Elle est fascinante, la réaction des vaincus du référendum britannique. Comme le dit Jacques Attali, ce n’est quand même pas vrai que le peuple, en se prononçant, peut se permettre d’entraver la marche de l’histoire! On veut bien croire à la démocratie, mais pas au point de donner le droit à nos adversaires de gagner. Si le peuple est trop bête pour connaître la direction du progrès, alors on la lui imposera de force. On se demande ainsi ces jours-ci, à mots couverts, de quelle manière neutraliser politiquement les effets du Brexit. Les médias s’en mêlent en menant après coup une campagne déchainée contre ceux qui ont eu le culot de voter Leave. Ce sont les deux minutes de la haine et le quart d’heure du défoulement. C’est dans de tels moments qu’on comprend à quel point les grands médias sont généralement des machines à relayer l’idéologie dominante. On écoute les émissions consacrées à la question et on se demande si ceux qui les animent sont conscients de se transformer en militants, avec leurs panels orientés, leurs questions idéologiquement tournées et leur condescendance lorsqu’ils parlent des mauvais électeurs.
Quoi qu’il en soit, on a trouvé le nouvel angle d’attaque contre les électeurs du Leave : ce serait une triste coalition de gens plus ou moins dignes de peser sur le destin d’un peuple. Ils vivraient en région, loin des sophistications de la vie urbaine et ils ne seraient pas assez éduqués. Surtout, ils seraient trop vieux. Salauds de pauvres, comme dirait Gabin! Abjects vieillards! Les électeurs âgés auraient fait preuve d’égoïsme en confisquant l’avenir de la jeunesse et en l’empêchant de vivre son grand rêve cosmopolite et européen (on ne se demande jamais au passage les raisons qui expliquent cet enthousiasme europhile de la jeunesse et si le programme globaliste est valable, au-delà du fait qu’il soit porté par les jeunes. La jeunesse, dans l’histoire, n’a-t-elle pas fait la preuve qu’elle pouvait se tromper?) Les électeurs «âgés» pour le Brexit seraient un peu toqués, probablement xénophobes et certainement accrochés à une idée de la Grande-Bretagne complètement déphasée, étrangère à la logique de la mondialisation. Les vieux, en un mot, seraient un poids écrasant pour la jeunesse britannique. Et en plus, pour rajouter l’insulte à l’injure, les vieilles générations seraient moins diversifiées que les anciennes. Raison de plus pour les disqualifier moralement lors d’un tel exercice. Une journaliste française a osé la question : ne devrait-on pas, à partir d’un certain âge, leur retirer le droit de vote?
Si j’étais un homme d’une certaine gauche, toujours occupée à inventer des phobies dès que je désapprouve quelque chose, je dirais que ceux qui tiennent ce discours anti-vieux font preuve d’une gérontophobie absolument décomplexée. Si j’étais aussi effronté qu’une commission des droits, je parlerais même de racisme anti-vieux! Mais puisque je ne suis ni de la gauche multiculturelle, ni une commission des droits, je me contenterai de dire que les adversaires du Brexit auraient manifestement préféré exclure de la consultation référendaire les catégories de la population que les sondages disaient animées par quelque chose comme un sentiment souverainiste britannique. En gros, elle veut exclure ceux qui votent généralement du mauvais côté, même si elle ne sait pas trop quoi faire. Pour l’instant, elle se contente de culpabiliser après coup les électeurs qui ont mal voté. Qui sait, ça pourrait justifier, dans les prochaines semaines ou les prochains mois, un «compromis» qui verrait les élites européennes renverser le résultat du vote.
Qu’on me permette une petite observation au passage : il fut un temps où ce qui passait pour la gauche avait le souci des classes populaires. Aujourd’hui, elle les méprise. Ses nouveaux exclus, ceux dont elle a besoin pour se faire croire qu’elle lutte pour la justice sociale, doivent appartenir à la diversité. Eux seuls sont dignes de son attention. Les autres ne méritent rien d’autre qu’un peu ou beaucoup de mépris à cause de leur patriotisme obstiné et de leur conservatisme culturel. La gauche mondaine, multiculturelle, cosmopolite et eurolâtre se fait désormais une fierté de son snobisme social et idéologique : elle ne veut pas toucher les gueux et autres bouseux et s’exaspère de leur capacité à entraver la bonne marche de l’histoire. Il ne faut pas se surprendre, ensuite, que ces classes populaires se cherchent de nouveaux véhicules politiques pour exprimer leurs préoccupations.
Mais trève de lamentations, il faut préparer l’avenir! Faudrait-il, si un nouveau référendum se présentait, composer un nouveau collège électoral pour les décisions référendaires? Comment faire le tri, dès lors, dans le peuple, entre ceux qui seront autorisés à voter et ceux qui ne le seront pas? Faut-il donner seulement un demi-vote aux vieux, et deux votes aux jeunes? Mais d’un pays à l’autre, la jeunesse ne se comporte pas toujours de la manière. Dans un pays, elle est europhile, dans l’autre, elle est eurosceptique et même populiste. Cela pourrait causer problème particulièrement en France où ce sont les retraités qui sont le plus favorables au maintien de l’Euro et du cadre européen.
Finalement, la solution la meilleure et la plus simple, ce serait de demander à ceux qui se présentent aux urnes pour qui ils votent. S’ils votent bien, on les lasse voter et on leur offre même une glace. Et peut-être même, pourquoi pas, un deuxième vote, histoire de s’assurer qu’ils pèsent vraiment sur l’avenir de la nation. S’ils votent mal, on les congédie et on leur dit de ne plus revenir. Dehors! Évidemment, il faudrait conserver quelques électeurs du mauvais bord pour maintenir une apparence démocratique. Pourquoi pas 10%? Ou même, soyons généreux, 15%! Ainsi, le progrès autoproclamé pourrait en plus se féliciter de tolérer la présence de ses contradicteurs dans la vie électorale, sans risquer toutefois d’être écorché par eux. On s’assurera de sélectionner des édentés adipeux habillés en coton ouaté. Ainsi, ils nous renverront même, par effet de contraste, une belle image de nous-même. Ce serait le meilleur des mondes, non?
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