Jonathan G. a révélé aux enquêteurs des détails précieux sur la vie quotidienne des soldats de Daech. Dont des Français.
"Du moment où j'ai quitté l'Etat islamique jusqu'à aujourd'hui, je me suis donné l'engagement de dire tout ce que je savais sur l'EI." Le 15 janvier dernier, Jonathan G. est longuement entendu par un juge d'instruction à Paris. Après deux années passées dans la zone irako-syrienne, le Français a été capturé début 2017 par les soldats de l'Armée syrienne libre (ASL) en tentant de fuir la Syrie. Remis à la France en septembre de la même année, il a été mis en examen pour association de malfaiteurs terroriste criminelle.
La situation de cet homme de 35 ans, père de 4 enfants nés de deux unions différentes, est particulière à deux égards. D'abord parce que Jonathan G. parle - il parle même beaucoup. Il s'est confié à plusieurs reprises ces derniers mois, en détails, aux enquêteurs de la DGSI comme au juge. Surtout, ce converti originaire de Toulouse a été un observateur privilégié de Daech puisqu'il a côtoyé sur place des djihadistes français de premier plan, dont les frères Clain, responsables de la propagande de l'EI, qui ont revendiqué les attentats de Paris et Saint-Denis.
Une position qui rend précieux son témoignage, versé au dossier du 13 Novembre, même s'il ne constitue à ce stade que sa version des faits, et sa vérité. Ses déclarations lui vaudraient de faire l'objet d'une "fatwa avec le tampon officiel d'Abu Bakr al-Baghdadi" en personne, le chef redouté de l'EI. C'est du moins ce qu'il affirme.
Des kalachnikovs enterrées près de Toulouse
Jonathan G. raconte s'être avant tout rapproché d'un des sept enfants de Jean-Michel Clain, Othman, lors de ses derniers mois passés en Syrie. Ils ont travaillé ensemble sur des vidéos de l'EI au sein du "département de la communication et des mosquées". Comme l'a révélé Le Monde le 26 juin, l'adolescent piloterait un projet visant à envoyer des enfants-soldats pour frapper l'Europe. Le garçon, en "confiance", se serait également confié sur de nombreux sujets.
Dans ses propos rapportés, que L'Express a pu consulter, il est question de kalachnikovs enterrées à Toulouse par deux hommes partis faire le djihad et emprisonnés depuis leur retour en France. "Je n'ai pas plus d'infos sur la localisation. Je me dis que s'ils ont enterré cette kalachnikov [dans ses déclarations, il alterne le singulier et le pluriel, NDLR], c'est qu'ils avaient peut être prévu de faire quelque chose, mais sans en savoir plus", déroule Jonathan G.
Sur les attentats de Bruxelles du 22 mars 2016, "pas prévus" mais "déclenchés" par l'arrestation de Salah Abdeslam : "Othman m'a dit que pour éviter que tout le monde se fasse interpeller, ils ont ciblé directement l'aéroport (de Zaventem). Ce qui était visé, c'était une centrale nucléaire française. Ils avaient prévu d'y aller en voiture et de faire exploser les voitures", poursuit-il.
Les frères Clain sortent voilés
"La famille Clain est au courant de tout, ils sont proches des savants, des médias et des responsables", résume le détenu de Fleury-Mérogis. Jonathan G. fait partie des rares "privilégiés" qui ont pu se rendre chez Jean-Michel Clain, à proximité du "rond-point de l'horloge" de Raqqa.
Quand "Fabien et Jean-Michel" sortent de chez eux, explique-t-il c'est "toujours (avec) une djellaba et un voile sur la tête par peur d'être dronés". Les deux cadres de Daech ont la possibilité de se déplacer de leur appartement à leur studio radio "sans être vus". "Dans Raqqa, il y a des lieux où des bâches sont tirées entre deux bâtiments, les Clain s'y dirigent à pied, ils attendent qu'un taxi passe, ils montent, ils se dirigent vers un endroit où il y a des bâches et ils changent de taxi, et ça jusqu'à ce qu'ils arrivent à destination", raconte le "revenant".
Jean-Michel Clain, qui se fait appeler "Abou Othman", "a une position importante dans Daech". "Il était dans le domaine de la transmission d'information de l'Etat islamique et il était en contact avec l'Ajna, les hautes autorités de l'Etat islamique", explique-t-il. "Jean-Michel est parti pendant un mois faire une formation sur les explosifs en Irak en 2015. Il a cherché une spécialité, car quand on n'a pas de spécialité, on va en première ligne."
Séjour en Egypte avec les frères Merah
Fabien Clain, lui, travaille à al-Bayan, la radio de Daech où défilent tous les jours les "hautes personnes religieuses". Il a des "fonctions bien supérieures" à celles de responsable de propagande, selon Jonathan G., qui le "soupçonne" d'être à la tête des "opérations extérieures" : "encadrements et choix de gens pour les envoyer en France par exemple pour commettre des attentats".
"Pourquoi êtes-vous énervé contre les frères Clain?" l'interroge un enquêteur lors de sa garde à vue en septembre 2017. "Avant de partir, j'ai voulu savoir qui était encore dans l'idéologie de l'Etat islamique et donc je me suis dit que je n'aurais aucun scrupule à balancer sur ceux qui sont encore dans l'Etat islamique. Pour moi, eux, ils sont à fond dans l'idéologie [de Daech]. Jean-Michel et Fabien parlaient beaucoup des opérations extérieures. Ils se réjouissaient de ce qu'il se passait en France."
Tous font partie de la même "cellule de Toulouse", bien connue des services de renseignement. Lors d'un séjour en Egypte, Jonathan G. avait d'ailleurs été "réceptionné" par un Toulousain bien connu : Abdelkader Merah. Ce dernier lui aurait demandé d'héberger son petit frère, Mohamed Merah. Le futur "tueur au scooter", avec qui il a vécu quinze jours, avait "des sautes d'humeur très violentes", "des idées fixes", une "haine" à l'égard des militaires. Jonathan G. était au Caire en même temps qu'un autre nom de la sphère djihadiste : Farouk Ben Abbes, qu'il assure ne pas connaître.
Projet d'ouvrir une boutique de lingerie
En Syrie comme en Irak, Jonathan G., qui se faisait appeler "Abu Ibrahim" ou "Abu Sayfidine", a côtoyé aussi bien le responsable du magazine Dabiq, qu'un "agent des renseignements de l'EI", un Français apparu dans une vidéo où il brûle son passeport, ou encore le légionnaire de Lunel "Abou Souleyman al Faransi". Il assure n'avoir pris part au combat que deux fois, "sans tirer jamais un seul coup de feu", à l'aéroport d'Alep et à Ramadi. Sur zone, il arrive à percevoir son RSA français par l'entremise de sa mère, qui lui envoie la somme via Western Union.
"Comment la France peut-elle vous faire confiance et ne pas craindre une action violente de votre part sur notre sol ?" l'interroge-t-on en garde à vue. "Je pense que quand j'ai tenu les propos anti-occidentaux, j'étais déjà dans un processus d'embrigadement de l'EI. Et qu'aujourd'hui, j'y suis opposé. La preuve est que j'ai dit tout ce que je savais sur l'EI et en impliquant mes anciens amis. Et que je suis prêt à aider la France par la suite si on a besoin de moi. Je veux reprendre une vie normale", répond-il.