Encore un rebondissement dans l’interminable débat autour de Rabaska, le projet d’un port méthanier à Lévis.
Cette fois-ci, le mouvement d’opposition, qui combat le projet sans relâche depuis quatre ans, a retrouvé de la vigueur depuis que l’on a découvert, grâce au quotidien Le Soleilà Radio-Canada, que le gouvernement Charest refusait de rendre publics les avis sur le projet émis par certains ministères, dont celui de l’Énergie et des Ressources naturelles. On sait sur quel piton on pèse lorsqu’on réussit à agiter l’existence d’une étude secrète.
Je suis ambivalent sur la question. D’un côté, je me méfie du secret et je crois que, dans une société démocratique, le maximum d’information doit être disponible pour que la collectivité puisse exercer son jugement, surtout dans le cas d’un projet qui ne fait pas consensus.
Mais d’un autre côté, ce pacte doit jouer dans les deux sens. Si on s’oppose aux décisions prises derrière des portes closes, si on veut participer au processus décisionnel, si on privilégie une sorte de démocratie participative, il faut aussi accepter les règles du jeu du fonctionnement d’une démocratie.
On se doute bien que si le gouvernement hésite à rendre ces avis publics, c’est que certains éléments de ces textes ne sont pas favorables au projet ou soulèvent des interrogations.
Ce ne serait que normal. Rabaska, ce n’est pas une plate-bande d’annuelles odorantes. C’est un port, un projet industriel, avec des réservoirs, des méthaniers, un gazoduc, et du gaz, qui n’est pas de l’oxygène. Un tel projet comporte des risques, des inconvénients, des coûts. L’essence même de la réflexion, c’est de voir si les « plus » l’emportent sur les « moins ».
Le premier problème, c’est que, dans la logique militante, on refusera de faire cet exercice, et on ne parlera que des moins, encouragés en cela par la dynamique médiatique.
Le deuxième problème, c’est qu’un débat public doit un jour mener à une décision. Il y a des mécanismes pour cela. Dans ce cas-ci, le BAPE a tenu des audiences conjointes avec les autorités fédérales, et a donné son feu vert, la santé publique aussi, le gouvernement élu aussi. Mais ça ne suffit pas. Ceux qui sont contre ne lâcheront jamais et ne se plieront pas à des mécanismes d’arbitrage et à des processus décisionnels.
Le troisième problème, c’est qu’en démocratie, il y a une telle chose que la majorité. Ce projet, qui jouit d’un appui certain, est bloqué par une minorité.
Et voilà pourquoi la transparence, certainement souhaitable, est souvent suicidaire. Comment résoudre ce dilemme ? Honnêtement, je ne le sais pas.
Mais au fait, est-ce que j’ai le droit, moralement, de parler de cela ? Au cas où vous ne seriez pas au courant, un des deux partenaires de Gaz Métro, dans ce projet, est Gaz de France. Cette société d’État française est en voie d’être privatisée et fusionnée avec le groupe Suez, dont Power Corporation est actionnaire.
Cela amène les opposants, le collectif Stop au méthanier, à dénoncer « les vrais bénéficiaires » et la « filière économique (les Power Corporation, etc.) » Je suis donc en conflit. Si j’appuie Rabaska, c’est certainement pour défendre les intérêts des propriétaires des journaux où j’écris.
Il faut dire que j’ai écrit sur ce projet depuis 2004, deux années avant que l’idée de la privatisation de GDF ne voie le jour. Mais comme je sais que l’argument ne suffira pas à ébranler l’anticapitalisme primaire, je me suis aussi amusé à faire un petit calcul.
En gros, Power détient 64,4 % de la Corporation financière Power. En simplifiant un peu l’organigramme, celle-ci détient, à parts égales avec le Groupe Frères Bourgeois, 54,1 % des actions Pargesa, qui détient 48,3 % du Groupe Bruxelles Lambert, qui détient à son tour 9,4 % du groupe Suez.
Après la fusion avec Gaz de France, GBL détiendra plutôt 5,3 % de la nouvelle entité. C’est un calcul mécanique qui ne tient pas compte des droits de vote ni de l’influence réelle des actionnaires. Mais si mes calculs sont bons, cela signifie, en fin de compte, que Power détient 0,0044593 ou 4 dixièmes d’un pour cent de GDF-Suez. Et comme Gaz de France était un des trois partenaires de Rabaska, Power détiendrait en fait un peu plus d’un dixième d’un pour cent du projet.
Si Rabaska, qui projette des recettes de 46 millions par année, réussissait à faire des profits de 10 millions, une hypothèse très optimiste, la part de Power serait de 14 864 $ !
Il y a des enjeux plus importants que cette poignée de dollars. À commencer par la diversification des sources d’approvisionnement et la place du gaz naturel dans une stratégie de réduction des gaz à effets de serre.
- source
Le débat sans fin
Et voilà pourquoi la transparence, certainement souhaitable, est souvent suicidaire.
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