Rabaska et Gros-Cacouna : au pays des aveugles, les borgnes sont rois!

Rabaska

(Texte publié dans Le Soleil du 7 août 2007)
Quand les multinationales veulent faire taire ceux qui s’opposent à leur puissance, elles ont maintenant recours aux tribunaux, certaines à l’avance qu’elles vont gagner puisque, à moins de s’appeler Crésus, [il est impossible pour n’importe quel mouvement de pression ou n’importe quel citoyen d’avoir les moyens de se colletailler juridiquement avec les corporated bums d’aujourd’hui->rub521]. Les promoteurs du port méthanier de Rabaska à Lévis viennent d’en faire la scandaleuse démonstration : des opposants à leur projet ont dû accepter un règlement hors-cour qui les empêche maintenant d’exercer leur droit de parole!
Bien évidemment, les gouvernements, qui ne cessent pas de nous parler de liberté, d’égalité et de fraternité, ont laissé dire et faire, ce qui confirme l’idée que nous avions déjà : nous ne vivons pas dans une démocratie véritable, mais dans une caricature de démocratie, selon l’expression que Pierre Vadeboncoeur utilisait déjà en 1960.
Depuis plusieurs semaines, on met ou remet en cause tout ce qui bouge autour des projets de Rabaska et de Gros-Cacouna : quand on ne prend pas la défense des commissaires du BAPE, on se porte au secours de nos édiles municipaux, tous favorables aux ports méthaniers. Quand un scientifique nous démontre clairement que l’établissement de deux ports méthaniers ne pourront qu’affecter dangereusement la faune et la flore aquatique du Saint-Laurent, comme c’est arrivé partout ailleurs, les scribes à la solde des multinationales nous inondent aussitôt d’articles dont la seule qualité est de vouloir noyer le poisson dans son eau. Quand on insiste sur le fait que Rabaska et Gros-Cacouna seront de terribles agents de pollution, on a droit à des arguments aussi crétins que celui-ci, qui vient d’un commissaire du BAPE si ma mémoire est bonne : « Bien sûr, les ports méthaniers sont des industries qui polluent, mais on arrivera quand même à un certain équilibre grâce au programme anti-pollution du gouvernement québécois. » Est-il possible d’être plus épais que ça?
La réponse est malheureusement oui. Vous n’avez qu’à mettre au pied du mur nos édiles, tant municipaux que provinciaux, si vous voulez que le peu de cheveux qu’il vous reste encore sur la tête tombent d’un coup : une possible catastrophe à Lévis ou à Gros-Cacouna, dit l’un, est un risque calculé (calculé comment et par qui, ça pas moyen de le savoir). De toute façon, dit l’autre, l’important c’est de créer des emplois. Quand on pense qu’Henri Massé, patron de la FTQ, est de cet avis-là, il y a de quoi s’inquiéter et s’insurger. On se croirait revenu au début du 19e siècle quand, toujours dans cet esprit de création d’emplois à tout prix, on a laissé les entreprises étrangères saccager sauvagement nos forêts, notre sous-sol, nos lacs et nos rivières. Ça créait de l’emploi, mais depuis cinquante ans, nous payons très cher ces foutus emplois!
Je suis donc de ceux qui pensent que les projets de Rabaska et de Gros-Cacouna ne devraient pas voir le jour. Ils correspondent trop à ce que nous devons abolir du passé si nous voulons lutter efficacement ne serait-ce que pour notre simple survie. Depuis des années déjà, les scientifiques nous disent qu’on ne devrait établir de nouveaux ports méthaniers qu’en eau profonde, loin des grandes et petites agglomérations. Depuis des années aussi, les scientifiques nous disent qu’il y a une solution à nos problèmes énergétiques, et que cette solution-là passe ni par le pétrole et le gaz naturel, mais par l’énergie solaire.
Depuis l’invention de la pile électrique par Volta en 1800, il nous a fallu 150 ans pour découvrir tout ce que nous pourrions tirer du Soleil comme énergie propre. Quelques pays comme l’Allemagne et le Japon l’ont compris avant tout le monde et sont en train de réaliser la grande Révolution de notre siècle : plusieurs villages et petites villes de l’Allemagne et du Japon sont maintenant éclairés et chauffés grâce à l’énergie solaire. En Afrique profonde, on transporte à dos de chameau de petits panneaux solaires qui fournissent assez d’électricité pour les besoins d’une maison. Les Japonais viennent de mettre au point des panneaux solaires qui ont l’épaisseur d’une feuille de papier, donc faciles à installer partout.
Bien sûr, cette énergie coûte actuellement plus cher que la transformation du pétrole, du gaz naturel et de l’eau en électricité. Une raison toute simple en est la cause : le nombre de consommateurs qui l’utilisent. Avant qu’Henry Ford n’invente le montage en chaîne de ses voitures, peu de monde pouvait se payer le luxe d’en acheter une. Ce ne fut plus le cas après. Par nécessité, l’énergie solaire verra bientôt le nombre de ses utilisateurs augmenter de telle façon que le coût de cette énergie inépuisable et propre sera concurrentiel par-devers toutes les autres.
On en serait déjà là si, plutôt que de mettre tous ces milliards de dollars dans une énergie fossile polluante et appelée à disparaître, on se tournait résolument vers le Soleil auquel nous devons d’être là, sur cette Terre qu’à défaut de voir plus loin que le bout de notre nez, nous dévastons sordidement.
Je trouve absolument dommage qu’une jeune société comme la nôtre se tourne avec autant d’inconscience vers le passé plutôt que vers l’avenir, vers la contre-révolution plutôt que vers la Révolution. Avec les projets de Rabaska et de Gros-Cacouna, le risque est grand qu’on commette la même bêtise que nos gouvernements ont faite avec Bombardier : tandis que ses trains hyper-modernes roulent partout dans le monde, nous devons, nous Québécois, voyager dans des wagons vétustes, tirés par des locomotives qui datent de la Révolution industrielle, sur des rails en si mauvais état que ça ne cesse pas de dérailler!
Des visionnaires! Comme nous en avons besoin dans notre semblant de pays démocratique qui, à force de ne plus savoir penser, prend le cauchemar pour le rêve, l’enfer pour le paradis, la cochonnerie pour la propreté, le suicide assisté pour le bonheur!

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Victor-Lévy Beaulieu84 articles

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Victor-Lévy Beaulieu participe de la démesure des personnages qui habitent son œuvre. Autant de livres que d'années vécues, souligne-t-il à la blague, comme pour atténuer l'espèce de vertige que l'on peut éprouver devant une œuvre aussi imposante et singulière. Une bonne trentaine de romans, une douzaine d'essais et autant de pièces de théâtre ; des adaptations pour la télévision





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7 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    5 novembre 2007

    M. Robert Barberis,
    Vos vacances au chalet autonome eurent-elles lieu à Noël ou à la Saint-Jean ?
    C'est crucial pour le rendement des cellules photovoltaïques.
    Je ne suis pas contre. Mais il faudrait un portefeuille énergétique et un moyen de convertir les surplus en réserves.
    Le concept d'importer du gaz naturel liquéfier alors qu'on annonce un pic global de production du méthane vingt ans après celui du pétrole (Maintenant), est une gaffe monumentale comme seul Jean Charest sait si bien les faire. Il faut mieux bâtir dans cette région des usines de production de dihydrogène par électrolyse et les faire acheminer par gazoduc.

  • Archives de Vigile Répondre

    3 novembre 2007

    Je suis favorable aux propos tenues par VLB dans son texte mais je me demande bien pourquoi en même temps, il soutient l'ADQ qui est favorable à Rabaska. Il me semble y avoir là une contradiction évidente qui entâche les excellentes idées et opinions de VLB. Aussi, ne croyez-vous pas qu'un peu plus de concision éviterait à ce personnage hors pair de passer parfois pour un hurluberlu?

  • Archives de Vigile Répondre

    11 août 2007

    Je ne me prononcerai pas sur le sujet principal de l'article de VLB mais je veux partager une expérience que j'ai faite cet été. Nous avons loué un chalet sans électricité à trente kilomètres de Matane près du lac Langis. La plupart des seize chalets bâtis autour du lac étaient munis d'un panneau solaire qui leur fournissait l'électricité nécessaire. Le panneau solaire était relié à des batteries; ça fonctionnait très bien. Je tiens donc modestement à confirmer que ce que VLB dit de l'énergie solaire est sans doute vrai. J'ai passé deux belles semaines de vacances.
    Robert Barberis, Longueuil, 11 août 2007

  • Archives de Vigile Répondre

    8 août 2007

    Oyé! Oyé!
    Les Seigneurs de Québec et du Grand Patronat de Sa Majesté annoncent au bon peuple qu'en leur grande bonté et amour pour celui-ci ils ont décidé de les récompenser de leurs loyales soumissions par le divertissement d'une exécution publique!
    La population est donc invitée à se rassembler autour du port de Québec, au quai 27, du jour 25 d'Août en l'an 2007 de Sa Majesté la Reine, pour voir l'exécution, par les saintes flames rédemptrices du royal bûcher, de Monsieur Didier Épars qui s'est vu imposé cette purification de son âme pour s'avoir pendant des années équarté du saint dogme de la très sainte doctrine de l'immobilisme ethnique québécois.
    Journal de Québec, 8 août 2007:
    « A bout de ressources, M. Didier Épars, propriétaire de la goélette Grosse -Ile y mettra le feu à cette date pour éviter la faillite. M. Epars a fait parvenir un dossier de presse hier soir aux quotidiens pour expliquer son geste désespéré. Il convie incidemment le premier ministre Jean Charest à ce grand spectacle.
    «Je sais que c'est un geste absurde» a indiqué hier M. Epars en entrevue «mais quand vos interlocuteurs vous disent que ce bateau n'a pas de valeur alors qu'il s'agit d'un bien culturel, quand on vous dit que ça ne vaut guère plus qu'un stand de patates frites....»
    La Grosse-Ile a été construite en 1951 au chantier maritime de Saint-Laurent sur l'Ile d'Orléans pour les besoins de la Défense. Elle servait à faire la navette entre Montmagny et Grosse Ile et transportait des gaz peu recommandables comme l'anthrax. Particularité, cette goélette a été faite selon les modèles des années 30 à fond plat et serait unique en son genre. Selon son propriétaire c'est la dernière survivante d'une époque puisque les milliers de goélettes construites sur les rives du fleuve sont disparues ou hors d'usage.
    La goélette a été entièrement restaurée et serait prête à prendre le large. «Nous avons travaillé avec le ministère fédéral des Transports et il ne nous manque que la dernière étape de la certification obtenue avec l'essai en mer, contrairement à la Marie-Clarisse qui n'a jamais été certifiée» d'expliquer M. Épars.
    Celui-ci a acheté le bateau en 1991 et affirme avoir englouti 600 000$ dans cette aventure. Une fondation a été mise sur pied avec des «amis de la goélette» et l'investissement privé atteint 1,4 million $. L'aide du gouvernement a pris la forme de programme de création d'emploi et rien d'autre. C'est un maître-charpentier, Paul Mailloux, de l'Isle-aux-Coudres, maintenant décédé, qui a supervisé les travaux de réfection. La Grosse-Ile est en cale sèche à Québec depuis 2003 et a reçu un avis d'éviction puisque le quai doit être refait. Le manque à gagner pour sauver la goélette serait de 320,000$.
    Les multiples rencontres avec le ministère de la Culture et avec et avec les gens du 400e n'ayant rien donné, M. Epars s'apprête à désarmer le navire pour récupérer un peu sa mise de fond et à y mettre le feu dans la coque!.
    Dans une lettre au ton tristement ironique envoyée au premier ministre M. Épars dit «nous allons in extremis éviter la faillite, rembourser partiellement tous ceux qui ont cru et soutenu notre lubie d'un navire patrimonial québécois naviguant sous voiles sur le Saint-Laurent avec des passagers, et nous allons nous débarrasser d'un actif encombrant et sans valeur monnayable. Je vous convie et toute la population au démembrement de la goélette sur le quai 27 le samedi 25 août.»
    Faut'il en conclure que les tonneaux de cette goélette auraient portée ombrage aux bidons de Rabaska?.

  • Archives de Vigile Répondre

    7 août 2007

    L'évènement est historique et répétitif.
    Cette partie de nos élus qui se soumettent au "capital" ont longtemps voulu faire de nous des porteurs d'eau. Alors que nons nous en sommes bien sortis collectivement, ils ne savent que revenir à la charge pour nous transformer en livreurs de gaz.
    Comment expliquer ce silence de l'industrie du tourisme devant ce projet encore plus malheureux que risqué?
    Comment expliquer que nos industriels ne soient pas à l'avant-garde du développment durable au lieu de saccager des milieux de vie uniques au monde?
    Il est temps que notre avenir collectif soit retiré aux politiciens qui ont gaspillé leur capital de confiance, pour devenir enfin un projet de société véritablement rassembleur autour de valeurs qui font concensus?

    Nous avons arrêté le Suroît et Orford, tous ensemble, tous partis confondus, si petit soit-il l'élan est donné.

  • Archives de Vigile Répondre

    6 août 2007

    Que se passe-t-il dans une société comme la nôtre où les notables sont devenus les perroquets serviles des pétrolières, des gazières, des compagnies d'armement, des compagnies pharmaceutiques. Que nous restera-t-il à nous les citoyens du Québec pour se faire entendre dans ce simulacre de démocratie?
    Je suis inquiet pour la suite des choses!
    Denis Julien Lotbinière.

  • Archives de Vigile Répondre

    6 août 2007

    "Avant qu’Henry Ford n’invente le montage en chaîne de ses voitures, peu de monde pouvait se payer le luxe d’en acheter une." (VLB)
    En 1975, 1 MG de mémoire RAM coûtait 2,300,00$.
    En 1998, 1 MG de mémoire RAM coûtait 5$
    Cette semaine, je suis aller me chercher un baton de 1,000 MG de mémoire RAM pour 60$ (6 sous pour 1 MG).
    Quel beau cadeau pour le 400eme de Québec!
    De beaux bidons géants juste devant les deux sites historiques de la naissance du Québec et de son peuple!
    Un beau "porc" méthanier en face de la Capitale Nationale, Québec, et un autre en face de l'historique Tadoussac et l'embouchure de la rivière Saguenay!
    Quelle belle marque de respect à notre père national, Champlain!
    Et dire qu'Ottawa a fait démolir la papetière EB Eddy de l'autre côté de la rivière Outaouais parce que ça massacrait le paysage derrière le parlement.
    Allez faire vos cochonneries sur les côte du Labrador, où personne ne va faire un tour, et le Québec acceptera les redevances pour un pipeline sur son territoire.
    Le Saint Laurent est une mine d'or touristique qui tarde à être développée. On va pas le massacrer avant d'avoir commencé, juste pour les intérêts de quelques "porcs" à Bay Street!
    Est-ce que nos "moutons" se coucheront encore bien docilement sur le dos pour se laisser tondre ?!
    B-Ê-Ê-Ê-Ê-Ê-T-T-T!