Madame la ministre David,
Que vous vous portiez à la défense de la jeunesse québécoise, que j’aurais affublée de généralisations cinglantes selon vos mots, m’apparaît touchant. Vous aimez les jeunes ? Eh bien, moi de même. Mais cela ne m’empêche pas de décrire la réalité dans laquelle ils se trouvent de nos jours.
Vous vous considérez comme une universitaire avant que d’être une politicienne. Or, je constate au ton de votre lettre remplie de lieux communs et ayant recours à la langue de bois que vous avez revêtu rapidement le statut de politicienne au sens fort du terme. Ces jeunes que vous décrivez avec complaisance, ce sont en fait des électeurs potentiels pour vous à l’élection du 1er octobre.
Je serais déconnectée des jeunes alors que vous, en les côtoyant, vous croyez apte à parler d’autorité. On devrait donc adhérer à votre vision magnifiée.
Vous nous rappelez votre ancienne vie de cadre supérieur à l’université, ce qui à vos yeux vous permettrait de vous considérer la dépositaire de la vérité sur les jeunes. Madame, vous n’avez, excusez-moi de le dire, ni le monopole du cœur ni celui de la raison lorsque vous décrivez la jeunesse d’aujourd’hui, qui serait si engagée et si politiquement active.
Votre doctorat
Vous qui avez un doctorat, que vous portez comme une décoration à la boutonnière, vous m’accusez d’une condescendance et d’un mépris ahurissants lorsque je constate chez les jeunes « leur aisance à vivre dans une société où se côtoient des gens de toutes origines et marginalités », ce qui explique à mes yeux leur peu d’intérêt pour le nationalisme québécois et la préoccupation identitaire. Or, la lettrée que vous assurez être en conclut que je crois que cette réalité est « un fléau social abominable ». En d’autres termes, vous reprenez à votre manière les propos du premier ministre selon lesquels je soufflerais « sur les braises de l’intolérance ».
Madame la ministre, vous attaquez mon intégrité, vous portez atteinte à ma crédibilité, et si j’avais un esprit légaliste, je dirais que vous me diffamez.
Vous affirmez, Madame, que je juge durement la jeunesse. Je crois plutôt que cette génération des 18-35 ans est orpheline d’un héritage culturel qu’on ne lui a pas transmis et auquel elle avait droit. Contrairement à ce que vous dites, les jeunes, sauf une élite académique que vous côtoyez, n’ont pas reçu les clés qui leur auraient permis de comprendre les bouleversements actuels d’un monde en quête de nouveaux paradigmes.
Échec
Le système d’éducation a failli dans sa tâche et votre gouvernement a eu 15 ans pour l’améliorer. Vous à qui incombe la responsabilité d’améliorer l’enseignement supérieur, quelles ont été à ce jour vos réalisations, sauf celle d’être intervenue dans l’affaire du harcèlement sexuel à l’université, une cause porteuse et hautement médiatisée, vous en conviendrez ?
Votre collègue Sébastien Proulx, ministre de l’Éducation, a publié un petit ouvrage rafraîchissant sur les défis de l’éducation. Bien humblement, il a suggéré une orientation qui nous ramène à quelques principes simples. L’école doit avant tout transmettre des connaissances. Elle doit s’appliquer à former des citoyens, ce qui suppose une valorisation de l’enseignement de l’histoire, qui a tant manqué à la génération des 18-35 ans.
Enfin, les formes d’engagement de cette jeunesse ne correspondent pas, dites-vous, aux « conceptions dites classiques » qui sont les miennes. Je suis renversée que l’universitaire que vous êtes rejette ainsi la vision humaniste de l’éducation dont le Québec a privé ces générations et sans laquelle il est impossible de saisir la complexité des enjeux planétaires actuels.
Madame la ministre, je crois qu’il faut alerter la jeunesse plutôt que de la berner par la flatterie.
- Denise Bombardier, chroniqueuse