Reconnaissance et indépendance: anniversaire du Québec-Tanguy et chicane de famille

Tribune libre


L'éruption médiatique récente entourant le destin québécois remémore cette comédie bidonnante et suscite l'exaspération.
Négation canadienne obstinée
Faisant suite au spectacle conservateur de la St-Jean, Norman Spector écrit dans le [Globe and Mail->1148] qu'il serait mal avisé de reconnaître la nation québécoise, vu que le Québec intègre son immigration comme le fait le Canada anglais. Cette reconnnaissance peut être accordée en revanche aux autochtones et aux Acadiens, puisqu'il n'existe pas “d'Italo-Nisga'a”. Cette vision erronnée et peu ragoûtante de la nation nie en somme le statut de véritable Canadien anglais à ses propres immigrants, les renvoyant à un Canada idéalisé qui se voudrait ni anglais, ni français.
Le déni de la nation est-il utile?
Lorsque le Canada français se souleva il y a quarante ans, déployant de ses bases culturelle et ethnique une société pluraliste fonctionnelle par moyen de nation building, le Dominion en périt. Bien sûr, la négation est la première réaction d'un deuil, et Trudeau en fit carrière. Succès prévisible, le mouvement souverainiste est aujourd'hui plus fort qu'à son arrivée au pouvoir.
Quant aux autres cultures du continent-Canada, elles n'ont pu se relever de l'autorité fédérale, étant dépourvues des bases territoriales et institutionnelles des nations modernes. Qu'elles soient piégées dans un carcan ethnique et folklorique menant de la marginalisation à l'assimilation mesure le succès canadien. C'est une tragédie, tel qu'en fait foi le nombre sans cesse diminué de langues autochtones, un crime contre l'humanité bien plus que ne le serait l'indépendance du Québec, comme le prétendait Trudeau. Combinés aux défis de l'intégration d'une immigration toujours plus importante et plus diverse, il y a pourtant suffisamment de motivants pour que le ROC observe la composition culturelle et nationale fédérale avec sobriété.
Tel que le suggère l'étiquette Rest Of Canada, l'émergence de l'identité nationale québécoise accompagna celle du Canada anglais (Trudeau en savait quelque chose). Cependant, les deux tardent à atteindre maturité et sérénité.
Ces deux sociétés se reconnaîtront-elles enfin comme aux autres?
Mais voilà, des mères poules veulent garder le Québec auprès d'elles à n'importe quel prix et celui-ci se laisse tenter. Elles espionnent alors ses journaux et correspondances, comme le fit Trudeau. Le gavent de cadeaux et d'affection, comme Jean Chrétien, ou lui répètent frénétiquement qu'il serait insupportable qu'une frontière les sépare, l'avertissant au passage que le monde est misérable, comme le fait Stéphane Dion. Stephen Harper se propose quant à lui d'aménager un appartement au sous-sol de l'UNESCO, alors qu'André Pratte et Benoît Pelletier convainquent qu'il n'est pas besoin de quitter la maison pour être grand. À côté de tout cela, l'exaspération des frères au Canada anglais et les propos de pères tels que Gérard Bouchard l'intimant à l'indépendance, certes avec la perspective d'une demeure plus petite mais dont il sortitait lui-même grandi, ne le rejoignent que distraitement.
La vérité sort de la bouche des infantilisants
Il arrive cependant que le monde extérieur vienne percer le cocon, comme l'a fait la déclaration de M. Charest en France. Une fois la visite au salon, une discussion entre adultes placés devant l'éternel enfant instigue une autre chicane familiale. Pourtant, n'y a-t-il pas déjà eu bien pire? Christian Rioux nous rappelle la question de Bruxelles de Bourassa, mais il y eut aussi la crise d'octobre, le rapatriement de la constitution, Meech et j'en passe. Pourquoi chaque geste insignifiant dégénère-t-il maintenant en syncope? Plus il crève les yeux que Tanguy se débrouille seul, plus il est insupportable de le voir se laisse couver.
L'indépendance, un caprice d'enfant terrible?
Pourtant, les nations pourvues de minorités ethniques et linguistiques sont chose banale dans le monde. La question est donc la suivante: vaut-il mieux un Québec-minorité, ou un West-Island-minorité?
En fait, le Québec-minorité n'existe qu'en fonction de la mouvance d'autodétermination de son État-nation. Sans elle, nous serions une minorité ethnique apolitique et rurale. La minorité du West Island existe plutôt en fonction du contexte continental et continuera de prospérer en conséquence. Tout ce que nous sommes, nous l'avons arraché par affirmation. Il est à se demander si nos mères poules, tel Trudeau devant la tombe de Lévesque, seraient véritablement comblées d'avoir enfin terrassé cette volonté.
De ce pays, duquel jamais nous avons exigé le déni de la nation canadienne anglaise, un discours quasi unanime, venant de tous les premiers ministres, des intellectuels, des journaux ainsi que des groupes de pression tels que le Equality Party nous demandent sans gêne de renoncer à cette affirmation. [William Johnson->1165] se permet même de remettre en question l'allégeance de M. Charest dans le prestigieux Globe and Mail comme suite à son aveu d'autoreconnaissance.
Bâtir plutôt que se démener
Le règlement de cette question de politique interne, soit par l'indépendance du Québec ou la fin de cette mouvance d'affirmation, clorait 40 ans d'énergies politiques pancanadiennes presque entièrement déployées à cet égard. La réponse contient le potentiel d'une ouverture au monde et à elles-mêmes pour chacune de ses nations, comme celui de continuer à se consumer en débat infantile fratricide.
La reconnaissance mutuelle aiderait non seulement le Québec, mais éveillerait aussi le Canada anglais, lancé dans une tangente malsaine qui encourage le mépris, dont l'élection de chefs ayant pour atout principal de rabrouer de grands pans du pays est symptomatique. Elle leur permettrait d'atteindre maturité et cohérence. Il faut redévelopper le dialogue du respect mutuel, tout a fait réalisable, tel que rappelé par la lettre de [Guy Bouthiller->1123] au Devoir, mais dont les locuteurs peinent à se trouver. Si nous y parvenons, à l'aide de leaders ne cherchant pas la petite politique en niant les évidences, nous légitimerions enfin nos vies séparées illicites en toute quiétude, comme l'ont fait par exemple les républiques de l'ancienne Tchécoslovaquie.
Depuis la fin du Dominion nous avons traversé plusieurs étapes du deuil, dont la négation, la colère, le marchandage et la tristesse, avons-nous l'envergure de tenter l'acceptation?

Dominic Courtois, Montréal


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