Dans la célèbre trilogie de Pagnol, César dit à son fils Marius: «L'honneur, c'est comme les allumettes; ça ne sert qu'une fois!» Il y a treize ans, le 14 décembre de l'année 2000, l'Assemblée nationale votait à l'unanimité une motion de blâme contre Yves Michaud, l'accusant d'antisémitisme, sans que ce dernier puisse être entendu et sans que la majorité des députés, toutes formations confondues, ait pris la peine de lire le texte soi-disant incriminant. Cent neuf députés se sont levés, tels des automates, pour condamner un homme qui n'avait pas été autorisé à se défendre, au mépris du fameux principe: Audi alteram partem. Une attitude que le journaliste du Devoir, Michel David, a déjà qualifiée de révoltante. Il s'agit d'un cas unique et sans précédent dans l'histoire du parlementarisme des démocraties modernes. Parmi la députation péquiste actuelle, seuls deux députés, Nicole Léger et Stéphane Bédard, ne se sont pas excusés d'avoir voté cette motion de blâme qui, plus est, n'était même pas inscrite au feuilleton. Et seul Québec solidaire a tenté de présenter une motion visant à reconnaître l'erreur de l'Assemblée nationale, motion rejetée, faut-il le préciser. À qui voulait-on faire la peau? Au libre-penseur et militant indépendantiste de longue date? Ou au Robin des banques qui venait de remporter une victoire historique contre l'establishment bancaire, avec le jugement de la juge Pierrette Rayle, rendu trois ans plus tôt et qui surprit tout le monde? Faudrait-il faire appel à Sherlock Holmes pour découvrir, sous l'énormité des faux-fuyants, les vraies raisons de cette mise à mort? L'«Affaire Michaud», qui a fait l'objet d'un ouvrage extrêmement bien documenté et rigoureux de l'historien Gaston Deschênes, ne sera close que lorsque l'Assemblée nationale retrouvera son autorité morale en reconnaissant qu'elle a erré gravement en condamnant à la va-vite, sans nuance et sans débat, des propos dont pas un seul député n'a pris la peine de lire et sans même s'enquérir de leur nature exacte. Cette exécution politique constitue un abus de pouvoir sans précédent dans l'histoire de notre démocratie parlementaire et porte atteinte à la loi suprême de l'État québécois, aux droits fondamentaux de toute personne «à la liberté d'opinion, la liberté d'expression, au droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation». (Articles 3 et 4 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec) À la suite de ce véritable derby de démolition politique, nombreux sont ceux qui en ont profité pour salir la réputation d'Yves Michaud et s'acharner sur lui de façon odieuse. Des journalistes de peu de culture, des professeurs d'université drapés dans leur parti pris mesquin comme Marc Angenot, des chroniqueurs fielleux comme Robert Lévesque. Questionné à ce sujet par l'ancien ministre péquiste Denis Vaugeois, au terme d'un repas dans un restaurant du Vieux-Montréal, Lucien Bouchard a affirmé qu'il n'était pas encore prêt à s'expliquer mais il a tenu à lui rappeler le contexte, alors qu'il vivait une situation familiale difficile et que sa femme, Audrey Best, dont il allait se séparer quelque temps plus tard, revendiquait sa judéité et supportait difficilement le rythme de vie qu'imposait son statut de première femme du Québec. Alors que j'écrivais la biographie d'Yves Michaud, j'ai moi-même contacté l'ex-premier ministre du Québec Lucien Bouchard pour lui demander s'il acceptait de me rencontrer afin qu'il s'explique, avec le recul du temps, sur cette motion qu'il a pilotée avec Jean Charest, alors chef de l'opposition. Il m'a répondu qu'il ne souhaitait pas, «à tout le moins pour le moment», revenir sur cette affaire et qu'il préférait s'en remettre au verdict de l'Histoire, «à supposer qu'elle prenne intérêt à cet épisode». Réponse d'autant plus décevante que l'ex-premier ministre semble réduire cette mise à mort à un simple «épisode» sans véritable conséquence. Aujourd'hui, à la veille de célébrer ses 84 ans, Yves Michaud est un homme blessé et il ne voit pas le jour où cette motion scélérate sera enfin rescindée. Il est bon de souligner qu'en 1960, 15 ans après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, Yves Michaud, au terme d'un stage d'étude en France, a tenu à visiter le camp de concentration de Dachau pour s'imprégner de toute l'horreur nazie. À cette époque, une telle visite n'avait rien de glamour et bien peu de Québécois, peut-être un seul, René Lévesque comme correspondant de guerre, avaient pénétré au cœur de l'horreur fasciste encore imprégnée du sang des victimes. Si Yves Michaud avait été antisémite, croyez-vous qu'il aurait effectué un détour par Dachau, «lieu dont le seul nom évoque une tache sanglante dans l'histoire de l'humanité», comme il l'écrira dans un article publié dans Le Clairon, le 5 février 1960?
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