Deux ans et demi après les attentats meurtriers à Saint-Jean-sur-Richelieu et Ottawa, le Canada est-il mieux outillé pour éviter une attaque terroriste comme celle qui vient de secouer la Grande-Bretagne? Rien n’est moins sûr.
«Tous les corps policiers en font beaucoup. On travaille très fort avec la population. Mais on ne peut pas toujours prévenir ce qu’il y a dans la tête des gens», déclarait cette semaine au Journal la surintendante Martine Fontaine, de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), ex-patronne des enquêtes de sécurité nationale au Québec.
«Mal préparé» en 2014
En mars 2015, la Police provinciale de l’Ontario (OPP) rendait un verdict aussi implacable qu’inquiétant après avoir analysé l’intervention de la GRC lors de la fusillade sur la Colline du Parlement, le 22 octobre 2014.
Ces «incidents regrettables» ont «brutalement rappelé que le Canada est mal préparé pour empêcher ce genre d’attaque et pour y faire face», concluait l’OPP.
Et si l’assaillant Michaël Zehaf-Bibeau, originaire de Montréal, n’avait pas agi «de manière improvisée, «la situation aurait pu être bien pire et le nombre de victimes, beaucoup plus élevé».
Selon l’OPP, «une attaque organisée comme celle qu’a vue la France en janvier 2015» aurait alors eu des «résultats catastrophiques» dans la capitale.
Pas «si», mais «quand»...
Il y a neuf mois, la GRC a réussi à éviter un attentat terroriste en Ontario, criblant de balles le djihadiste Aaron Driver, qui était alors armé d’une bombe à bord d’une voiture de taxi.
Mais c’est grâce au FBI américain qui avait alerté la police canadienne, le matin même, après avoir mis la main sur une vidéo dans laquelle Driver, le visage masqué, annonçait qu’il passerait aux actes ce jour-là.
«On a été chanceux. On n’a subi aucun attentat au Canada depuis les deux de l’automne 2014, et ceux-là étaient désorganisés. Malheureusement, on ne les préviendra pas tous. Ce n’est pas une question de savoir si on en aura, mais plutôt quand ça arrivera», observe Michael Zekulin, enseignant à l’université de Calgary et expert sur le terrorisme.
Partie d’échecs
Le professeur compare la tâche des policiers et du Service canadien de renseignement et de sécurité (SCRS) à une «partie d’échecs où chaque joueur tente de prévoir à l’avance les quatre ou cinq prochains coups de l’adversaire.
«C’est très difficile, parce que les terroristes s’adaptent aux méthodes policières et évoluent, a-t-il dit au Journal jeudi dernier. On regarde ce qui est arrivé ailleurs: ils ont utilisé des couteaux, des armes à feu, des bombes ou des véhicules et frappé dans des espaces publics, des salles de spectacles ou des amphithéâtres.»
Selon lui, les forces de l’ordre ont jusqu’à maintenant eu du succès dans la traque et la surveillance de quelque 180 Canadiens fichés comme étant radicalisés, dont le tiers sont des «voyageurs extrémistes» de retour au pays après être allés s’entraîner pour faire le Djihad dans des pays comme la Syrie ou l’Irak.
«C’est peu. La Grande-Bretagne doit en surveiller de 2000 à 3000. Mais on ne peut pas s’asseoir sur nos lauriers.»
Dernière ligne de défense
Il est «farfelu» de croire qu’on peut prévenir et endiguer totalement cette menace, croit un autre spécialiste, le professeur Stéphane Leman-Langlois, de l’Université Laval.
Par contre, il estime que «la menace réelle» d’un attentat terroriste islamiste au Canada ou au Québec est «extrêmement faible».
«En Europe ou en Israël, ce sont les ligues majeures. Ici, on est des pee-wee», a-t-il imagé. Mais ça pourrait changer, prévient-il en déplorant qu’au Canada, on a tendance à «attendre que ça saute» avant d’agir.
«Jusqu’à maintenant, on a seulement investi dans les forces policières et le SCRS, qui sont notre dernière ligne de défense.»
Ressources limitées
La GRC prévoit que ses dépenses budgétaires bondiront de 600 millions $ cette année, par rapport à celle qui a suivi les attentats de 2014, principalement en raison des coûts des enquêtes sur la sécurité nationale.
Il y a sept mois, le patron de la GRC, Bob Paulson, disait néanmoins manquer de ressources pour suffire à la tâche devant un comité de députés fédéraux.
«Nous ne cessons de transférer du personnel des secteurs du crime organisé et de l’intégrité financière aux enquêtes antiterroristes. Il est très difficile de soutenir la cadence. Ce n’est pas viable à long terme. Nous controns les menaces du mieux que nous pouvons, mais il y a un coût», affirmait le commissaire Paulson, le 6 octobre dernier.
Cette situation perdure encore, n’a pas caché la surintendante Fontaine.
Au cabinet du ministre fédéral de la Sécurité publique, Ralph Goodale, on se dit «déterminé à s’assurer que les membres de la GRC ont les ressources et le soutien dont ils ont besoin pour assurer la sécurité des Canadiens».
«Au cours de ses quatre dernières années au pouvoir, le gouvernement Harper a coupé plus d’un demi-milliard de dollars à la GRC», a rappelé son attaché de presse, Scott Bardsley.
Miser sur le public
Pour Stéphane Leman-Langois, la solution est ailleurs.
«On ne déploie presque rien en prévention et en déradicalisation. Sur ce plan, on est très en retard sur plusieurs pays. La police est à la remorque des informations du public. Et le public doit avoir confiance aux policiers. Pour que ça marche, ça prend plus que des policiers sur le terrain qui savent faire la différence entre un radicalisé et quelqu’un qui s’est juste fait pousser la barbe.»
Le SCRS, dont le budget de 179 millions de dollars en l’an 2000 a maintenant triplé, ne le contredit pas.
En octobre dernier, son ancien directeur, Michel Coulombe, a même cité en exemple le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence, ouvert à Montréal depuis deux ans et financé par la Ville et le gouvernement québécois.
«Le fait que des gens observent des signes de radicalisation et en informent le SCRS ou les corps policiers, c’est extrêmement important, disait-il devant un comité parlementaire. Le meilleur exemple a été mis en place à Montréal pour aider les communautés et les familles à prévenir la radicalisation. Je crois que nous devrions nous inspirer du modèle montréalais.»
Menace modérée
Sur l’échelle d’évaluation de la menace terroriste au Canada, le niveau actuel se situe à «modéré», et ce, depuis les deux attentats d’octobre 2014. Cela signifie qu’«un attentat terroriste violent pourrait survenir». C’est le Centre intégré d’évaluation du terrorisme, un organisme fédéral d’experts relevant du ministère de la Sécurité publique, qui est responsable de cette évaluation.
Protéger le droit à la vie privée
78 % des Canadiens s’opposent à une loi accordant à la police des pouvoirs accrus d’interception et d’enquête sur internet pour mieux lutter contre le terrorisme, selon les résultats d’une consultation en ligne dévoilés le 19 mai et par laquelle Sécurité publique Canada a sondé 58 933 répondants.
Quelques attentats terroristes au Canada
Le 23 juin 1985, le vol 182 d’Air India assurant la liaison Montréal-Londres-New Delhi explose au-dessus de l’océan Atlantique, faisant 329 victimes, dont 268 Canadiens. Les autorités soupçonnent des terroristes sikhs d’avoir commis l’attentat. L’enquête a cafouillé, et un seul accusé a été condamné pour meurtre.
Le 2 juin 2006, la GRC arrête 18 personnes — surnommés «les 18 de Toronto» — qui planifiaient d’attaquer la Tour du CN, le Parlement d’Ottawa, la Banque de Toronto, de prendre des otages et de décapiter le premier ministre Stephen Harper. Le groupe réclamait le retrait des soldats canadiens en Afghanistan. Son leader a écopé de 16 ans de pénitencier.
En avril 2013, le Montréalais Chiheb Esseghaier et le Torontois Raed Jaser sont accusés d’avoir voulu faire dérailler un train de Via Rail pour le compte d’Al-Qaïda. Esseghaier a été piégé par une taupe du FBI lors du complot. Les deux hommes ont été condamnés à l’emprisonnement à perpétuité en 2015.
Le 20 octobre 2014, Martin «Ahmad» Couture-Rouleau, est abattu de 11 balles par les policiers après avoir tué l’adjudant Patrice Vincent en l’écrasant avec sa voiture et après avoir décrié les frappes militaires canadiennes contre l’État islamique lors d’un appel au 911.
Le 22 octobre 2014, Michaël Zehaf-Bibeau, qui protestait contre l’action militaire canadienne au Moyen-Orient, abat le caporal Nathan Cirillo devant le Monument commémoratif de guerre du Canada, à Ottawa, avant d’entrer au Parlement, où il est criblé de balles par les agents de sécurité.
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