Syrie: Un prêtre raconte la «bataille» de la ville martyre d’Alep commencée en 2012
Le massacre des innocents
Le père chilien Rodrigo Miranda témoigne de ce qu’il a vu au milieu de ses paroissiens. A notre surprise son témoignage a été publié par la Repubblica, un journal italien qui, de manière générale, a désinformé ses lecteurs sur la situation en Syrie, tout autant que la presse francophone.
Nous ne le dirons jamais assez. Ce que demandent les Syriens, victimes de la terreur des groupes armés depuis 2011, est de dire la vérité sur ce qu’ils endurent. Une vérité totalement travestie par la presse occidentale et ses « envoyés spéciaux » ou « grands reporters », du Monde, de Libération, de la TSR, du Courrier [la liste est longue], qui se sont rendus en grand nombre à Alep en été 2012 dans les zones occupées par les « rebelles ». Tous pour diaboliser le président Bachal el-Assad. [Arrêt sur Info]
Père Rodrigo Miranda, 40 ans, est missionnaire de l’Institut du Verbe incarné. Il a passé les quatre dernières années de sa vie en Syrie, dans l’enfer d’Alep. Prêtre de la cathédrale de l’Enfant Jésus, ceci depuis 2011, il a assisté ses paroissiens dans une ville assiégée depuis trois ans, prise entre violences, meurtres et enlèvements.
Il est de retour à Rome depuis quelques mois. C’est là que nous l’avons rencontré pour recueillir son témoignage. Le témoignage de ceux qui ont vécu au cœur de cette bataille d’Alep, qui a commencé l’été 2012. A elle seule, elle résume la tragédie de la population syrienne. Celle d’un peuple, qui vivait dans la ville la plus riche et la plus peuplée de la Syrie, et qui se retrouve d’un coup au centre d’un affrontement violent entre « rebelles » [groupes armés extremistes - Ndlr] et l’armée d’Assad. Un drame qui a coûté la vie à des milliers de civils.
Un conflit artificiel.
« Avec sa mosaïque de cultures et de religions, Alep a toujours été une ville modèle, un exemple de coexistence entre chrétiens et musulmans » dit Père Rodrigo. «La guerre a surgit soudainement, dirigée contre des personnes qui ne s’attendaient pas à une telle violence, surtout pour un conflit totalement artificiel « .
Cette affirmation nous intrigue. Rodrigo Miranda s’en explique :
« Le peuple syrien n’a jamais demandé un changement, ni politique, ni culturel. Jamais. Pour lui, c’était bien, tel que c’était. Je ne veux pas pour autant canoniser Assad, » poursuit-il. « Mais je tiens à dire que ce conflit a été le résultat d’un processus extrêmement rapide et violent. Parmi les combattants, seulement 2% sont des Syriens, en réalité. La majorité sont des étrangers, de 83 nationalités différentes. »
Les persécutions contre les chrétiens.
Avant la guerre, les chrétiens d’Alep étaient environ trois cents mille. Quatre mille fréquentaient la paroisse du Père Rodrigo, ils ne sont plus aujourd’hui… que vingt-cinq ! Les autres se sont se sont enfuis ou bien « ils ont été tués; les morts sont en majorité des femmes et des jeunes. Beaucoup ont été enlevés», raconte le prêtre.
En effet les chrétiens, plus que d’autres en Syrie, ont été pris pour cibles par les groupes islamiques radicaux. «Ceci parce que les chrétiens ont une grande influence dans de nombreux domaines de la société. Mais également car ils savent dialoguer, s’ouvrir à l’autre et le respecter. Quand nous entendons que l’EIIL avance dans le nord de l’Irak ou la Syrie, c’est justement parce que ces zones sont peuplées par les chrétiens. Or la réponse d’un chrétien est très différente de celle d’autres groupes de populations. »
Sur le front humanitaire, la situation ne se améliore pas: « Hier, j’ai parlé avec mes paroissiens : ils n’ont pas d’eau, ni de lumière, ni d’électricité depuis douze jours. Les Nations Unies ont promis d’envoyer de l’aide, promesses restées lettre mortes »
Un degré de violence inouïe.
A quelques mètres de la paroisse du Père Rodrigo, c’était l’Université d’Alep. Le 15 janvier 2013 elle fut la cible d’une violente attaque. Des centaines de jeunes étudiants ont été tués. « Il était midi, heure de pointe, quand sont tombés trois missiles. L’université était bondée, la rue pleine de monde» raconte le prêtre. «Quand le premier missile est tombé, j’ai commencé par aider les gens qui étaient là. Puis, alors que je courais à l’université pour porter secours aux autres, j’ai vu le deuxième missile arriver. J’ai cherché refuge entre un mur et quelques voitures. J’ai entendu un bruit, un étrange silence, puis ce fut le désastre. Un massacre ».
«Au début, » poursuit-il, « il a été rapporté que les missiles provenaient de l’armée d’Assad. Mais notre quartier est contrôlé par l’armée; cela aurait été comme si l’armée avait tiré sur ses propres troupes. Ensuite on a prétendu que l’armée avait frappé par erreur. Mais si tu te trompes une fois, tu te trompes une fois… mais pas trois. L’autre hypothèses voulait que les « rebelles » [groupes armés extrémistes - Ndlr] tiraient pour frapper l’armée qui contrôlait notre quartier. »
Le souvenir qui a le plus marqué le prêtre était « le degré de violence contre les civils. »
Nous écoutons son histoire et une seule question nous vient à l’esprit, la plus banale. N’a-t-il jamais eu peur? Il répond avec un sourire: « Jamais. Dans ces secondes là, on ne réussit même pas à avoir peur. On pense seulement à aider. »
Les mensonges de l’information. « Ce que veut le peuple Syrien, par-dessus tout, c’est que l’on dise enfin la vérité sur ce qui se passe réellement en Syrie. La désinformation sur le conflit a été énorme. » affirme le prêtre.
Nous lui demandons quel est le plus grand mensonge. Il nous répond sans hésiter : « Celui des gouvernements, qui veulent cataloguer à tout prix comme « dictateurs » tous ceux qui ne font pas comme ils le veulent, eux. Vous ne pouvez pas appliquer la « démocratie » au sens où nous l’entendons, à des pays, dont le contexte culturel est totalement différent du notre. Le respect de la diversité et de la culture de l’autre est une condition préalable pour assurer la paix. »
Sinon le risque est celui d’une «radicalisation toujours croissante. » Qui est prête de se propager en Europe, comme cela est déjà le cas.
Alessandra Benignetti et Roberto Di Matteo | 17 Février, 2015
Article original: http://www.repubblica.it/solidarieta/volontariato/2015/02/17/news/aleppo-107564261/
Traduit par Elisabeth Brindesi pour Arrêt sur Info
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé