La Cour suprême a tranché de manière unanime. La loi 104 est inconstitutionnelle. Les individus qui le souhaitent pourront donc de nouveau contourner la loi 101 en échange de quelques milliers de dollars. Même si la Cour condamne formellement la pratique, il n'en demeure pas moins que les élèves qui ne s'inscriront que quelques mois à l'école anglaise non subventionnée regagneront dans un an le droit pour eux, leurs frères, leurs soeurs et l'ensemble de leurs descendants de fréquenter l'école publique anglaise. Étant donné tout le battage médiatique autour de ce jugement, on peut craindre que ceux qui se prévaudront de ce passe-droit deviennent plus nombreux que jamais.
Il semblait pourtant y avoir consensus au Québec sur la nécessité de combler cette faille qui menaçait le coeur même de la Charte de la langue française: l'obligation pour les francophones et les allophones d'être scolarisés en français. Le Parti québécois avait adopté la loi 104 parce que de plus en plus de parents utilisaient un passage par l'école anglaise non subventionnée pour permettre à leurs enfants d'échapper à leurs obligations de francisation. Il l'avait aussi adoptée pour des considérations d'équité, afin que les parents les plus riches ne puissent profiter de la brèche. Aucun parti politique québécois n'a remis en question la pertinence et la légitimité de la loi 104. Tous comprenaient qu'il s'agissait d'une mesure raisonnable visant à faire respecter l'esprit de la loi 101. Tous comprenaient qu'en l'absence d'une telle loi, de plus en plus d'individus allaient profiter de cette brèche jusqu'à menacer les objectifs fixés par la loi 101.
Pourquoi la Cour suprême a-t-elle décidé d'aller à l'encontre de ce consensus? Son jugement est d'autant plus étonnant que la Cour reconnaît depuis longtemps la légitimité des principales dispositions de la loi 101. Comment peut-elle accepter la légitimité des lois linguistiques québécoises et inviter aussi explicitement les parents à la violer? Qui peut sérieusement penser que ce jugement ne profitera pas qu'aux parents qui souhaitent se soustraire aux obligations de la loi 101? Comment les juges peuvent-ils l'ignorer?
Le Canada est un pays divisé et cela est particulièrement clair lorsqu'il s'agit d'enjeux linguistiques. Considérant que le Québec n'a jamais signé la Constitution canadienne, on aurait pu espérer que la Cour suprême fasse preuve de plus de retenue. Sur quoi se base-t-elle pour dire que la loi 104 impose des contraintes «déraisonnables»? Déraisonnables, selon qui? Aucun parti politique québécois n'a remis en question la loi 104. Tous y ont vu la réponse appropriée à une situation préoccupante. Dans son jugement, la Cour a choisi de s'aligner sur l'opinion canadienne-anglaise -- encore aujourd'hui massivement hostile aux principes mêmes de la Charte de la langue française -- au détriment du consensus québécois. Derrière cette apparence de légalité, c'est encore la volonté du Canada anglais qui entre en contradiction avec les intérêts vitaux du Québec.
Le comble est cependant que cette décision survient au moment où un consensus toujours plus grand se dégage au Québec quant à la fragilité de l'équilibre linguistique. Plus de trente ans après l'adoption de la loi 101, la moitié des transferts linguistiques s'opère toujours en faveur de l'anglais. Dans un cas sur deux, les allophones continuent de choisir de poursuivre leurs études supérieures en anglais, puis de travailler en anglais. Alors que de plus en plus de Québécois prennent conscience de la nécessité de renforcer nos lois linguistiques, la Cour suprême choisit plutôt de les affaiblir.
Le Québec a accueilli au cours des dernières années un nombre d'immigrants particulièrement élevé. Combien d'entre eux profiteront de la brèche rouverte par la Cour suprême? Combien profiteront de ce coup de pouce inattendu pour se soustraire à leur obligation d'intégration et de francisation? On peut craindre le pire.
Il n'existe qu'une seule réponse possible à la décision de la Cour suprême. Le Québec doit lancer immédiatement une nouvelle offensive linguistique. Il doit faire de la connaissance du français un critère déterminant dans la sélection des immigrants, créer une citoyenneté québécoise dont l'obtention pour les nouveaux arrivants serait conditionnelle à la connaissance du français, élargir l'obligation de francisation aux petites et moyennes entreprises, élargir l'application de la loi 101 au niveau collégial, refaire du français la seule langue de l'administration publique québécoise et faire en sorte que les universités et les hôpitaux universitaires francophones occupent la place qui leur revient. Un tel virage est nécessaire pour redresser la situation et éviter que la régression du français ne franchisse le point de non-retour.
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Ont signé ce texte: Mathieu Bock-Côté, Charles-Philippe Courtois, Myriam D'Arcy, Benoît Dubreuil, Alexis Lapointe, Véronique Lauzon, Robert Laplante, Joëlle Quérin et Patrick Sabourin
Reprendre l'offensive linguistique
Derrière cette apparence de légalité, c'est encore la volonté du Canada anglais qui entre en contradiction avec les intérêts vitaux du Québec.
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