Alors que le président des États-Unis a soulevé un hypocrite tollé enreconnaissant la réalité de Jérusalem comme capitale d’Israël, et que l’ONU annonçait le 17 décembre 2017 examiner – à la demande de l’Égypte – la possibilité d’une résolution contre cette reconnaissance, comment la crédibilité des États-Unis en matière de politique étrangère est-elle perçue à l’issue de cette première année de pouvoir de Donald Trump ?
Les États-Unis ne cessent de perdre leur crédibilité en matière de politique étrangère. C’est ce qu’écrit, dans un article de la revue Foreign Affairs, l’universitaire de Princeton Keren Yarhi-Milo, dont l’essai à paraître mi-2018 est attendu1. Selon elle, ce fut déjà le cas avec Obama. Et cela s’accentuerait avec Trump : « Trump suffers from a credibility gap » (« Trump souffre d’un déficit de crédibilité »), écrit-elle. Pour des raisons psychologiques. L’usage veut, dans les milieux opposés à Trump, aux États-Unis comme en Europe, de lui accorder un cerveau plus proche de celui de Stallone dans Rambo que de celui d’un « sage » néo-new âge/new-yorkais nourri au quinoa, au cannabis et aux algues bio depuis sa plus tendre enfance. La côte Est des États-Unis et Paris ne parviennent toujours pas à accepter la victoire d’un Trump.
Bras de fer avec Pyongyang
Yarhi-Milo soutient à juste titre qu’il n’est pas de politique étrangère sans crédibilité. Un État doit être crédible pour mener une politique servant ses intérêts propres, point focal de toute politique étrangère. Leçon de Carl Schmitt. La crédibilité, c’est là que le bât blesserait : comment une menace d’usage de la force peut-elle être efficace si le président des États-Unis a perdu toute crédibilité ? Bombardant la Syrie, réengageant des troupes en Afghanistan ou augmentant la pression sur la Corée du Nord, le président Trump aurait la réputation d’un chef d’État trop enclin à user de la force. Pourtant, le 15 décembre 2017, après avoir souligné que « les États-Unis auront recours à toutes les mesures nécessaires pour se défendre en cas d’agression nord-coréenne », y compris la force donc, le secrétaire d’État américain Rex Tillerson soulignait que la diplomatie reste privilégiée et qu’une Corée du Nord cessant « son comportement menaçant » pouvait être conviée à discuter. Ajoutant : « Nous ne voulons pas la guerre ». Depuis novembre, les éditorialistes s’agitent au son d’un Trump va-t-en-guerre… Pourtant, la tension entre les deux nations est banale : rien de neuf sous le soleil.
Convergence Washington-Moscou
Si ce n’est que Trump et Poutine ont évoqué la Corée du Nord lors de leur conversation du jeudi 14 décembre 2017. Ils se sont aussi mutuellement complimentés sur divers sujets. Un Trump et un Poutine agissant de concert afin de résoudre des crises ? Comment la Côte Est des éditorialistes pourrait-elle ne pas s’étrangler ? Donald Trump, loin d’être ce Docteur Folamour décrit ici et là, et en particulier à Paris, semble en passe de réussir là où les États-Unis échouent depuis des lustres. C’est pourquoi il a pu reconnaître en Jérusalem la capitale d’Israël, reconnaissance votée au Congrès des États-Unis il y a plus de vingt ans, et que ses prédécesseurs avaient promis sans jamais agir. Que Trump le fasse montre son degré de confiance. La position conservatrice privilégiant la nécessaire résolution pacifique des tensions avec la Corée du Nord a d’ailleurs été récemment rappelée dans The American Conservative par un spécialiste, Harry J. Kazianis, intellectuel influent de The National Interest : toutes les solutions menant à la guerre sont le pire pour les États-Unis car cela ouvrirait la « boîte de Pandore nucléaire ». Un conflit local se transformant par capillarité en conflit nucléaire mondial.
Trump, danger public ?
C’est une inquiétude qui parcourt une partie des médias, magazines et plateaux de télévision américains. Les mots, tweets et atermoiements de Donald Trump en matière de politique étrangère rendraient incohérente la politique américaine, si bien qu’elle peut sembler dangereuse. Le président est ainsi passé, au sujet de Kim Jong-un, de « smart cookie » à « Little Rocket Man » puis à « totally destroy ». Pour Keren Yarhi-Milo, les données psychologiques jouent toujours un rôle dans les décisions politiques. Cet aspect serait accentué par les revirements de Trump, semblant changer de politique entre deux tweets. Et même entre deux « mensonges ». D’où la prégnance de la question de la crédibilité : qui accorderait du crédit à une politique menée par un « menteur » ? Ainsi, le New York Times publiait mi-décembre 2017 une liste des « mensonges » prononcés en public par Trump depuis son élection, une volonté de nuire de la part d’un quotidien indécemment pro-Clinton. Il est exact cependant que Trump ne mâche pas ses outrances. Yarhi-Milo explique aussi que Trump « veut être pris au mot » mais qu’il est difficile de le suivre tant les axes de sa politique étrangère seraient changeants. L’idée générale est la suivante : la psychologie de Trump serait trop instable pour que les États-Unis retrouvent une politique étrangère crédible, ce qui mettrait le pays en danger. Trump, danger public, est-ce si simple ? Certainly, not. La politique des tweets de Trump n’est pas destinée à l’international mais à l’opinion publique américaine. Par contre, la nomination du professeur de l’université de Georgetown et spécialiste respecté de la péninsule coréenne, Victor Cha, le 11 décembre, comme ambassadeur à Séoul, est un fait véritablement crucial.
La Corée du Nord, voilà l’ennemi
Le 15 décembre 2017, James M. Lindsay, dont les analyses paraissant sur son blog The Water’s Edge sont fortement relayées outre Atlantique, publiait un article commençant ainsi : « 2017 is a year to remember in global affairs » (« 2017 est une année marquante dans les relations internationales »). Le monde a en effet connu une année animée. Il convient de penser le « America first » du président américain dans ce cadre. Pas au sens xénophobe où les rédactions parisiennes font mine de l’enfermer mais à celui de la realpolitik : les gouvernements servent les intérêts de leur pays. Le reste ? Fariboles. Trump applique ce sain principe à la politique étrangère américaine. Une année animée ? Que l’on en juge : Mugabe a quitté le pouvoir, il y a eu les suites du Brexit, l’économie mondiale libérale est repartie à la hausse, un prince saoudien annonce des réformes qui pourraient changer bien des choses, le réchauffement climatique est toujours au cœur des débats – même si ces derniers sont compliqués -, les présidents chinois et américains se parlent, tout comme les présidents russes et américains, l’État islamique a été vaincu sur le théâtre des opérations, sur fond d’attentats…
Sur un plan plus spécifiquement américain, Trump travaille à contenir ce qui est la véritable crainte des analystes : le recul supposé du leadership international des États-Unis. De ce recul ancien, Donald Trump n’est pas comptable. Et si les dingos n’étaient pas ceux que l’on croit ? Trump n’est pas un danger pesant sur l’Amérique, il en est le président. Il n’est pas plus un danger pesant sur le monde. S’il faut cerner un ennemi, la Corée du Nord fait un très bon candidat. Quand on dispose d’un Kim Jong-un, il est surprenant pour certains commentateurs français de se chercher un ennemi dans le camp de ses propres alliés, en la personne de Trump. S’il est un Etat dingo qui menace le monde, l’Europe, les États-Unis, le Japon, la Corée du Sud et nos modes de vie, le régime de Pyongyang paraît taillé pour le rôle.
Kim Jong-un devrait inquiéter davantage
Ainsi, au lieu de tomber à bras raccourcis sur un Trump concrétisant la réalité de Jérusalem comme capitale d’Israël, nos commentateurs ne devraient-ils pas plutôt s’inquiéter d’un Kim Jong-un déclarant que la ville sainte ne saurait être capitale d’un État puisque Israël n’existerait pas ? Au fond, ce dont serait avant tout « coupable » l’actuel président des États-Unis n’est pas d’être instable, argument rhétorique destiné à l’opinion publique. C’est d’avoir une vision du monde autre que celle de ses adversaires politiques. De fonctionner selon d’autres critères que ceux des politiciens qui ont conduit le monde là où il est. Ce qui est reproché à l’accusé Donald Trump ? D’être Donald Trump, autrement dit de ne pas être Hillary Clinton. Et si cela, ne pas être Madame Clinton, s’avérait être une sacrée qualité ? Et si le monde en train de naître de la politique étrangère de Donald Trump s’avérait être sous peu un monde meilleur ? Une question qui déplaira à Paris comme à Manhattan.