On s'attendait, bien sûr, à ce que le nouveau programme d'éthique et de culture religieuse (ECR), implanté dans les écoles québécoises en septembre 2008, suscite une certaine controverse. Les partisans de l'ancien programme d'enseignement religieux confessionnel et les athées militants se rejoignaient dans le mécontentement ressenti quant à cette nouvelle approche du fait religieux.
Aux premiers, on pouvait pourtant rappeler l'inefficacité de l'ancien cours, qui échouait à transmettre tant la foi que la culture religieuse, et son caractère peu rassembleur, voire discriminatoire. Aux seconds, qui souhaitaient voir le religieux disparaître du programme de l'école québécoise, on pouvait répliquer qu'il serait mal avisé de négliger ainsi un pan du réel qui a contribué, et qui contribue encore, à définir la culture occidentale et les autres et les inciter à se réjouir de l'abandon de la perspective confessionnelle. Sans suffire à convaincre les uns et les autres, ces arguments avaient au moins le mérite de justifier, aux yeux de la majorité, pouvait-on espérer, la pertinence du nouveau programme d'ECR.
Ce qu'on avait moins vu venir, cependant, c'est la contestation virulente émanant des rangs d'une certaine droite nationaliste et intellectuelle, au nom de la protection de l'identité nationale. Aux yeux de ces conservateurs à la québécoise, en effet, l'essai de Georges Leroux intitulé Éthique, culture religieuse, dialogue: arguments pour un programme (Fides, 2007) est devenu l'ennemi à abattre parce que, défendant le programme d'ECR au nom du respect du pluralisme, il mènerait à une «rupture avec l'identité nationale», selon la formule de Charles-Ph. Courtois.
Pour Mathieu Bock-Côté, par exemple, l'«éducation à la tolérance» et la «sensibilisation à la différence» qui sont au coeur du programme d'ECR annoncent «une véritable haine de soi qu'on inculquera à une jeunesse devenue étrangère à sa propre culture» (Le Devoir, 24 avril 2008). Leroux est pourtant clair à ce sujet: le programme reconnaît le catholicisme comme «la tradition religieuse de référence au Québec». À partir de là, dialogue. Où est le problème?
Conservatisme de combat
Dans L'État québécois et le carnaval de la décadence (L'intelligence conséquente, 2008), un pamphlet débridé animé par un conservatisme de combat, Carl Bergeron qualifie Leroux d'«idéologue pur jus» et lui attribue une «haine anti-occidentale» et le désir de détruire la famille, seule dépositaire légitime, selon le pamphlétaire, des valeurs à transmettre aux enfants. Bergeron affirme même que l'ouvrage de Leroux est «le produit d'une pensée totalitaire». Une telle extravagance ne mérite même pas la réplique.
Dans le numéro de février 2009 de L'Action nationale, Joëlle Quérin, doctorante en sociologie à l'UQAM, tente une critique plus raisonnée, mais pas nécessairement plus forte, des arguments de Leroux. Le philosophe, explique-t-elle, ferait fausse route en proposant «que le pluralisme de fait appelle une adhésion au pluralisme normatif». Faut-il comprendre que, selon elle, le pluralisme existe bel et bien, mais devrait être ignoré, voire combattu, par l'école? Quérin affirme même que «le pluralisme ne découle pas de la diversité», mais qu'il la produit. Faut-il comprendre qu'il s'agirait de ne pas tenir compte de la diversité pour la voir disparaître?
Quand Leroux avance l'argument historique selon lequel il importe de transmettre aux nouvelles générations le savoir moral et religieux qui a animé l'histoire du Québec, la sociologue réplique qu'il «procède à une réécriture de l'histoire» parce qu'il inclut dans ce savoir non seulement le christianisme, mais aussi les religions amérindiennes et le judaïsme. Qui, peut-on demander, réécrit l'histoire? Celui qui inclut tout le réel, dans le respect des proportions de ce qui le compose, ou celle qui suggère de faire l'impasse sur certains de ses éléments? Que propose, d'ailleurs, celle qui appelle «lavage de cerveau» la reconnaissance du pluralisme et le plaidoyer pour le dialogue?
Charles-Ph. Courtois, dans la critique du cours d'ECR qu'il publie dans le collectif Contre la réforme pédagogique (VLB, 2008), développe des arguments semblables à ceux de Joëlle Quérin. Ce cours, écrit-il, serait déstructurant sur le plan national parce qu'il «vide l'interculturalisme de sa culture majoritaire de convergence» et va à l'encontre du «modèle républicain d'intégration dans la laïcité [qui] repose sur l'intégration à une culture nationale commune». Courtois parle lui aussi d'un «bourrage de crâne» et d'une «rééducation idéologique» qui abolit «la perspective québécoise».
Ces critiques outrées ne rendent pas justice au programme d'ECR et à la défense qu'en fait Georges Leroux. Car de quoi, au juste, a-t-on peur? D'un multiculturalisme qui mènerait à la fragmentation de l'identité nationale québécoise en encourageant un relativisme moral de principe? Ce n'est pourtant pas de cela qu'il s'agit. La pratique du dialogue qui est au coeur du programme d'ECR repose sur le credo démocratique, le respect des lois du Québec, imprégnées de sa culture et de son histoire, et elle se fera en français. Le pluralisme qu'il s'agit de valoriser ne concerne pas ce socle, mais le reste, c'est-à-dire les convictions intimes qui guident nos vies et qui se nourrissent à l'éthique et, très souvent, à la culture religieuse. C'est ce que veut dire Leroux quand il écrit qu'il s'agit «de mettre en harmonie l'école avec la modernité politique».
Il y a, au Québec, des Québécois croyants d'une foule de confessions religieuses, des agnostiques et des athées. Même à l'intérieur du catholicisme, les «différentes conceptions de la vie bonne» sont multiples. Apprendre à connaître et à reconnaître, même sans y adhérer, la richesse de ces dernières et pratiquer l'art de les mettre en débat dans un dialogue respectueux ne peut apparaître comme une menace qu'à des nostalgiques d'un monde ancien dans lequel la diversité éthique et religieuse était vécue sur le mode du malaise et constituait un obstacle à l'intégration. Nous, modernes, ne vivons plus dans ce monde.
Essais québécois
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