That is the question. Les derniers jours ont été difficiles. Il y a eu le témoignage de Jean Charest devant la commission Bastarache et l'on ne sait toujours pas s'il faut en rire ou en pleurer. Puis les nombreux retours sur les événements d'octobre 1970 qui semblent démontrer que la police savait tout, mais qu'elle a laissé faire. Radio-Canada a rediffusé les Mémoires de Pierre Elliott Trudeau pour nous rafraîchir la mémoire en ce 10e anniversaire de sa mort, ce qui nous a replongé au cœur même de l'incompréhension entre les fameux deux peuples fondateurs; et enfin, la cerise sur le sundae, l'article d'un magazine de Toronto — nul besoin de le nommer... — qui étale nos talents de corrupteurs diplômés en prétendant que ce sont des mots d'amour.
Heureusement que l'épouse de Marc Bellemare a retrouvé l'agenda de son mari, car autrement, la semaine aurait été pourrie.
La dernière fois que ça s'était produit, la crise d'amour fou, c'était en 1995, quelques jours avant le référendum. Les Canadiens étaient venus par milliers, par autobus, par train et par avion pour envahir le centre-ville de Montréal avec leurs pancartes et leurs macarons et leur incroyable message d'amour. Ça faisait partie des commandites dont on a tellement entendu parler durant la commission Gomery. «We love you!» C'était la déclaration d'amour intense du ROC envers les Québécois, histoire de les faire changer d'idée. Les Québécois songeaient, encore une fois, à claquer la porte de ce si grand pays qu'est le Canada. Les Canadiens, ce jour-là, avaient plus l'air d'être en goguette dans cette Belle Province où ils croient que tout est permis et ils s'en étaient donné à coeur joie. «We love you, we love you.»
L'amour que les Canadiens nous portent est difficile à comprendre. Moi, j'y ai renoncé il y a longtemps. Ça ressemble beaucoup à l'amour maladif d'un vieux mari possessif qui ne peut pas accepter que sa bien-aimée puisse songer à s'émanciper. Nous manquons probablement d'imagination, nous, les Québécois. We love you Québec, ça nous laisse assez froids. Le Canada nous aime à mort. Il nous méprise, il nous varlope, il rit de nous, mais il jure qu'il nous aime. Il nous aime surtout quand on menace de le quitter.
«Parlez-moi d'amour, dit la chanson. Redites-moi ces choses tendres / Votre beau discours, mon coeur n'est pas las de l'entendre / Pourvu que toujours vous répétiez ces mots suprêmes: je vous aime.»
Le magazine en question n'a pas l'air de connaître la lutte que nous menons depuis 40 ans pour une administration au-dessus de tout soupçon. Dommage, car notre expérience aurait pu être utile à d'autres, dans ce beau grand pays qui a choisi l'hypocrisie plutôt que la lumière. Le journaliste aurait certainement pu souligner le désir profond des citoyens du Québec d'atteindre l'objectif qu'ils ont fixé à leurs dirigeants de laver plus blanc que blanc. Pas de déclaration d'amour, cette fois-ci, de la part du magazine en question.
Compte tenu des anniversaires importants que le Québec célèbre en 2010 — le 70e anniversaire du droit de vote des femmes, le 40e anniversaire d'Octobre, le 50e anniversaire de la Révolution tranquille —, il aurait été plus utile que le magazine consacre un long article pour raconter le courage de ce peuple conquis et malmené qui a lutté sans relâche pour devenir ce qu'il est aujourd'hui tout en sauvant l'essentiel de ce qui fait son identité. Le ROC aurait préféré une province moins tapageuse et moins dérangeante durant cette période. Certains préfèrent penser que le Québec est devenu le mouton noir canadien.
Le Canada nous voudrait à son image. Il nous veut à l'aise dans le moule canadien qui ne nous va pas du tout. Il nous reconnaît un petit talent pour les arts, parfois, mais pour les affaires, les Canadiens préfèrent nous considérer comme une bande d'amateurs ou pire, une bande de fraudeurs dont il faut se méfier. Ils trouvent bien injuste qu'Hydro-Québec soit au Québec. Quel dommage, pensent-ils.
Comme d'autres, il m'est arrivé, de temps en temps, de m'arrêter pour me demander si j'étais toujours d'accord avec ma décision d'être indépendantiste, décision prise lucidement durant la Crise d'octobre justement. La réponse a toujours été oui. L'article du magazine de Toronto m'a permis de répondre sans hésitation qu'aujourd'hui, encore plus qu'il y a 40 ans, j'ai la conviction qu'il faut aller au bout de notre démarche de souveraineté. Encore une fois, comme ceux qui nous ont précédés, nous devons nous remettre debout. Il est plus que temps. Même les plus jeunes ont compris que le pays qu'ils habitent n'est pas le leur. C'est à leur tour de répondre aux déclarations d'amour venues du ROC. Il n'y a plus d'abonné au numéro que vous avez composé.
Vous dites que vous m'aimez? Eh bien... moi non plus.

Consulter l'article sur Le Devoir