Réorganisation des universités en Wallonie

Chronique de José Fontaine

La Revue nouvelle qui est incontestablement la meilleure revue wallonne et francophone sortait au mois de mars dernier un copieux dossier consacré à la réorganisation de l'enseignement supérieur et universitaire en Wallonie et à Bruxelles.

Notamment sous la pression européenne, il s'agit à travers tout ceci de supprimer les doublons qui peuvent exister entre des universités peu éloignées les unes des autres, donc de rationaliser l'offre d'enseignement d'une certaine façon, mais aussi de rapprocher cette offre des étudiants potentiels, notamment ceux des familles les moins aisées qui ne peuvent pas nécessairement payer des études se déroulant relativement loin du domicile familial et impliquant la location d'un kot (un studio d'étudiant comme le dit le français régional à partir d'un mot flamand), notamment cette dépense mais pas seulement elle. La recherche est aussi concernée par tout ceci.
Paysage universitaire wallon et francophone
Avant la scission de l'Université Catholique de Louvain en 1968, on n'aurait pas pu parler des universités en Wallonie (et Bruxelles), on n'aurait parlé que d'universités belges. Les Flamands ont voulu cette scission parce qu'existait encore en Flandre la plus importante université francophone - l'Université catholique de Louvain (UCL) - dont la présence aurait sans doute contribué à la francisation complète d'une grande partie du Brabant flamand, l'autre partie continuant encore aujourd'hui à se franciser, ces deux parties du Brabant rassemblant quelque chose comme le sixième de la population flamande.
Du côté wallon si le cri «Walen buiten» n'était en rien sympathique, il s'est trouvé des gens dès l'époque pour comprendre le point de vue flamand dans l'affaire et pour imaginer alors que l'université de Louvain devait s'installer en Wallonie et aurait pu le faire dans «une grande ville wallonne» (on ne précisait pas laquelle). Mais cette implantation, si elle avait eu lieu à Charleroi, par exemple (la «grande ville wallonne» sans université où c'eût été concevable qu'elle atterrisse), se heurtait à l'époque à l'existence d'un clivage profond de la société belge, le clivage chrétiens/laïques (pour le dire d'un mot), encore pesant à l'époque (1968). Charleroi était alors (et l'est resté), un bastion rouge et «laïque», peu désireux de voir s'installer une machine de guerre « cléricale».
L'Université catholique de Louvain fut donc installée au Brabant wallon dans une ville qui fut créée de toutes pièces (Louvain-la-neuve), le poids des catholiques flamands et wallons dans l'Etat belge permettant alors qu'une dépense publique aussi importante soit consentie. Il n'en serait sans doute plus de même aujourd'hui. Il est toujours difficile de raisonner avec les possibles, mais si l'UCL s'était installée à Charleroi, cela n'aurait sans doute rien changé aux équilibres politiques intérieurs de cette ville (à forte majorité socialiste), mais on peut penser que la présence d'une grande université aurait contribué pleinement au développement de la ville qui est avec Liège la plus grande métropole wallonne. Cela aurait aussi contribué à modifier les rapports socio-politiques ou géopolitiques entre la Wallonie et Bruxelles, tout de même fort déséquilibrés en faveur de la capitale belge.
Centralisme et équilibre laïques/chrétiens en Belgique
La révolution belge de 1830 avait été précédée d'une union des deux parties de la bourgeoisie belge avec comme slogan «L'union fait la force» devenu la devise nationale belge. Elle ne concerne pas l'union des Wallons et des Flamands contrairement à ce que l'on croit souvent, mais l'union de la bourgeoise catholique (moins conservatrice qu'en France) et de la bourgeoisie libérale (qui peut être aussi libre-penseuse et laïque). Le tout donnant un Etat favorable aux catholiques mais qui n'en est pas moins neutre dans la mesure où il privilégie aucune religion, ignore Dieu dans sa constitution etc.
Dans le domaine de l'enseignement de la philosophie, Jean Ladrière expliquait en 1988 dans la revue TOUDI que catholiques et libres penseurs s'étaient trouvés «pragmatiquement d'accord pour éviter qu'une telle matière soit enseignée», par peur que cette matière soit une arme apologétique aux mains des chrétiens ou au contraire un véhicule de la libre-pensée. Par analogie on pourrait dire que l'enseignement universitaire en Belgique s'était de même organisé sur une sorte de pacte de non-agression permettant l'existence à Bruxelles d'une forte université engagée en faveur de la libre-pensée - l'Université libre de Bruxelles - et tout près de Bruxelles, à Leuven, une université catholique - l'Université catholique de Louvain. La division entre catholiques et libres-penseurs, s'équilibrait ainsi au coeur même d'une centralisation belge excessive à Bruxelles, marginalisant déjà la Wallonie. Il ne s'agit pas ici de questions clochemerlesques. On peut voir, à l'aide d'arguments historiques, politiques et économiques (ici bien résumés en quelques lignes), comment cette dynamique pour la Wallonie est clairement destructrice.
Aujourd'hui en Wallonie, on est toujours d'une certaine façon dans cette situation, les deux grandes universités francophones - édifiées sur le clivage ancien (catholicisme/libre-pensée pour reprendre les termes de J.Ladrière), se trouvant toujours au centre de la Belgique (Université libre de Bruxelles et Université catholique de Louvain, sise maintenant dans le Brabant wallon proche de Bruxelles ou à Bruxelles). Il existe une troisième université francophone complète, celle de Liège un peu moins importante - la seule université wallonne au fond. Au surplus, en 2004, les universités s'étaient déjà regroupées, mais selon ce que l'on a appelé trois «académies», une académie Wallonie-Bruxelles regroupant l'ULB et l'Université incomplète de Mons, une université Wallonie-Europe (regroupant celle de Liège et les facultés agronomiques de Gembloux petite ville au nord de Namur) et une académie UCLouvain (regroupant l'UCL elle-même et trois autres importantes universités catholiques incomplètes, celle de Namur, celle de Bruxelles et celle de Mons).

C'est ici que La Revue nouvelle met en avant des chiffres. Dans ce cas de figure, l'UCL et son académie représentaient 42 % des étudiants, l'ULB avec Mons, 35% et Liège 23%. La Revue nouvelle de mars, donne tous ces chiffres et les met bien évidence dans des tableaux que l'on pourra facilement trouver ici.
Le Plan du ministre Marcourt de réorganisation des universités
Cette très bonne revue, liée à l'UCL (ce n'est pas lui faire injure que de le rappeler), le fait parce que le ministre socialiste liégeois Jean-Claude Marcourt, l'un des meilleurs ministres wallons, propose une autre réorganisation de l'offre d'enseignement universitaire et supérieur, cette fois par pôle : celui de Bruxelles (autour de l'ULB) avec 30 % des étudiants, celui de Liège (autour de l'université de Liège et qui concerne également la province de Luxembourg) avec pas loin de 30 % également, celui du Brabant wallon (autour de l'UCL), avec 17%, celui du Hainaut (autour de l'université de Mons), avec 15% et celui de Namur avec 8% (autour des Facultés Notre-dame de la Paix de Namur). On a l'impression en regardant ces chiffres que, d'un point de vue wallon, la Wallonie se retrouvera moins marginalisée qu'autrefois, les fameux «pôles» étant appelés à exercer certaines responsabilités importantes. Si on le dit ici, c'est parce que sur la base de ces mêmes chiffres assez fortement mis en évidence, La Revue nouvelle tente de montrer que l'Université catholique de Louvain est désavantagée et perdrait la prééminence qui est la sienne.
Je le souligne parce que, d'habitude - et d'ailleurs encore cette fois dans l'éditorial de ce numéro de La Revue nouvelle - on nous dit que les Wallons, avant de se préoccuper des institutions, devraient se soucier des «forces internes à la société».
Or, il y a un vice de forme dans ce raisonnement dans la mesure où les fameuses « forces internes» peuvent se confondre avec l'existant, c'est-à-dire par exemple avec des chiffres qui permettent à un groupe universitaire de considérer que la Wallonie doit réellement s'unir à Bruxelles dans des relations de dépendance étant donné que Bruxelles possède une supériorité à tous égards écrasante. Certains vont même plus loin et considèrent qu'une partie de la Région autonome de Wallonie devrait être soustraite à cet Etat fédéré et rattachée, en vue de consolider l'union des deux Régions, à Bruxelles! Ben tiens! Quand des Wallons contestent ces propositions, on leur oppose les chiffres et on oppose ces chiffres supposés exprimer la «réalité» à leur «rêve», soit leur leur projet d'une Wallonie plus consistante face à la trop grande centralisation belge.
Mais si, grâce au pouvoir wallon installé à Namur, un ministre liégeois propose une réforme qui rééquilibre les choses au moins au plan universitaire et de l'enseignement supérieur, c'est assez vite que les tenants d'une institution - l'Université catholique de Louvain - laissent tomber les «forces internes à une société» pour se porter justement au secours de cette institution qu'est l'Université catholique de Louvain. Sans doute pour la défendre, ce qu'elle mérite, mais sans voir que l'intérêt wallon et d'un rééquilibrage entre la Wallonie et Bruxelles a aussi sa logique soucieuse de «réalité».
Et de simple justice.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    22 avril 2012



    Très bonne idée. On se retrouve non seulement avec des formations similaires et non espacées mais surtout souvent des formations incomplète. Alors qu'en cumulant les 2 formations on a quelque chose de très bien et qui permet à tout le monde d'être au même (et au top) niveau.
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    Le keno est assez similaire au loto, que ce soit dans un casino en ligne ou dans les casino réels, mais avec de meilleures probabilités de gagner.

  • Archives de Vigile Répondre

    17 avril 2012

    Bonjour Monsieur Fontaine,
    Une seule question: La Flandre laissera-t-elle amputer son territoire pour faire plaisir à des intérêts privés de nostalgiques belges?
    Merci d'avance.