Traitement royal pour Victor-Lévy Beaulieu en France
Louis-Bernard Robitaille, collaboration spéciale (Paris) Cela fait partie des coups de fantaisie - ou de poker - qu'on se permet de temps à autre dans l'édition parisienne. L'un des éditeurs de la maison Grasset, en l'occurrence le jeune et célèbre Charles Dantzig, jette son dévolu sur Victor-Lévy Beaulieu, dont il avait apprécié le livre sur James Joyce. Et décide de publier Bibi, énorme pavé autobiographique de 620 pages grand format. La sortie d'un tel ovni littéraire, bourré de québécismes et de néologismes, relevait déjà du pari: ou cela rebute critiques et libraires, ou bien cela crée l'événement. En tout cas, cela ne passe pas inaperçu.
Par-dessus le marché, comme cela se pratique dans les casinos, Grasset a décidé de doubler la mise: on amène à grands frais une demi-douzaine de journalistes littéraires jusqu'à Trois-Pistoles pour rencontrer «l'un des plus grands écrivains de son pays». Une façon de montrer au milieu littéraire, avec ostentation et des manières de grand seigneur, qu'on accorde une grande importance à ce célèbre inconnu de 65 ans, qui a déjà quelque 70 ouvrages à son actif
Peut-être était-ce également pour la maison Grasset l'occasion de faire parler d'elle au Québec, d'y faire la promotion du nouveau livre de Charles Dantzig, et de cette réédition française de Bibi. En tout cas, il s'agissait d'un traitement royal pour un «premier roman», ainsi lâché dans le maelström de la rentrée de septembre, avec ses 700 romans français et étrangers.
Résultat des courses: l'inconnu Victor-Lévy Beaulieu a réussi à survivre au tsunami et surnage. L'opération «Dantzig-Trois-Pistoles» a au moins abouti à ce résultat tangible: trois articles de bonne dimension écrits par des journalistes bénéficiaires de ce voyage exotique dans le Bas-du-Fleuve. Sans doute en raison de ce battage promotionnel, des libraires de la chaîne Virgin se sont intéressés à ce roman inclassable, et lui ont trouvé des qualités indéniables: Bibi s'est donc retrouvé sur la liste des 31 romans de la rentrée sélectionnés par Virgin, en association avec le magazine Lire. Et, cerise sur le gâteau, le prix Décembre a installé VLB sur sa liste d'une dizaine de finalistes.
Flatteur
Replaçons les choses dans leur contexte. Il y a en France quatre ou cinq prix littéraires qui changent le destin d'un livre, à commencer par le Goncourt. Il y a par ailleurs une vingtaine de prix qui ne font guère vendre 100 exemplaires de plus, mais sont au moins mentionnés dans les médias et ont un certain prestige: le prix du Café de Flore, le prix Paul Morand, ou le prix Décembre. Ça rapporte 30 000 euros, ça fait plaisir, le jury est de bonne qualité, et c'est signalé par une brève dans Le Monde des livres. Point. Que Bibi, «autoroman» hors norme, se retrouve sur cette liste est évidemment flatteur. Mais ce n'est pas le Goncourt.
Le fait qu'une éminente vedette de la vie littéraire comme Charles Dantzig ait donné sa caution à Bibi, un livre imposant mais difficile, est déjà un événement. Les journalistes qui l'ont accompagné à Trois-Pistoles ont à leur tour été impressionnés, à la fois par ce «colosse aux mots de feu» (Le Temps) et par l'importance de sa production. Et par son écriture foisonnante. Le journaliste de Sud-Ouest note «une langue qui se réengendre à chaque page... dans la veine d'un Sabato ... un français tel qu'on ne peut plus le lire sans doute que dans la Belle Province...».
Le Figaro est particulièrement louangeur et enthousiaste. Son journaliste, après avoir salué la truculence du personnage et l'exotisme des lieux, évoque un roman «torrentueux, limoneux, baroque, proche du réalisme magique latino-américain», d'un écrivain qui «déploie une inventivité hors du commun et a trempé sa plume dans Finnegans Wake».
En comparaison des 580 ou 610 romans de la rentrée (sur 700) qui n'ont pas eu droit à une ligne dans les journaux, Bibi a donc reçu un accueil flatteur. Même si Sud-Ouest (Bordeaux) et Le Temps (Suisse) ne sont guère lus à Paris. L'Express, qui devait être du voyage mais s'est décommandé, devrait publier un article, finalement. Et Le Monde... n'a «pas encore dit non». VLB, et c'est justice, ne laisse pas indifférent.
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Arrivé dans la capitale française au tout début des années 1970, Louis-Bernard Robitaille est le doyen des correspondants québécois en France.
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