire ce livre qui est vite lu, mais doit sans cesse être lu et relu. Un autre de ses intérêts, non le moindre, c'est l'analyse que fait Destatte du poids des partis politiques du fait du fédéralisme. Partis implantés dans une seule communauté (soit Bruxelles et la Wallonie, côté francophone, soit Bruxelles et la Flandre, côté flamand, mais cela vaut surtout pour les Wallons et les Bruxellois francophones), ils continuent à jouer les jeux politiques non seulement de Bruxelles et de la Wallonie, mais aussi le jeu politique belge. Dégagés alors, de ce fait, des responsabilités politiques directes en ces trois scènes politiques, ils en tirent les ficelles, sans s'exposer, pour le plus grand mal de la démocratie. Les présidents de partis, en effet, le plus souvent sans assumer de responsabilités gouvernementales directes, décident de tout: les ministres à nommer, leurs adjoints, les politiques à mener et même les parlementaires élus sur des listes qu'ils ont le loisir de fabriquer pour que leurs préférés triomphent. Il est d'ailleurs intéressant de constater que Destatte, au lieu de s'engager en politique, a préféré garder son indépendance intellectuelle, contrairement à un Paul Magnette par exemple. C'est de celles-ci que l'on a le plus besoin en temps de crise. Je dis « celles-ci», visant par là tant l'intelligence que l'indépendance qui sont liées et dont les peuples ont encore plus besoin que de pain.
(1) Destatte et Beyen, La Belgique va-t-elle disparaître, Editions de l'Aube, La Tour d'Aigues (France), 20211,80 pages, 8 €
(2) En 1806, 24 avant avant que la Belgique n'existe et lorsqu'elle faisait partie de la France, période qui dura de 1795 à 1815, après bien d'autres dominations étrangères, plus ou moins lâches d'ailleurs, plus longues, et qui précède la réunion à la Hollande qui sera plus brève encore que la période française: de 1815 à 1830.
Un avis éclairant sur la crise belge
Chronique de José Fontaine
José Fontaine355 articles
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur...
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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.
Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...
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1 commentaire
Archives de Vigile Répondre
24 avril 2011Pâques est un très bon jour pour entendre les conneries émises par le cloches.
En général les jours de fêtes religieuses sont propices aux déclarations intempestives mais celle de machin Léonard de ce jour est quand même gigantesquement déplacée.
On attendait quelque chose à propos de la toxicité des comportements éclésiastiques et voilà qu'il tente de se refaire une virginité en parlant de l'oeuvre salutaire de sa secte dans l'unité de la Belgique.
Ce sont les curetons et vicaires cathos-fachos flamingants qui " en chaire de vérité" ont systématiquement évoqués la "franse pervertie" et endoctrinés les "braves flamands" à haïr tous ce qui est francophone !!
Souvenez-vous de la citation de Jacques Brel à propos des flamingants " nazis pendant les guerres et catholiques entre elles "
http://www.facebook.com/l.php?u=http%3A%2F%2Fwww.democratie-belgique.info%2F2011%2F04%2Fpaques-est-un-tres-bon-jour-pour.html%3Fspref%3Dfb&h=f402a