S'il faut verser son sang, Allez verser le vôtre, Vous êtes bon apôtre, Monsieur le Président. - Boris Vian
J'ai été bouleversé et choqué par votre chronique au titre polémique [«Rester et se battre»->2751], publiée dans Le Devoir du samedi 28 octobre 2066. J'ai du respect envers votre travail d'intellectuel, de journaliste et d'écrivain. J'ai trouvé votre argumentaire pour justifier l'intervention militaire canadienne en Afghanistan indigne d'un intellectuel progressiste.
Vous êtes opposé au retrait des troupes canadiennes, soit, mais n'utilisez pas des arguments profondément réactionnaires et néoconservateurs pour dénoncer les «pacifistes». Avant tout, n'essayez pas de nous faire peur avec al-Qaïda. La défaite des talibans n'a pas empêché, et n'empêchera pas, les attaques terroristes de se commettre à Madrid, à Londres, en Indonésie et ailleurs.
Vous le savez comme moi, ce n'est pas en Afghanistan que les pilotes-kamikazes du 11-Septembre se sont entraînés, mais dans des écoles de pilotage aux États-Unis. Laissons la démagogique «guerre au terrorisme» aux politiciens de la droite néo-conservatrice.
Responsables de notre armée
Disons-le d'entrée de jeu, je ne suis pas un pacifiste puritain. En m'opposant à la guerre d'Afghanistan, je m'oppose à l'impérialisme et au colonialisme. Mais à quoi servent aujourd'hui ces mots? L'idée raciste et coloniale de devoir, nous Occidentaux, apporter la civilisation aux autres peuples par la force, loin d'avoir été rangée parmi les erreurs de l'histoire, est revenue au goût du jour.
Demander le retrait des troupes canadiennes de l'Afghanistan serait «faire le jeu des talibans». Je ne suis pas responsable des exactions des talibans et je n'ai jamais donné un seul appui à ces religieux fondamentalistes. Je suis par contre responsable des actions de mon propre gouvernement. Or, un appui à l'intervention militaire est un appui à l'impérialisme et à la politique militaire de la droite conservatrice qui cherche à doubler les budgets militaires, aligner la coopération internationale sur la «sécurité nationale» et rapprocher la politique étrangère canadienne de celle des États-Unis.
Mais il y a plus. Vous et moi sommes responsables des actions de l'armée canadienne qui nous représente. En Afghanistan, nos fameux alliés de l'Alliance du Nord, que notre armée a contribué à mettre au pouvoir, n'ont pas fait mieux que les talibans. Vu du Québec, on a l'impression d'avoir chassé les Hells Angels pour faire place aux Rock Machine. Une bande de mafieux a été remplacée par une autre. Cette dernière s'est empressée de multiplier la production de pavot et constituer des fiefs avec des méthodes aussi peu reluisantes que celles du régime taliban.
Les droits de la personne et le respect des femmes sont des demandes justes et légitimes. De là à dire que cette intervention militaire de l'OTAN en Afghanistan est «juste et légitime», il y a une marge. N'est-ce pas cette occupation militaire qui a donné naissance au camp d'internement de Guantanamo et aux prisons secrètes de la CIA en Europe de l'Est? La prison de Bagram administrée par les forces étasuniennes, où l'on a rapporté des cas de torture, est-elle le prix à payer pour construire l'État de droit? La bavure récente de l'armée canadienne qui a coûté la vie à 70 civils, en majorité femmes et enfants, lors du bombardement de positions ennemies, est-elle le prix à payer pour la reconstruction de l'Afghanistan?
Nous prétendons rétablir les droits de la personne alors que l'intervention de l'OTAN a eu comme conséquences de les bafouer abondamment. Ne soyons pas étonnés si demain les civils rejoignent massivement les forces talibanes et la résistance face à l'occupant. [...]
Le précédent russe
À celui qui me dit qu'il faut se battre en Afghanistan, je lui réponds: «Vas-y et bats-toi.»
M. Courtemanche, je me demande pourquoi vous n'allez pas combattre auprès des forces de libération. Il n'y a pas si longtemps, la gauche s'organisait pour appuyer les luttes des peuples pour l'indépendance, la démocratie et la liberté. C'était le temps où les militants de gauche formaient des Brigades internationales (Guerre civile espagnole), des comités de solidarité (avec les Sandinistes au Nicaragua), des campagnes de dénonciation des dictatures (Chili, Afrique du Sud) ou simplement des mouvements anti-guerre (Vietnam).
De nos jours, en l'absence de forces «progressistes» à appuyer, certains intellectuels de gauche sont disposés à croire que la US Air Force ou les Forces armées canadiennes peuvent reprendre ce rôle internationaliste. N'est-ce pas d'abord et avant tout la preuve de l'échec du projet «progressiste» chez nous?
Les pays «avancés» et «démocratiques» favorisent une globalisation financière inéquitable, un rythme de développement insoutenable et des multinationales qui briment les droits de la personne en Afrique et en Asie. Pour ces échecs, les talibans n'y sont pour rien. [...]
En terminant, M. Courtemanche, laissez-moi faire cette réflexion à partir du livre Les Cercueils de zinc, de Svetlana Alexievitch. L'auteure biélorusse y a recueilli les témoignages de soldats soviétiques envoyés au front en Afghanistan dans les années 1980. Dans l'esprit de «l'internationalisme prolétarien», l'URSS disait qu'elle construisait «l'État socialiste» en Afghanistan, que ses troupes bâtissaient des écoles et des dispensaires, et que l'intervention de l'Armée rouge favorisait l'émancipation des Afghanes du joug de la barbarie.
Sur le front, les soldats russes ont été vite traumatisés par une guerre sanglante et désemparés par la réalité de l'occupation: la population locale se refusait à accepter cette «civilisation» qu'on venait leur offrir. Remplacez les mots «État socialiste» et «internationalisme prolétarien» par: «État de droit» et «solidarité avec les droits de la personne», et voici ce qui attend nos soldats en Afghanistan.
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Antoine Casgrain, Étudiant à la maîtrise en sociologie, Université Laval
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