Les attentats récemment perpétrés à Paris ont recentré l’esprit américain sur la menace représentée par l’État islamique. Les Américains réclament plus de forces sur le terrain, plus de bombardements, plus de ceci, plus de cela... Et tels des papillons de nuit attirés par les flammes, les médias américains invitent sans cesse les « architectes » en disgrâce de la guerre en Irak et les néo-conservateurs du temps jadis pour nous expliquer non seulement ce que l’État islamique veut, mais aussi pourquoi notre violence mettra fin à la leur.
La guerre est toujours une aubaine pour l’audimat des médias commerciaux, et nous, les spectateurs, sommes accros à la pyrotechnie, à la violence et aux destructions qu’elle engendre.
« La guerre est la force qui nous donne un sens », rappelle l’ancien correspondant de guerre Chris Hedges, parce que la guerre interrompt non seulement le train-train monotone de notre quotidien, mais « crée également un lien chaleureux et inhabituel avec nos voisins, notre communauté, notre nation, balayant les courants troublants de l’aliénation et de la dislocation ».
Ceux qui vendent de la publicité en fonction de l’audimat, c’est à dire des vues, des clics et des changements de page, sont bien préparés à assouvir notre soif de frappes de drones, de combats et de tapis de bombes. Mais pour vendre une guerre, l’acheteur de la guerre doit d’abord avoir l’assurance que la mission est noble, raisonnable et démocratique, et que l’ennemi est une silhouette de sa propre création maléfique, quelque chose d’étranger et d’inaliénable aux yeux de notre morale bien-pensante.
En d’autres termes, les médias doivent d’abord faire en sorte que nous nous sentions bien dans notre peau avant de pouvoir nous rendre violemment hostiles à l’égard de ceux que nous voulons bombarder, occuper et rabaisser.
Lundi dernier, la une du journal britannique The Sun indiquait qu’« un musulman britannique sur cinq éprouve de la sympathie pour les djihadistes », sur la base d’un sondage qui a été discrédité et jugé au mieux douteux, au pire sinistre. The Sun n’est pas un cas particulier. Au lendemain des attentats de Paris, deux présentateurs vedettes de CNN ont expliqué à un activiste musulman des droits de l’homme que « tous les musulmans [...] [portaient] la responsabilité » de l’attentat perpétré par l’État islamique qui a tué 130 personnes, pour la plupart parisiennes. En plus d’une accusation odieuse, il pourrait s’agir d’une des choses les plus méprisables jamais dites par des journalistes grand public en direct à la télévision.
« Après Paris, la presse Murdoch a fait de la presse Murdoch. Le Daily Mail a fait du Daily Mail. Nous ne devrions pas être surpris. Mais aujourd’hui, nous avons des journaux dans tout le pays, et cela inclut des journaux sérieux qui revendiquent une certaine gravité et une certaine conscience auprès de leurs lecteurs, comme The Guardian, qui prennent part à cette escalade de la guerre au Moyen-Orient », observe John Pilger, journaliste chevronné basé au Royaume-Uni.
En Amérique, le journaliste militant de premier plan Glenn Greenwald a accusé CNN d’attiser la « soif » de guerre de l’Amérique. Un appétit qui est créé par l’absolution de la nation pourtant coupable du chaos social qu’elle a semé au Moyen-Orient.
L’absolution de cette culpabilité est rendue possible par l’externalisation du mal. On répète de nouveau aux Américains que l’islam est responsable de la violence et des troubles au Moyen-Orient et que c’est l’islam qui est responsable de l’État islamique auto-proclamé.
En regardant Fox News, CNN ou MSNBC, on pourrait être pardonné de croire à l’excuse bidon selon laquelle l’invasion de l’Irak n’a jamais eu lieu ; l’invasion de l’Irak n’a jamais eu lieu, la débaasification n’a jamais eu lieu, les bombardements de la Libye et du Yémen n’ont jamais eu lieu et l’armement du principal commanditaire du terrorisme dans la région (l’Arabie saoudite) n’a pas lieu.
Reprocher l’État islamique à l’islam est ce qui permet aux Américains d’oublier que tout ceci a eu lieu. Reprocher l’État islamique à l’islam est ce qui conditionne les Américains pour qu’ils se sentent bien dans leur peau et ce qui les pousse facilement à soutenir des missions militaires hypnotiques et pourtant contre-productives.
En mars dernier, The Atlantic a publié un essai intitulé « What ISIS Really Wants » (« Ce que veut vraiment l'État islamique »). Pour ceux qui cherchent à reprocher l’État islamique à l’islam, cet essai est la Magna Carta. Pour les néoconservateurs et les barjots de droite et pour ceux qui cherchent l’absolution pour l’invasion de l’Irak, l’essai de Graeme Wood est aussi purifiant que de l’eau bénite.
On pourrait récapituler cet article comme suit : l’État islamique est islamique, très islamique, super-islamique, ultra-méga-islamique, et est exactement le groupe terroriste que le prophète Mohammed avait en tête lorsqu’il a récité le Coran. Alors méfiez-vous, tous les musulmans ont le potentiel de faire partie de l’État islamique.
Nous savons aujourd’hui, sur la base de documents saisis à l’État islamique, d’entretiens avec des combattants de l’État islamique ayant été capturés et d’anciens combattants du groupe, ainsi que d’entretiens avec ceux qui ont vécu dans le territoire contrôlé par l’État islamique, que l’essai de Wood, en plus d’être extrêmement mal informé et prodigieusement inexact, ne reflète en rien les objectifs et les motivations des dirigeants de l’État islamique. Pourtant, Wood apparaît quotidiennement sur tous les grands réseaux de télévision câblés pour discuter de l’hypothèse formulée dans son essai.
Nous ne pouvons pas vaincre l’État islamique si nous travestissons ce qu’est en réalité l’État islamique et qui ses membres sont réellement. Loin d’être le groupe islamiste apocalyptique décrit par Wood, les documents et projets réels de l’État islamique révèlent que l’État islamique est fait de bâtisseurs d’État méthodiques dirigés par des baasistes laïcs qui visent à restaurer le pouvoir des baasistes sunnites en Irak. Ces documents établissent également de façon claire que les anciens généraux (anti-islamistes) de Saddam utilisent l’islam comme un outil de recrutement. « Ils [les fondateurs de l’État islamique] ont estimé que Baghdadi, un ecclésiastique instruit, donnerait au groupe un visage religieux », a souligné le journal allemand Der Spiegel.
Ces documents et projets de l’État islamique sont corroborés par des entretiens avec des combattants de l’État islamique ayant été capturés. Le mois dernier, Lydia Wilson, de l’université d’Oxford, a publié ses conclusions. Elle a constaté que les recrues sont attirées par l’État islamique pour des raisons qui n’ont pas grand-chose à voir avec l’islam extrémiste. « Ils sont lamentablement ignorants au sujet de l’islam et ont des difficultés à répondre à des questions portant sur la charia, le djihad militant et le califat », a observé Wilson.
Le chaos social et le manque de sécurité en Irak provoqués par l’invasion américaine constituent un autre thème observé chez les combattants de l’État islamique. « Les Américains sont arrivés », a expliqué un combattant de l’État islamique aux enquêteurs. « Ils ont pris Saddam, mais ils ont également pris notre sécurité. Je n’aimais pas Saddam, nous étions affamés à l’époque, mais au moins nous n’avions pas la guerre. Quand vous êtes arrivés, la guerre civile a commencé. »
Comme l’a affirmé un général américain, ceci « correspond en tous points au profil type » d’un combattant de l’État islamique. En d’autres termes, les invasions militaires américaines et les interventions américaines au Moyen-Orient créent les conditions permettant à l’État islamique de prospérer.
Pourtant, les médias réservent un accueil chaleureux uniquement à ceux qui blâment l’islam ou l’« islam radical », et pas à ceux qui parlent des conditions qui rendent l’État islamique attractif.
Ces conditions rejettent la responsabilité sur l’intervention militaire américaine, les dictatures soutenues par les États-Unis et les ventes d’armes des États-Unis à la fois aux mécènes du terrorisme et aux groupes terroristes eux-mêmes.
Mais blâmer l’islam nous aide à nous sentir bien dans notre peau. Blâmer l’islam est bénéfique pour l’audimat des chaînes télévisées. Blâmer l’islam permet de vendre des guerres plus facilement.
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