Les fuites sur le rapport sur le financement de la santé que Claude Castonguay doit remettre la semaine prochaine n'annoncent rien de bon. Les trois commissaires, qui représentent chacun l'un de nos trois partis politiques, ne semblent pas capables d'atteindre un consensus et les propositions semblent au premier abord décevantes, un peu plus de privé, un peu plus d'impôts.
Mon but n'est pas de commenter un rapport que je n'ai pas lu et qui n'a pas été rendu public, ce qui serait fort inélégant. Mais les difficultés apparentes des commissaires permettent de mettre en relief deux éléments qui sont au coeur du débat sur la santé et qui, manifestement, n'ont pas été résolus.
Le premier, c'est l'impasse idéologique. Au Canada et au Québec, le débat sur les réformes de la santé est d'abord un débat idéologique, parce que la santé est devenue le dernier terrain de bataille où s'affrontent deux conceptions de la société et du rôle de l'État. C'est un débat unique en Occident, car aucun autre pays n'a fait de l'universalité et du caractère public des principes sacrés. Cela s'explique par la nature identitaire que revêt la santé, tant au Québec qu'au Canada. Un des résultats, c'est l'accent démesuré consacré de part et d'autre à la question assez mineure de la place du privé.
Le second, c'est l'impasse organisationnelle. Le système de santé est complexe. Il fait face à des contraintes considérables, tant en ressources humaines qu'en ressources financières. C'est une grosse machine, difficile à transformer. Et donc, a priori, cela exclut des solutions simples et rapides. Par conséquent, les propositions de réformes seront toujours en deçà des attentes et apparaîtront invariablement décevantes.
On a pu le voir en novembre dernier quand le Collège des médecins a rendu public le fruit de son exercice de réflexion, le Sommet sur la santé. Cette démarche, qui avait été amorcée en grande pompe, qui se voulait audacieuse avec sa volonté de réfléchir au système de santé en excluant les politiciens, a finalement accouché d'une souris. Parce que les solutions sont compliquées, et que les consensus sont impossibles.
Et cela mène, pour l'immédiat, à deux conclusions. La première, c'est un appel à la prudence. En raison de la complexité du système et des sensibilités idéologiques, il ne faut pas bulldozer les réformes, il faut y aller doucement et avec tact. Parce que le réseau repose sur le travail et le talent d'humains, qu'on ne doit pas inutilement déstabiliser, et parce qu'il est là pour servir d'autres humains à des moments parfois difficiles, confrontés à la douleur, à la maladie et à la mort.
La seconde, c'est qu'il faut éviter les grandes théories et les pièges de l'idéologie où on se braque inutilement. C'est ce que fait actuellement le ministre de la Santé, Philippe Couillard, avec ce que l'on pourrait appeler une stratégie des petits pas. La semaine dernière, il a salué l'entente intervenue entre l'hôpital du Sacré-Coeur et une clinique privée, Rockland MD, pour fournir un soutien à des opérations. Il ne s'est pas lancé dans ces grandes théories, mais a appuyé un cas concret d'activité privée, qui permet de comprendre de quoi on parle et où on s'en va. Une approche essentiellement pédagogique.
Mais il va falloir aller plus loin que cela sur la voie des réformes. Même si les idéologues de gauche essaient de le nier, les dépenses de santé augmentent rapidement, à cause du vieillissement, de la place croissante des médicaments et des technologies, mais aussi parce que les baby-boomers ont des attentes qui exercent des pressions sur le système, et que la santé n'échappe pas aux courants sociaux, le culte de la consommation ou la méfiance de l'État. À cela s'ajoute, au Canada et au Québec, le fait que notre système, plus rigide qu'ailleurs, se fait rattraper par la réalité.
Comme dans bien d'autres domaines, si on ne veut pas continuer à tourner en rond, il va falloir apprendre à penser autrement, et à poser les problèmes d'une autre façon. C'est pour cela, je pense, qu'il faudra s'attaquer un jour à deux grands tabous.
Le premier, c'est l'importance de désacraliser la santé, d'accepter qu'il s'agisse d'une activité humaine comme les autres, y compris une activité économique. Le second, c'est qu'en retournant aux sources, aux grandes valeurs à la base de notre système de santé, on peut montrer qu'on a fait fausse route dans notre interprétation du principe de l'égalité de tous face à la santé. En brisant ces tabous, on peut arriver à des conclusions étonnantes, qui n'ont rien à voir avec une apologie d'un système à l'américaine. J'y reviendrai dans les prochains jours.
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