Tourbillon politique en Ukraine, avec le retour de Ioulia Timochenko et la destitution de Ianoukovitch

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Le scénario catastrophe pour Poutine

La tresse blonde. Le charisme. La voix chavirant d'émotion, au bord du sanglot. Les mots tranchants comme des couteaux de chasse. Il est tentant de penser que tout recommence pour Ioulia Timochenko, lorsqu'elle s'avance, samedi 22 février, à la tribune de Maïdan, devant une foule compacte. Ioulia Timochenko est en chaise roulante rose, les traits terriblement tirés. Quelques heures plus tôt, elle est sortie de l'hôpital prison de Kharkiv, a emprunté un vol spécial en direction de Kiev et replongé dans le bain brûlant de Maïdan. La conclusion d'une journée politique étourdissante en Ukraine, marquée par un renversement de régime, par voie législative.
L'ancienne première ministre, en prison depuis trente mois, n'est plus la dame de fer de la « révolution orange » en 2004. Elle n'est plus l'ex-première ministre engagée dans une lutte à mort avec son ancien allié et président de l'époque, Viktor Iouchtchenko, suscitant l'exaspération populaire. Elle n'est plus la candidate défaite à la présidentielle de février 2010, pestant contre les poursuites engagées contre elle sur ordre de Viktor Ianoukovitch, alors nouveau chef de l'Etat. Elle est une femme éprouvée. Sa voix est un filet d'émotion, et non un rouleau compresseur, comme au temps de sa splendeur.
MAÏDAN A GAGNÉ
Dans ce contexte de recueillement à fleur de peau, après non loin de 100 morts, dont les photographies défilent sur l'écran de Maïdan, reprendre une activité politique est une tâche indispensable mais ô combien délicate pour elle. Son ennemi personnel, Viktor Ianoukovitch, est en fuite après avoir tenté en vain de quitter le pays. Son avion a été empêché de décoller par l'intervention de gardes-frontières. La Rada a fixé au 25 mai la tenue d'élections anticipées, provoquant automatiquement sa destitution, qu'il aurait dans un premier temps acceptée avant de se rétracter. Maïdan a gagné.
Mais à quel prix ! Ici, des hommes sont morts. Ici, une pièce tragique et absurde s'est jouée, rendant caduque toute comparaison avec la « révolution orange » de 2004, pacifique dans son expression. Ici, une chaîne de solidarité inouïe s'est formée, des combattants du front aux volontaires de l'arrière, en passant par les citoyens venant apporter des vêtements, des médicaments ou de la nourriture en guise de soutien.
Refaire de la politique après la guerre urbaine. C'est à quoi s'évertue Ioulia Timochenko, forte de son expérience et de son talent d'oratrice. Elle rend hommage aux morts de Maïdan, « héros pour des siècles ». Elle appelle la foule à ne pas quitter la place et à rester « garante de la victoire » aussi longtemps que nécessaire. « Si quelqu'un vous dit que c'est terminé et que vous pouvez rentrer chez vous, n'en croyez pas un mot, vous devez finir le travail », leur a-t-elle demandé. Consciente du « climat de défiance » envers les responsables politiques, l'ex-première ministre prétend « être garante du fait que personne ne vous trahira ». La foule semble plus dubitative qu'enthousiaste à cette idée.
A aucun moment, au cours des trois mois qu'a duré la contestation sur la place centrale de Kiev, la libération de Ioulia Timochenko n'a été une revendication ni une motivation. Beaucoup la voient comme une figure du passé et ne se font guère d'illusions sur son compte. Mais il viendra un moment où il faudra donner une incarnation à la nouvelle donne politique.
IANOUKOVITCH RÉFUGIÉ À KARKHIV
La grande blanchisseuse de la révolution ne comprend tout de même pas de programme amnésie. Mais cette libération replace l'ancienne première ministre au centre du jeu politique. Elle est annoncée comme l'un des trois candidats (avec Arseni Iatseniouk et le milliardaire Petro Porochenko) au poste de premier ministre qui devrait être désigné par la Rada dimanche. Ioulia Timochenko s'est farouchement opposée, de sa cellule, à des négociations politiques avec le chef de la « dictature sanglante », Viktor Ianoukovitch. L'un des trois signataires de l'accord, côté opposition, était pourtant Arseni Iatseniouk, son adjoint dans le parti Batkivchtchina. Lui comme le boxeur Vitali Klitschko et le nationaliste de Svoboda, Oleh Tiahnybok, qui furent en première ligne de la contestation pendant trois mois, sont soudain relégués en ligue inférieure par le retour de Ioulia Timochenko.
Les postes à la tête de l'Etat sont en passe d'être pourvus. Olexandre Tourtchinov, du parti de Mme Timochenko, a été élu président de la Rada, devenant premier ministre par intérim. Valentyn Nalyvaïtchenko a pris la tête des services spéciaux (SBU), poste qu'il avait occupé sous la présidence de Viktor Iouchtchenko. Le procureur général, Viktor Pchonka, a été renvoyé. Mais la question de la légitimité et de l'autorité des nouveaux responsables demeure suspendue. Que va faire l'est du pays ?
Une réunion des élus des régions de l'est, industrielles et russophones, a eu lieu à Karkhiv, deuxième ville d'Ukraine, où le président Ianoukovitch s'était réfugié. C'est sans doute là qu'il a enregistré une allocution vidéo, diffusée sur une chaîne régionale. Il y dénonçait le « vandalisme » et le « banditisme » des auteurs d'un « coup d'Etat ». A la tribune de la réunion, les gouverneurs hostiles aux décisions de la Rada semblaient dessiner, par la radicalité de leurs propos, un refus de l'autorité centrale. Mais la réaction de la population, soumise à une propagande effrénée des chaînes de télévision locales et russes, et l'attitude des forces de l'ordre locales demeurent une inconnue. Plusieurs milliers de personnes ont toutefois manifesté à Kharkiv en solidarité avec Maïdan. Le gouverneur de la région, Mikhaïlo Dobkine, et le maire de la ville, Hennadi Kernes, ont, eux, franchi la frontière russe.
LE SPECTRE DES « RÉVOLUTIONS DE COULEUR »
A Moscou, les autorités dénoncent le non-respect de l'accord politique signé entre l'opposition et Viktor Ianoukovitch, et évoquent une atteinte à la souveraineté de l'Etat. Quant aux chancelleries occidentales, l'inquiétude monte au sujet du pire des scénarios : les menaces sur l'intégrité territoriale du pays, autour d'une région-clé, la Crimée, où est basée la flotte russe de Sébastopol.
Le parallèle avec l'Ossétie du Sud et l'Abkhazie, les deux régions séparatistes géorgiennes au cœur de la guerre d'août 2008, est parfois tracé par les commentateurs. Depuis déjà plusieurs semaines, la « fédéralisation » de l'Ukraine est évoquée par des députés et des responsables locaux, favorables à Moscou. Un euphémisme pour cacher une atteinte à l'autorité du pouvoir central. Toutefois, malgré les différences culturelles, linguistiques ou politiques parfois radicales, l'est comme l'ouest du pays sont attachés à la souveraineté nationale.
La chute de Viktor Ianoukovitch est un scénario catastrophe pour Vladimir Poutine, même si celui-ci a toujours eu des relations très difficiles avec l'homme de Donetsk, M. Ianoukovitch, et de bien meilleures avec Ioulia Timochenko. Le spectre des « révolutions de couleur », que Moscou pensait avoir éloigné, revient hanter la Russie. Les images du palais somptueux de Viktor Ianoukovitch, ouvert à la contemplation médusée du public, renvoient aux propres propriétés indécentes des dirigeants russes, notamment celle de Vladimir Poutine à Sotchi.
Enfin, le succès du grand projet du président russe, l'Union eurasienne, devant succéder à l'Union douanière au 1er janvier 2015, reposait largement sur une participation de l'Ukraine, enfin détournée de ses aspirations européennes. Un scénario balayé aujourd'hui.


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