Trop de «gouvernance», Messieurs Desmarais?

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La grogne s'installe

André et Paul Desmarais sont partis en guerre contre une proposition du Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MEDAC) qui suggérait de tenir un vote consultatif sur la rémunération des dirigeants d’entreprises cotées en Bourse.

C’est une charge à fond de train qu’ils mènent, invoquant la trop grande complexité du sujet qui doit être réglé, selon eux, par un comité du conseil d’administration et non par les actionnaires qui n’y comprennent rien. C’est pourtant les actionnaires qui sont les véritables propriétaires de l’entreprise. C’est le même genre d’argumentaire utilisé à l’époque pour s’opposer même à la seule divulgation de la rémunération des dirigeants. On y ajoutait l’idée de compétition pour garder ce « secret d’État ». Heureusement, le mouvement pour la divulgation qui est venu des États-Unis a été suivi par le Canada, rendant celle-ci obligatoire. Quant au vote sur la rémunération, il ne s’agirait que d’un vote consultatif, qui bien que non exécutoire ajouterait « une petite gêne » et pourrait prévenir certaines dérives. Le problème avec la gouvernance des entreprises est bien plus profond et provient de la nature même des conseils d’administration et des deux classes d’actions.

La première classe d’actions jouit d’un vote seulement et est vendue au public investisseur pour amasser les fonds nécessaires à la croissance de l’entreprise, et la deuxième donne généralement droit à 10 votes, et est gardée par les fondateurs et les dirigeants qui veulent bien des fonds, mais ne veulent pas se départir du contrôle de la compagnie et du conseil d’administration.

Ce système, inéquitable à sa face même, disparaîtra à brève échéance puisqu’il existe un mouvement mondial pour y mettre fin. Encore une fois, à cause de nos nombreuses compagnies négociées également dans les Bourses américaines, le Canada devra éventuellement harmoniser ses pratiques avec celles de nos voisins du Sud.

Avantages cachés

Bien sûr, à la défense du système, on nous sert des arguments tels les besoins en capitaux et la flexibilité pour agir rapidement dans certaines situations. On ne mentionne jamais la plus grande facilité de négocier des conditions particulièrement avantageuses pour les dirigeants en cas de vente ou de prise de contrôle hostile. Même les Boers ont compris qu’une personne, un vote serait dorénavant la règle en Afrique du Sud.

Les conseils d’administration, dans leur forme actuelle, sont des clubs d’amis à la solde des dirigeants. C’est le p.-d.g. qui invite les individus à venir siéger à son CA, leur garantissant l’élection par les actionnaires ; bien sûr, puisqu’il contrôle les votes. Leur rémunération est d’environ 100 000 $ pour quelque 12 jours de travail par année. Dans ces conditions, ils sont évidemment à la solde du p.-d.g., sinon dans la réalité, du moins dans les apparences. Bien plus, après quelques années ils deviennent des copains, pour ne pas dire des complices. Il ne faut donc pas se surprendre des recommandations de salaires faramineux en faveur des dirigeants. À sa dernière année à la tête de la Financière Power il y a quelques années, Robert Gratton a reçu 40 millions de dollars, ce qui incluait cependant les profits de la vente d’options. Cette même année, Laurent Beaudoin de Bombardier et John Roth de Nortel (qui allait faire faillite peu après) ont chacun empoché 40 millions. Tout ça dûment recommandé par le Comité de rémunération et approuvé par le CA. C’était mon club des 40 millions.

Je comprends l’utilité des CA pour épauler les dirigeants dans les grandes orientations des entreprises, mais je pense que leur fonctionnement devrait être amélioré. C’est dans l’ordre que le p.-d.g. puisse choisir des individus qui ont une feuille de route enviable dans les affaires et avec qui il puisse se sentir à l’aise dans les décisions importantes qui seront portées à leur attention.

Nonobstant le fait qu’il doive y avoir une certaine continuité dans ce groupe décisionnaire, ne devrait-on pas fixer la retraite de ses membres en fonction de la durée du mandat (disons six ou huit ans) plutôt que de l’âge de l’individu, généralement 70 ans ? Ou encore, ne pourrait-on pas par exemple imiter le Sénat américain et remplacer le tiers ou le quart des membres chaque année ? L’effort additionnel demandé au comité exécutif pour expliquer la problématique des sujets abordés au CA serait amplement compensé par la qualité de la décision prise avec une plus grande indépendance. Un mandat plus court aurait tendance à diminuer l’effet de copinage si néfaste dans la gouvernance. Je suis conscient que mon intervention dans le débat ne me vaudra pas une invitation à Sagard, mais j’en fais mon deuil.


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