Terre-Neuve dans sa guérilla

La position de Terre-Neuve est bien simple : « C’est à nous et on fait ce qu’on veut ».

Chronique d'André Savard

Le Québec n’a pas de droits nationaux. Terre-Neuve le sait et désire aller de l’avant avec les forages en eaux profondes. Déjà braquée négativement, l’opinion publique de Terre-Neuve nourrissant la conviction que le Québec les empêche d’exploiter librement le Labrador, aucune fronde contre le Québec n’y a mauvaise presse.
Que Terre-Neuve ait pris cette décision alors la marée noire provoquée par le puits sous-marin poursuivait ses ravages sur les côtes de la Louisiane démontre aussi que Terre-Neuve, peu importe ses premiers ministres, est pugnace et opiniâtre. La position de Terre-Neuve est bien simple : « C’est à nous et on fait ce qu’on veut ».
Que ça puisse être aussi au Québec et qu’il puisse avoir une opinion tant sur les techniques de forage, l’entretien des puits, les suites possibles en cas d’alerte rouge ne font aucunement partie du scénario de Terre-Neuve. En fait, la démarche de Terre-Neuve est si absolutiste que l’on se demande si le Québec a droit à plus qu’à une opinion.
Terre-Neuve lance encore une fois un : Guerre à toi, Québec. Terre-Neuve a fréquemment lancé ce cri dans le passé. Elle en veut au Québec d’obtenir de l’électricité à rabais du Labrador en vertu d’un contrat signé comme consolation quand le Québec a perdu le tiers de son territoire. Par la suite la cour suprême a été appelée à trancher : Québec n’est pas propriétaire du Québec et Ottawa a eu le droit de faire cadeau du Labrador à Terre-Neuve. En revanche, une signature sur un contrat étant une obligation non révocable, Terre-Neuve doit fournir de l’électricité au prix indiqué.
Par une inversion funeste, ce contrat à propos duquel Québec exige le respect a pris les dimensions de crime de lèse-majesté chez les Terre-neuviens. Non seulement se jugent-ils les propriétaires naturels du Labrador, ils estiment que le droit de passage de l’énergie terre-neuvienne sur le territoire du Québec en est une conséquence évidente. Le Fédéral tarde à l’appliquer pour ne pas soulever l’ire des braillards québécois. Sur ce point, Terre-Neuve profite d’un diapason avec beaucoup de bons citoyens canadiens influents. En fait, il suffit de dire que l’on veut contrer les braillards québécois pour conforter la bien-pensance canadienne et récolter ses appuis.
Autant les Terre-Neuviens sont jaloux de leur territoire, de leurs fonds marins, de leurs droits de revenus exclusifs sur le pétrole ou toute autre forme d’exploitation énergétique, autant traitent-ils le Québec comme un corridor interprovincial qui faillit à ses devoirs d’appartenance au Canada en mécontentant Terre-Neuve. Le Québec n’ayant pas de droits nationaux, cet aspect est de taille. Tout contentieux qui oppose le Québec au reste du Canada (les chicanes inter-frontalières avec Terre-Neuve en étant un) voit son issu dépendre beaucoup de la représentation que l’opinion publique se fait du Québec.
Les éditorialistes fédéralistes, ceux du journal La Presse notamment écriront : « Oui, c’est bien beau tout ça mais Terre-Neuve n’a pas les mêmes préconceptions du vrai et du faux que le Québec et nous, comme Québécois, devrions nous ouvrir à eux comme d’ailleurs nous vous recommandons de vous ouvrir à l’Alberta ». En effet, les Canadiens ont une préconception du vrai du faux. C’est dans l’ordre des choses. Chaque peuple est habité par une préconception du vrai du faux, un regard particulier sur son passé, lequel tire sa force autant quand il est pensé par ses élites que lorsqu’il est à l’œuvre obscurément, impensé.
***
C’est parce qu’une nation ne doit pas dépendre des préconceptions du vrai et du faux d’une autre nation que les droits individuels constituent un ordre du droit qui doit être modulé par un autre ordre du droit : le droit national. C’est ce qui manque au Québec : le droit national, des droits nationaux. On parle beaucoup dans le monde des droits individuels, le lyrisme de l’individu libre, moins des droits nationaux. Pourquoi?
Parce que d’habitude cet ordre de droit tient en bonne partie dans l’implicite et que sa partie explicite est codifiée par le droit international. Que les Norvégiens parlent le Norvégien relève de l’évidence. Du seul fait qu’ils existent, qu’ils soient maîtres de leur territoire, et qu’ils aient le droit de se concevoir comme bon leur semble, sans être soumis à des soupçons parce qu’ils n’entrent pas dans les préconceptions du vrai et du faux d’une autre nation, il s’ajoute tout un plan à leur atmosphère, un droit de vivre collectif incontesté : le droit national simplement. Si une autre nation leur dit qu’ils n’ont pas d’espace maritime autre que celle allouée ou approuvée par un appareil juridique monté de toutes pièces par l’autre nation, une nation avec des droits nationaux peut se pourvoir auprès d’une vraie instance juridique mondialement reconnue.
Terre-Neuve sait que la nation québécoise n’a jamais pu profiter de cet ordre de droit. Dans le passé elle a profité du démantèlement du Québec lors de la cession du Labrador. Elle a paraphé la Constitution qui avalisait l’annexion du Québec. Elle a vu son ancien premier ministre se faire remercier par Jean Chrétien d’avoir torpillé l’accord du Lac Meech. Elle a contesté l’achat par Hydro-Québec du réseau du Nouveau-Brunswick.
Pourtant chaque mois, depuis des décennies, le premier ministre de Terre-Neuve annonce publiquement qu’il en veut au Québec. Aussitôt qu’un premier ministre de Terre-Neuve annonce cela, une symbiose se crée avec sa population.
Remarquez qu’en général les premiers ministres de Terre-Neuve ont une bonne longévité politique. Être contre le Québec, c’est le passeport pour un deuxième ou troisième mandat. Plus encore, c’est une accréditation comme bon citoyen canadien qui ouvre la porte à une carrière dans les instances fédérales après le retrait de la politique. Un premier ministre de Terre-Neuve sait que dans ce beau pays, seules les instances fédérales sont légitimes et que, même si cela ne se dit pas, c’est cela que Terre-Neuve doit la multiplication de son territoire et de ses droits maritimes. Plus encore, ce sont les instances fédérales qui, par leur existence même, fournissent un vivier juridique qui alimente sa guérilla incessante contre le Québec.
André Savard


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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    30 juillet 2010

    Bonjour M.Savard
    Danny Williams cherche la confrontation avec le Québec au sujet des forages sous le St-Laurent malgré le gros bon sens, c'est de la piraterie pure et simple, un point à la ligne.
    Pourquoi fait-il cela?
    Forcer l'ouverture d'un corridor entre Terre-Neuve et l'Ontario en territoire québécois pour vendre son électricité à meilleur prix.
    Surveillez Jean Charest à la prochaine rencontre du Conseil de la confédération qui n'aboutit jamais à rien, cette fois le Québec pourrait se faire rentrer dedans une bonne fois pour toute.
    http://www.ledevoir.com/environnement/actualites-sur-l-environnement/273752/danny-williams-ne-veut-pas-d-hydro-quebec-au-nouveau-brunswick

  • Archives de Vigile Répondre

    27 juillet 2010

    Le PQ et le BQ perdent la voix lorsqu'ils sont forcés de crier plus fort que les racistes de Terre-Neuve.
    Le gouvernement de Terre-neuve est un gouvernement de racistes, fort de la protection d'Ottaoua, de Bay Street et de Fort-Rouillé.
    Qu'on se le dise ! Mettons-nous bien ça dans la tête : jamais ils ne nous « accomoderont »; ils nous détestent trop.

  • Patrick Lavallée Répondre

    26 juillet 2010

    Encore une occasion manquée par le Bloc et le PQ pour rallier les Québécois autour d'eux. Je parie que c'est Charest qui va se faire du capital politique sur la question d'ici peu ! Il va se transformer en héros de la défense de nos intérêts.
    Que font les ténors souverainistes ?