À quelques jours d'intervalle, Alain Dubuc, chroniqueur influent du groupe Gesca et Françoise Bertrand, de la Fédération des chambres de commerce du Québec, ont publiquement critiqué le fait que les groupes écologistes continuent de dénoncer l'arrivée éventuelle de terminaux méthaniers sur le Saint-Laurent, malgré deux rapports «favorables» du BAPE sur les projets de Cacouna et Rabaska. Il vaut donc la peine de rappeler le rôle du BAPE et des ses rapports ainsi que les nouvelles exigences posées par la démocratie participative et le développement durable.
Au Québec, dans certains cas, l'évaluation environnementale des projets peut mener à des audiences publiques menées par le BAPE. Ce processus formel d'information et de participation du public doit durer un maximum de quatre mois selon la Loi sur la qualité de l'environnement, terme auquel le BAPE doit remettre son rapport au ministre. Le BAPE n'est pas un tribunal ni une instance décisionnelle. Les rapports du BAPE font état de ses constats sur la situation et de ses avis sur les démarches à entreprendre.
La décision finale d'autoriser ou non un projet revient toujours au gouvernement, et ce dernier se base sur ses propres études techniques ainsi que sur des considérations sociales, économiques et politiques pour prendre sa décision et exiger éventuellement des mesures d'atténuation. Un rapport du BAPE n'est donc pas un point final au débat démocratique, il en juste une bonne occasion!
Poursuivre le débat au-delà du BAPE
Entre la parution d'un rapport du BAPE et le décret gouvernemental d'autorisation, il peut se passer de très nombreux mois où les divers lobbys, favorables ou non au projet, continuent de faire valoir leur point de vue. Il est troublant de voir défendre l'idée que les groupes écologistes devraient se taire à la suite de la publication d'un rapport du BAPE, alors que promoteurs, MRC, chambres de commerce et autres continuent de mener un lobby actif pour faire pencher la décision du gouvernement dans le sens de leurs intérêts. En quoi l'organisation d'une manifestation publique est-elle plus dommageable à la démocratie que le lobbying pratiqué par de puissants acteurs économiques qui ont un accès privilégié aux membres du gouvernement?
Pourquoi la publication d'un rapport du BAPE devrait-elle clore le débat démocratique, alors que même une décision de la Cour suprême ne le fait pas? En effet, il serait trop long de recenser toutes les manifestations, les éditoriaux, les appels à changer la loi ou à faire jouer la clause nonobstant pour éviter l'application d'une décision du plus haut tribunal du pays. Cela est tout à fait normal et sain. Pourquoi en irait-il différemment lors de la parution d'un rapport déposé par un organisme indépendant, à la suite d'un processus public de consultation? D'ailleurs, lorsque le BAPE a émis des avis négatifs sur certains projets, cela n'a jamais empêché éditorialistes et chambres de commerce de demander à hauts cris au gouvernement de ne pas suivre l'avis du BAPE, quand ce n'est pas l'abolition pure et simple de l'organisme! Deux poids, deux mesures?
Tant les groupes environnementaux que les chambres de commerce devraient comprendre qu'un rapport du BAPE n'est pas une parole divine, mais un moment important du processus de démocratie participative qu'exige l'atteinte éventuelle d'un développement qui soit durable. L'évaluation environnementale des projets est un acquis de société important au Québec, et on devrait éviter, de tout côté, de tirer sur le messager lorsque le message ne fait pas notre affaire.
Cependant, il faut aussi être conscient que notre procédure d'évaluation est restée pratiquement inchangée depuis près de 30 ans et que de nombreuses lacunes restent à combler pour rattraper notre retard face à l'évolution du droit international de l'environnement. Par exemple, les écologistes remettent en question, tout à fait justement, que le mandat donné au BAPE par le gouvernement fait en sorte qu'il analyse les projets un à un, sans vision d'ensemble.
En revanche, ce que l'on appelle une «évaluation environnementale stratégique» aurait permis au BAPE de regarder la place des terminaux méthaniers dans notre stratégie énergétique, de déterminer de combien de terminaux le Québec a besoin s'il y a lieu, les meilleurs sites disponibles, les conditions légales nécessaires pour s'assurer que ce gaz remplace effectivement des produits plus nocifs et qu'il ne fasse pas que rajouter à notre consommation boulimique d'énergie non renouvelable, etc.
Le BAPE lui-même s'est publiquement prononcé pour une réforme de la loi qui permettrait de telles évaluations stratégiques. Que des groupes écologistes soulèvent publiquement ces questions n'est donc pas de l'antidémocratisme ou de la «dictature écologique»! Au contraire, il est tout à fait sain et conforme aux objectifs visés par un organisme comme le BAPE que ses rapports soient amplement discutés et débattus sur la place publique.
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Jean Baril, Avocat et doctorant en droit à l'université Laval. Auteur du livre Le BAPE devant les citoyens (P.U.L., 2006)
Terminaux méthaniers - Le BAPE ne détient pas la parole divine
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Jean Baril, Avocat et doctorant en droit à l'université Laval. Auteur du livre Le BAPE devant les citoyens (P.U.L., 2006)
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