Cette fois, j’ai vraiment cru que ça y était : on changerait de mode de scrutin au Québec en 2022.
Je ne suis pas un « croyant » en la matière. Je me suis toujours demandé, par exemple, comment on aurait pu faire une révolution tranquille avec des gouvernements de coalition. Et on sait que les modes de scrutin proportionnel ont tendance à en produire beaucoup.
Mais bon, il y aurait sans doute des formules mitoyennes, des proportionnelles « régionales », modérées, etc. Il y en a autant que de sortes de fromage en France, paraît-il.
Chose certaine, les caquistes avaient l’air déterminés, en public comme en privé. François Legault répétait qu’il allait déposer un projet de loi et qu’il ferait tout pour le faire adopter.
Nul besoin de l’appui du Parti libéral (seule formation qui s’y opposait), répétait-il. En campagne électorale, le chef caquiste avait même déclaré qu’un référendum était inutile : « Il y a de grandes, grandes chances qu’il y ait 50 pour cent plus 1 des députés qui soient des députés de la CAQ, du Parti québécois, pis de Québec solidaire, le 1er octobre au soir. » Un vote largement majoritaire en Chambre suffirait.
Volte-face
Tout a changé dans les dernières semaines.
D’abord, le Directeur général des élections a soutenu qu’il manquerait peut-être de temps pour adopter la réforme avant le scrutin de 2022. La réaction du gouvernement donnait l’impression qu’il trouvait ça bien commode !
Puis les réticences prévisibles au caucus de la CAQ se sont fait entendre. Aux yeux de la plupart des députés, le meilleur mode de scrutin est celui... qui leur a permis d’obtenir un siège.
Le projet de réforme caquiste ira donc vraisemblablement rejoindre au cimetière la réforme Lévesque de 1984 ; et celles entamées, mais abandonnées, sous Charest.
Le clou dans le cercueil ? François Legault ne ferme plus la porte à l’idée de tenir un référendum sur la question !
Cette volte-face n’est pas anodine.
Un référendum sur le changement de mode de scrutin revient presque à coup sûr à signer l’arrêt de mort d’une telle réforme.
Les précédents d’échecs référendaires ne se comptent plus, comme me le rappelait le constitutionnaliste Patrick Taillon, professeur à l’Université Laval, à Qub, mardi.
Rejet de la proportionnelle en 2011 au Royaume-Uni ; en 2007 en Ontario ; en 2005, 2009 et 2018 en Colombie-Britannique ; en 2005 et 2019 à l’Île-du-Prince-Édouard.
Les opposants à la proportionnelle savent bien que c’est la meilleure façon de faire dérailler l’affaire. Et ils ont beau jeu de reprocher aux partisans de la réforme d’être en pleine contradiction ; ce que Joseph Facal faisait dans nos pages cette semaine : « Il est fascinant de voir à quel point les partisans de cette réforme, qui n’ont que le mot “démocratie” à la bouche, ne veulent pas d’un débat ouvert, large et transparent » ! La cofondatrice de QS, Françoise David, hier dans Le Devoir, affirmait qu’un bon sondage suffit pour opérer un tel changement !
En plus, comme le professeur Taillon me le soulignait, ce qu’a évoqué François Legault, soit un référendum sur le changement de mode de scrutin en même temps qu’une élection en 2022, est actuellement interdit. Il faudrait donc modifier la Loi sur la consultation populaire. Autres modifications nécessaires dans cette loi : les règles de financement des campagnes qui, dans la loi actuelle, datent d’avant les réformes de la loi électorale des années 2010.
Ça fait beaucoup de lois à modifier, en plus de l’adoption de celle sur le mode de scrutin ainsi que la carte électorale. Cette dernière étant des plus ardue à dessiner, étant donné qu’il faudrait biffer une quarantaine de circonscriptions à l’actuelle carte !
Le constitutionnaliste ajoutait une recommandation, modifier la loi sur l’Assemblée nationale afin de clarifier les règles quant aux « votes de confiance », toujours nombreux dans les situations de coalition.
Tout indique que, comme Justin Trudeau, François Legault devra se résoudre à abandonner sa promesse sur le mode de scrutin.
La citation de la semaine
« Être ministre de la Santé à tout prix, ça a déjà donné Gertrude Bourdon. »
— Pascal Bérubé, chef parlementaire du PQ, au sujet de son ex-collègue Réjean Hébert, qui souhaite se présenter pour le PLC.
Le carnet de la semaine
Bouffer un parc !
Le verbe « consommer », comme dans l’expression indigeste « consommer de la culture » est populaire. À l’Assemblée nationale mercredi, le ministre des Parcs, Pierre Dufour, a poussé le consumérisme encore plus loin : « Au-delà de 55 % des gens qui consomment le parc des Chutes-Montmorency sont des touristes. » Ça donne la nausée, comme lorsque le même ministre a dit : « lorsqu’on s’adresse à cette problématique-là ». Beurk.
Legault non parlementaire
Jeudi, à la période de questions, François Legault a à deux reprises dû retirer des propos. C’est peut-être là une première, selon un observateur. M. Legault a d’une part prononcé une expression prohibée depuis 2006 : « Le chef de l’opposition [...] aime mieux faire de la petite politique ». Par la suite, il a permis l’ajout d’une toute nouvelle expression au lexique en traitant Gaétan Barrette de « goon de La Pinière ». L’expression figurera dans le Recueil devant « Gorlots-là » et « Grossier personnage ».
Langue de bois de Guilbault
Confusion à la période de questions lundi : deux ministres caquistes se sont senties interpellées par une question sur les inondations, soit Andrée Laforest (Affaires municipales) et Geneviève Guilbault (Sécurité publique). Cette dernière s’est imposée, formulant une réponse suave : « La symbiose est telle entre ma collègue et moi qu’on se lève en simultané parce qu’on travaille tellement main dans la main pour cette importante question qu’on est toutes les deux avides de pouvoir partager l’information. »