Un sommet de l’Union européenne (UE) de deux jours a pris fin hier à Bruxelles sans accord sur la guerre en Syrie, ni sur l’Accord économique et commercial global (AECG) avec le Canada, ni sur la sortie de la Grande-Bretagne de l’UE.
Il est de plus en plus clair que le vote pour le Brexit de cet été a marqué une étape importante dans une désintégration continue de l’UE. Déchirée par de multiples conflits, surtout autour de la campagne américaine belliqueuse contre la Russie et la Chine et ses relations avec Washington, l’UE est incapable non seulement de parvenir à un accord commun sur la politique à suivre, mais aussi de cacher les tensions de plus en plus vives entre ses États membres.
Le sommet des ministres des Affaires étrangères de lundi a montré que l’UE devrait rejeter la pression des États-Unis pour plus de sanctions contre la Russie liée à la situation en Syrie. Ces sanctions menacent de paralyser l’économie déjà moribonde de l’UE. L’Allemagne, la Grande-Bretagne et la France espéraient néanmoins forcer le passage d’une résolution de l’UE condamnant hypocritement les bombardements russes des milices de l’opposition soutenues par l’OTAN à Alep et se référant à la possibilité d’imposer de nouvelles sanctions contre la Russie dans le futur. Cela n’a pas réussi, cependant, en raison de l’opposition du Premier ministre italien, Matteo Renzi.
Après de longs débats, jeudi soir, les dirigeants européens sont apparus après 2 heures du matin le vendredi pour exposer leurs positions contradictoires sur la Syrie et la Russie.
Avec le système bancaire italien au bord de l’effondrement et un référendum constitutionnel prévu le 4 décembre, Renzi avait apparemment calculé que, même la mention des sanctions était une menace intolérable pour l’Italie, qui a des liens commerciaux et énergétiques étroits avec la Russie.
« Je pense que faire référence dans le texte à des sanctions n’a pas de sens », a-t-il dit. « Je pense donc que les mots que nous avons écrits dans le document final sont les bons – à dire que nous devons faire tout notre possible pour promouvoir un accord en Syrie ».
Les commentaires de Renzi ont attiré une réplique mordante de Varsovie, qui s’est étroitement aligné sur la poussée américaine belliqueuse contre la Russie. Le vice-ministre des Affaires étrangères polonais, Konrad Szymanski, a affirmé qu’il y avait un soutien « sans équivoque » pour une action contre la Russie. « Toutes les options couvrent les sanctions, et divers outils limitant la Russie par rapport à ce qui se passe en Syrie aujourd’hui », a-t-il dit. Toute « absence de changement de comportement de la Russie en Syrie va nous amener à revenir sur ce sujet très rapidement ».
La tension a également éclaté entre Varsovie et Berlin sur le conflit avec la Russie. Dans le Financial Times, Szymanski a écrit un commentaire attaquant le gazoduc « Nord Stream » reliant la Russie et l’Allemagne via la mer Baltique. La Pologne et d’autres pays d’Europe orientale se sont longtemps opposées à ce pipeline, négocié en 2005 par Moscou et Berlin, craignant que l’Allemagne puisse se ravitailler en gaz, même si les conflits avec la Russie conduisaient Moscou à couper leurs approvisionnements en énergie.
Qualifiant ce pipeline de « cheval de Troie, capable de déstabiliser l’économie et d’empoisonner des relations politiques à l’intérieur de l’UE », Szymanski a averti qu’il « pourrait faire l’objet d’une contestation judiciaire par la Pologne ou d’autres pays, à la Cour [la Cour de justice de l’UE] si besoin est. »
Les contradictions insolubles qui se manifestent à l’intérieur de l’UE reflètent les conflits amers entre les grandes puissances impérialistes au milieu de la poussée belliqueuse téméraire menée par les États-Unis contre la Russie et la Chine.
L’année prochaine marquera un quart de siècle depuis la signature du Traité de Maastricht, qui a fondé l’Union européenne. Depuis lors, les illusions que la restauration du capitalisme en URSS et la fondation de l’Union européenne pourraient unifier l’Europe, apportant la paix, la prospérité et la démocratie à tous, ont été brisées. L’économie européenne stagne au milieu du chômage de masse et des attaques contre les droits sociaux, en dépit des milliers de milliards d’euros d’aumônes aux banques. Pendant ce temps, l’Europe s’est à nouveau militarisée, tandis que l’OTAN déploie des dizaines de milliers de soldats au Moyen-Orient et le long des frontières de la Russie en Europe.
L’UE est en train de susciter témérairement la propagande anti-russe, couvrant son propre rôle dans l’armement des milices islamistes de l’opposition syrienne à Alep et dans l’assaut sanglant sur Mossoul. Alors que l’OTAN fait écho à la ligne de Washington qui consiste à justifier l’augmentation des dépenses militaires et d’inciter à l’hystérie de l’État policier sur le front domestique, les rivalités inter-impérialistes en son sein sont de plus en plus impossibles à cacher.
Refusant de renoncer à l’accès à des occasions de profit en Russie et en Chine, la plupart des puissances de l’UE ont rejeté les appels des États-Unis à des sanctions économiques majeurs contre la Russie ou une action contre la Chine, telle un boycott de sa Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (AIIB).
Cela va de pair avec des tensions militaires et économiques de plus en plus visibles. L’an dernier, Berlin et Paris se sont opposés sur le plan de la CIA d’armer les milices nationalistes Ukrainiens contre la Russie, dont ils redoutaient qu’il provoque des représailles militaires de la Russie ; cette année, les responsables de l’UE ont déclaré qu’ils ne prendraient pas position dans le conflit de Washington avec Pékin en mer de Chine du Sud. Des responsables de l’UE maintenant sont en train d’annoncer des plans pour une armée européenne indépendante de Washington, provoquant des déclarations ouvertes d’hostilité du gouvernement britannique.
Ces tensions ont menacé de dégénérer en guerre commerciale cet automne, l’UE imposant une amende de plusieurs milliards d’euros à Apple pour évasion fiscale en Irlande, et Washington ripostant avec une amende massive contre la Deutsche Bank en difficulté. L’escalade de ces conflits inter-impérialistes sous-tendait l’échec du sommet à parvenir à un nouvel accord sur l’AECG et le Brexit.
Les négociations sur l’AECG ont échoué hier, moins de deux mois après que les responsables allemands et français ont appelé à la fin de pourparlers avec Washington sur le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI). L’opposition est venue de la région belge francophone de Wallonie, qui exigeait plus de protection pour les agriculteurs européens face à la concurrence canadienne. Les responsables wallons auraient également pour but de saper la région Flandre économiquement dominante en Belgique, dont le gouvernement soutient l’AECG.
En quittant la Belgique, le ministre du Commerce du Canada, Chrystia Freeland, a déclaré : « Il semble évident pour moi et pour le Canada que l’Union européenne n’est pas actuellement capable d’avoir un accord international, même avec un pays qui a des valeurs aussi européennes que le Canada […] Le Canada est déçu, mais je pense que c’est impossible ».
La difficulté de la négociation de ces accords commerciaux souligne également les conflits profonds qui sont prêts à se lever quand Londres commencera le processus de sortie de l’UE, et tentera de renégocier ses accords commerciaux, qui jusqu’à présent ont été établis sous l’égide de l’UE. Bien que peu de détails aient émergé des discussions de jeudi soir sur le Brexit entre des responsables de l’UE et le Premier ministre britannique Theresa May, qui assistait à son premier sommet de l’UE, la tension monte clairement dans les coulisses.
Le dirigeant du Parti du peuple européen, Manfred Weber, a menacé Londres parce qu’elle est en train de bloquer les projets d’armée européenne et d’une capacité militaire qui serait indépendante des États-Unis et de la Grande-Bretagne.
« Quand quelqu’un veut quitter un club, il n’est vraiment pas normal qu’un tel membre qui veut quitter le club veuille aussi décider de l’avenir de ce club. Cela, le comportement du gouvernement britannique, est vraiment en train de créer beaucoup de colère », a-t-il déclaré à la BBC. Il a ajouté : « Je pense qu’il est tout à fait compréhensible que nous, en tant qu’Allemands, Français, et Italiens, pensons à notre – et non pas le vôtre – projet à long terme. S’il vous plaît, ne l’arrêtez pas, ne le bloquer pas, parce que cela va avoir beaucoup d’effet sur les négociations du Brexit si vous le faites ».
Alex Lantier
Article paru d’abord en anglais, WSWS, le 23 octobre 2016
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé