En France et dans d'autres pays en occident, beaucoup de parents immigrants de confession musulmane, ont dû se dire dernièrement, cette phrase: "Si Mohamed Merah était mon fils, il serait actuellement vivant. Son nom n'aurait pas fait le tour du monde parce qu'il n'aurait assassiné personne. Encore moins assassiner de sang froid des personnes innocentes..".
Je n’ai pas de jugement à porter sur les parents de Mohamed Merah. Je n’ai aucune analyse particulière pour démystifier le passage à l’acte barbare de ce jeune français. Pour l'instant, face à un tel drame, le débat est beaucoup dominé par le reflexe que la réflexion. Je ne peux, dans les circonstance, que vous raconter ma vision de père soucieux du bonheur de ses deux fils.
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Il y a plusieurs années, on m’avait invité à une émission de télé pour réagir avec d’autres québécois issus de l’immigration aux propos de Jacques Parizeau, tenus le soir du 30 octobre 1995, sur le vote ethnique.
Au cours de l’émission, j’entendais de toutes parts des voix clamant haut et fort la fierté de leurs origines. Fier d’être africain, fier d’être sud américain, fier d’être maghrébin, fier d’être arabe. Quand l’animatrice se tourna vers moi pour m’entendre réagir, j’ai répondu simplement : "Madame la seule chose dont je suis fier dans ma vie, c’est d’être le père de deux garçons, beaux, intelligents et en bonne santé".
Des enfants ? Je n’en voulais pas. Pas avant d’avoir atteint l’âge de 49 ans. Pas avant d’avoir réalisé plusieurs films et réussi une carrière en cinéma. D’ailleurs c’est pour faire des films que je suis venu étudier au Québec. Mais c’est un autre scénario que le destin a écrit pour moi. Je viens d'avoir 52 ans. Pas de films à souligner, mais deux fils dont le plus vieux a 29 ans et le plus jeune a 22 ans. Je ne saurais probablement jamais ce que c’est réussir une carrière, mais réussir sa vie, oui.
Que dire de plus et avec quels mots pour traduire le bonheur d’être père de deux garçons dont la langue maternelle n’est pas ma première langue et dont la mentalité, malgré mes longues années d’enracinement au Québec, ne sera jamais tout à fait la mienne ?
La réponse à cette question, je l’ai croisée un jour à la page 22 du premier roman d’Abla Farhoud "Le bonheur a la queue glissante". Une phrase pas comme les autres. Aussi lumineuse qu’une bonne nouvelle. Elle exprime une situation complexe en des mots simples. Elle répond surtout à une question existentielle. Celle à laquelle tout parent immigrant n’échappe pas quand il découvre dans le regard de son enfant un pays différent de celui qu’il a quitté.
Cette phrase, je l’ai souvent clamée comme un slogan, comme une devise, comme le refrain d’un rap ouvert sur demain : "Mon pays, c’est là où mes enfants sont heureux".
Cette phrase simple est un remède qu’on devrait prescrire à tout parent immigrant qui souffre de la difficulté à concilier pays, enfants et bonheur. Il m’est arrivé souvent d’ailleurs de la glisser, mine de rien, dans une discussion avec des parents troublés à l’idée que leurs enfants grandissants ne seront jamais aussi haïtiens qu’eux, aussi algériens ou marocains qu’eux...
Comme si le bonheur et l’épanouissement des enfants n’étaient envisageables que dans le cadre culturel des parents. Eux qui pourtant se sont arrachés à leurs pays et à leurs cultures, fondamentalement dans le but de rendre possible à leurs enfants un avenir meilleur !
Sans le crier haut et fort, j’ai pour mon pays d’origine une affection profonde et mes enfants le savent bien. Ils devinent tout de l’amour et de la lumière que je porte de ma terre natale. Mais ils savent aussi que je l’ai quitté sans regrets et sans remords. Ils n’ont jamais vu leur père souffrir de culpabilité liée à l’exil ni de problème d’intégration. Probablement parce qu’à l’origine de mon immigration il y avait un désir profond d’enrichir mon identité par d’autres appartenances. Et comme dirait Amine Maalouf : "L'dentité n’est pas donnée une fois pour toutes, elle se construit et se transforme tout au long de l’existence".
Mes enfants sont les témoins naturels de mon expérience d’enracinement.
C’est principalement à travers eux que je vis pleinement mon sentiment d’appartenance au Québec. Même si je ne marche pas encore sur la neige avec autant de grâce qu’eux, je reconnais aux flocons une saveur et je retrouve dans l’hiver un pays.
Mohamed Lotfi
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6 commentaires
Serge Charbonneau Répondre
2 avril 2012Serge Raffy du Nouvel Observateur nous dit :
« Pourquoi Mohamed Merah aurait pu être un "indic" »
http://www.dailymotion.com/video/xpqusj_pourquoi-mohamed-merah-aurait-pu-etre-un-indic_news#
Les points soulevés par M. Raffy du Nouvel Observateur peuvent alimenter la réflexion au sujet du portrait médiatique que l'on fait du personnage Merah.
Son analyse concernant celui que les médias appellent le «tueur de Toulouse» est intéressante.
A-t-on «utilisé» ce jeune individu ?
Serge Charbonneau
Québec
Stefan Allinger Répondre
2 avril 2012Merci pour ce bijoux de texte.
Je suis le fils d'un immigrant et je connais le sentiment d'être d'une autre culture que ses propre parents.
Ma mère québécoise vient d'un petit village du Québec et moi j'ai grandi près de Montréal. Je sais aussi le sentiment de ne pas être de la même culture quelle. Retourner dans ce village de la Côte Nord et de me dire que je suis d'ailleurs bien que fier d'avoir des racines de là. Voilà aussi une réalité de beaucoup de québécois exilés de leur région natale pour différentes raisons. Ils n'ont peut-être pas fuit la guerre ou la menace d'un régime totalitaire mais ils ont d'autres motifs valables.
Votre texte m'a profondément touché par son humanisme et sa bonté.
Merci.
Stefan Allinger
Archives de Vigile Répondre
2 avril 2012Ne jugez point trop vite Mohamed Merah ou ses parents.
Les actualités nous le présente comme un autre affecté du syndrome de Jan Wong.
Et pourtant...
J'ai lu un dicton sage en période troublée :
"Ne rien croire de ce qu'on entend.
Ne croire que la moitié de ce qu'on voit."
Il s'en dit plusieurs choses sur l'utilisation de Merah.
http://www.lepoint.fr/societe/merah-pourquoi-vous-me-tuez-je-suis-innocent-01-04-2012-1447307_23.php
S'il y a des cadavres qui encombrent, parfois on cherche à fabriquer des cadavres pour fabriquer des contes.
Maintenant Sarközy paraît le "Chef" qui surpasse les crises et les règle au karscher ou au gun. C'est bon pour les élections.
Wag the Dog !
Serge Charbonneau Répondre
2 avril 2012Mohamed, si jamais vous n'avez rien à faire mercredi soir le 4 avril, et que vous voulez vous divertir,
Voyez ceci:
http://www.conam.qc.ca/
On pourrait en profiter pour se serrer la pince.
Je ne passe pas souvent par Montréal.
Salutations,
Serge Charbonneau
Québec
P.S.: Je ne suis pas raciste, j'invite aussi tout le monde, pas seulement les Mohamed, heu! je veux dire Mohamed !
Serge Charbonneau Répondre
2 avril 2012M. Lotfi, quel discours intéressant et édifiant pour nous, ceux qui n'avons pas connu l'immigration, le déracinement partiel et l'enracinement partiel aussi.
« Tout parent immigrant n’échappe pas (à cette question existentielle) quand il découvre dans le regard de son enfant un pays différent de celui qu’il a quitté. »
Vous décrivez magnifiquement cette situation complexe avec des mots simples.
Une situation, je crois, bien difficile à décrire.
"Si Mohamed Merah était mon fils..."
Et moi, si j'étais "Arabe" ?
Si j'étais le "Magrébin" ?
Si ma peau n'était pas totalement blanche ?
Êtes-vous un pur laine, Mohamed ?
Sommes-nous différents ?
J'ai aussi deux enfants !
Mais moi…, jamais Mohamed Merah ne pourrait être mon fils !
Salutations Lotfi,
Serge C.
Qc
Archives de Vigile Répondre
1 avril 2012Merci pour ce si beau témoignage et "programme de vie"