Le gouvernement du Québec fait figure d’exception en Amérique du Nord en autorisant le projet de terminal méthanier Rabaska à moins de 1,5 kilomètre d’un quartier habité. C’est ce qu’a révélé au Soleil, sous le sceau de l’anonymat, une source au BAPE étroitement associée à l’étude du projet de Lévis.
Un tableau fourni hier soir au Soleil par Rabaska confirme cette révélation : seulement 3 projets autorisés sur 17 aux États-Unis et au Canada sont situés à moins de 1,5 kilomètre d’habitations, et un seul, celui de Golden Pass LNG, au Texas, peut prétendre être situé à proximité de véritables résidences. Les deux autres sont situés, dans un cas, à proximité de quelques chalets sur pilotis dans une zone lourdement industrialisée et, dans l’autre, à proximité d’un camp de chasse et d’un camp de pêche.
Pour les fins de ce constat, Le Soleil a retenu la distance entre les résidences et la jetée des terminaux puisque c’est à ce niveau que les risques d’accidents sont les plus élevés. Nous avons écarté les projets au Mexique, où les normes environnementales sont moins sévères, ainsi que celui de Weaver Cove au Massachusett, qui vient d’être bloqué par la Garde côtière américaine.
Ces informations contredisent la ministre de l’Environnement, Line Beauchamp, qui a nié, lundi, que les nouveaux terminaux aux États-Unis s’implantent sur des sites plus éloignés des résidences que celui de Rabaska. «Cet argument-là, les opposants l’ont souvent sorti lorsque je les ai rencontrés avant Noël, et je me souviens qu’on m’a répondu, à mon ministère, que ce n’était pas le cas», a soutenu la ministre.
Notre interlocuteur au BAPE a reconnu qu’il s’agissait là d’une tendance bien réelle : «Il y a des cas d’exception, il y a Boston, qui est en plein centre-ville, ce sont de vieux projets. Dans les nouveaux projets, en général, ils sont plus loin. Il y a également Barcelone, mais c’est une zone industrielle, et il y a une colline qui sépare les quartiers résidentiels qui sont derrière.»
Priés de documenter les affirmations de la ministre, les fonctionnaires de l’Environnement ont reconnu hier que les nouveaux terminaux s’installent généralement à distance des zones habitées, mais ils ont fait valoir que cette précaution n’est pas une garantie de sécurité. «Si on appliquait ici ce fameux un mille qui semble être appliqué aux États-Unis, sans prévoir des mesures de sécurité adéquates, les gens à un mille auraient l’impression d’être en sécurité alors que dans les faits (...) ils risquent de brûler tout simplement», a expliqué le chef du Service des projets en milieu hybride, M. Gilles Brunet. Il a donné l’assurance que les mesures demandées à Rabaska font en sorte «qu’il n’y a aucun danger sur le plan sécurité».
Expert indépendant
Malgré la controverse sur ce point, les commissaires du BAPE n’ont pas jugé utile de retenir les services d’un expert indépendant pour avoir l’heure juste. «Les citoyens l’ont demandé à plusieurs reprises, mais ça n’a pas été accordé, la raison principale étant qu’on voulait éviter les débats d’expertise et de contre-expertise», a raconté notre informateur.
Le porte-parole du BAPE, Jean-Sébastien Filion, a expliqué que l’organisme a cessé de faire appel à des experts indépendants pour des raisons budgétaires, et pour ne plus avoir à trancher entre les spécialistes. Le BAPE avait pourtant fait appel à des experts indépendants pour étudier le projet d’entreposage de gaz naturel de Soligaz à Varennes en 1991.
Malgré les assurances données hier par l’Environnement, le fait demeure que les Américains sont de plus en plus exigeants à l’endroit des promoteurs de terminaux méthaniers.
Le rapport au Congrès du Government Accountability Office, l’an dernier, indique que les conclusions de six études différentes sur la distance à laquelle une exposition de 30 secondes à une chaleur intense pourrait brûler les humains varient entre un tiers de mille et 1,25 mille. «Les laboratoires nationaux Sandia ont mené une de ces études et ont conclu (...) qu’une bonne estimation de la distance du danger de chaleur extrême serait d’environ un mille. Les agences fédérales utilisent cette conclusion pour étudier les propositions pour les nouveaux terminaux méthaniers.»
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GILBERT LAVOIE : La peur des représailles
Le Soleil 5 février 2008
Si les élus à l’Assemblée nationale prenaient la peine d’écouter les citoyens touchés par le projet Rabaska, leur premier constat serait la crainte des représailles. La semaine dernière, plusieurs personnes ont refusé de voir leur nom dans les reportages prévus par Le Soleil. Elles craignaient de subir les foudres de la compagnie lorsque le moment arrivera de négocier la vente de leur maison.
Autre constat tout aussi troublant : l’interdiction imposée par Rabaska aux citoyens d’évoquer publiquement la question du zonage des terrains visés. L’an dernier, quand ils ont contesté en Cour supérieure la légalité du changement de zonage proposé pour le port méthanier, Rabaska et la Ville de Lévis se sont objectés au dépôt du rapport de leur expert en urbanisme, ce qui a prolongé les procédures et augmenté les frais.
Le juge Bernard Godbout a rejeté cette objection, mais à court d’argent, les citoyens ont dû abandonner leurs procédures. Rabaska leur a offert d’éponger les frais de 50 000 $ pour le désistement, mais a exigé un silence total sur la question du zonage. La liberté d’opinion est pourtant inscrite dans la Constitution.
Il est certain que, vue de Québec ou de Montréal, la bataille des citoyens contre le projet de port méthanier peut ressembler à du «pas dans ma cour». Il est tout aussi certain que la campagne contre le projet a contribué à accentuer les peurs d’un accident. Les citoyens se sont laissé dire qu’aux États-Unis, les nouveaux projets de ports méthaniers se font à plus de 1,6 km des résidences alors qu’ici, 133 familles se trouvent à l’intérieur d’un rayon de 1,5 km de l’endroit choisi pour ériger le terminal.
Peut-on reprocher à ces gens de s’interroger sur leur sécurité? Après tout, l’explosion d’une canalisation d’un gazoduc a fait 15 morts et 120 blessés en Belgique en 2004. La même année, l’explosion d’un réservoir de gaz liquéfié a fait 27 morts en Algérie. Les promoteurs vous diront que les installations projetées sont plus modernes et plus sécuritaires, c’est vrai. Mais tous les maires des communautés entourant la baie Passamaquoddy, au Nouveau-Brunswick, appuyés de Bernard Lord et du ministre fédéral Greg Thompson, se sont objectés à la construction de ports méthaniers sur la côte est du Maine.
Aux États-Unis, les sénateurs John Kerry et Ted Kennedy se sont opposés au projet de Fall River. Le Québec est-il plus complaisant que les Américains? La ministre Line Beauchamp a déclaré hier au Soleil que ce n’était pas le cas. Les preuves fournies à cet effet par son bureau en soirée viennent toutefois de Rabaska et non pas de son ministère.
Par ailleurs, la moindre des choses à laquelle on doit s’attendre, c’est que les familles de Beaumont et de Lévis touchées par ce projet soient totalement indemnisées et non «partiellement compensées». Rabaska a beau prétendre que personne ne sera obligé de partir, le simple fait que le promoteur ait élaboré une politique de compensation et des relocalisations «temporaires» indique le contraire.
Le député de Lévis, Christian Lévesque, a déclaré que la compagnie l’a «assuré personnellement que les gens allaient être bien traités, en termes de compensations». M. Lévesque doit comprendre que la seule «valeur marchande» d’une maison ne constitue pas une juste indemnisation.
Le député de Bellechasse, Jean Domingue, qui représente les gens de Beaumont, a dit à ses commettants qu’il «suivrait la ligne du parti», et leur a conseillé de s’adresser à Jean Charest. C’est inacceptable. Les deux députés ont le droit d’appuyer Rabaska, mais ils ont l’obligation de représenter leurs citoyens. C’est pour ça qu’ils ont été élus.
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Rabaska : le Québec moins exigeant que les Américains
1 - La peur des représailles
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