En marge du cas Jean-François Lisée

Question pour le Sommet sur les universités

Chronique de Louis Lapointe

Ce n’est un secret pour personne, alors qu’il était directeur du Cérium et, par conséquent, cadre à l’Université de Montréal, Jean François Lisée recevait également des revenus de l’Actualité où il tenait un blogue. Ce qui, à l’époque, ne semblait guère soulever de questions chez ses collègues de la presse qui l’ont par contre aussitôt sévèrement critiqué lorsqu’ils ont appris qu’il recevait simultanément deux salaires, un de l’Assemblée nationale et l’autre de l’Université de Montréal.

Pourtant, Jean-François Lisée n’est pas le seul employé d’université à recevoir des revenus de différentes sources à la fois.

Si cette pratique est plutôt rare chez les cadres et professionnels, elle est plus fréquente chez les professeurs d’université qui peuvent cumuler plusieurs emplois en sus de leur tâche de professeurs et ne se limite pas à la tenue de chroniques dans des médias. Elle s’étend également à des services-conseils de nature professionnelle qui rapportent gros aux professeurs qui les dispensent.

Cette question n’a toutefois pas été soulevée lorsqu’il a été question du cas de Jean-François Lisée.

Alors qu’on parle du financement des universités et qu’on s’apprête à tenir un sommet sur le sujet, il serait tout à fait opportun de discuter de la tâche des professeurs et de la double rémunération que plusieurs touchent parmi ceux-ci.

Un sujet tabou que personne n’ose aborder au sein des universités pour des raisons bien évidentes puisqu’il est question du portefeuille de plusieurs professeurs.

«Je l’ai écrit et je l’écris à nouveau, le principal problème des universités est la gestion de la tâche des professeurs. Un problème qui coûte plusieurs millions de dollars chaque année aux universités et que les gestionnaires - des recteurs, des vice-recteurs et des doyens - hésitent à régler parce qu’ils devront tôt ou tard retourner à leur tâche de professeur, préférant profiter des largesses qu’ils ont jadis consenties, plutôt que d’affronter leurs pairs en défendant des décisions nécessaires, mais impopulaires.

Avant de songer à augmenter les droits de scolarité, il aurait donc fallu régler cette situation qui existait déjà lorsque j’ai commencé à travailler dans le réseau universitaire en 1984. La première bête noire de tous les dirigeants d’université n’est pas le béton, ni la rémunération des cadres, c’est la tâche des professeurs.» Une tâche obscure

Certes, on ne peut pas empêcher un professeur d’université de partager ses connaissances, cependant, ne serait-il pas normal qu’une partie des revenus gagnés à l’extérieur soit versée à l’université, surtout lorsque ces activités sont présentées par le professeur à titre d'éléments de sa tâche comme c'est le cas pour le ressourcement, les services à la collectivité ou le rayonnement universitaire?

Une question que j’ai posée dans un article publié dans la revue de l’Action nationale en octobre 2008, dont voici un large extrait portant sur la tâche des professeurs.

«La tâche

«L'étendue et l'énormité du mensonge inhérent au mot travail sont évidentes. Pourtant, on n'entend guère de critiques ou de mises au point émanant des institutions savantes. Dans toutes les universités réputées, les professeurs limitent leur nombre d'heures d'enseignement, sollicitent et obtiennent du temps pour la recherche, l'écriture ou une réflexion enrichissante pendant leurs années sabbatiques. Éviter de travailler - car c'est bien de cela qu'il s'agit pour certains - n'inspire ici aucun sentiment de culpabilité.» J.K.Galbraith p. 37, Les Mensonges de l'économie, Grasset, 2004.

Les problèmes que vivent les universités ne seraient-ils pas d’un tout autre ordre et ne proviendraient-ils pas plutôt de sa mission et de la tâche des professeurs qui en découlent ? Doit-on limiter notre regard à l’accessoire, la gouvernance, ou questionner le principal, la tâche des professeurs et l’évaluation qui en est faite par leurs pairs? Ainsi, l’Université doit-elle rendre compte seulement de sa gestion financière ou doit-elle être plus transparente et élargir cette reddition en y ajoutant la répartition de la tâche de ses professeurs qui est au cœur de la mission universitaire, une information généralement tenue secrète par les universités ?

Si le fiasco de l’UQAM a mis en lumière d’importantes difficultés dans sa gestion financière, il n’exprime qu’une infime partie du problème des universités, le plus important étant probablement lié à la gestion de la tâche de ses professeurs. Globalement, ce qui coûte le plus cher aux administrations universitaires, ce ne sont pas les dépassements de coûts reliés aux projets immobiliers, mais bien l'absence d'une gestion cohérente de la tâche des professeurs. On préfère s'occuper de la pointe de l'iceberg pour sauver la face et accabler des boucs émissaires qui font bien notre affaire, plutôt que de faire une véritable enquête indépendante sur les règles qui gouvernent la gestion et l’évaluation des tâches d'enseignement, de recherche et de service à la collectivité des professeurs dans l'ensemble du réseau universitaire québécois.

Bien que la tâche normale d'un professeur soit constituée de 4 cours par année, par le jeu des dégrèvements d'enseignement, elle avoisine les 2.75 cours par année. Le calendrier universitaire ayant trois sessions, les professeurs d'université enseignent donc en moyenne moins de 1 cour par session, donc moins de trois heures par semaine. En comparaison, leurs collègues des Cégeps en donnent dix par année.

Toutefois, cette tâche ne se limite pas à l’enseignement. Elle comporte aussi des espaces pour la recherche, l'administration et le service à la collectivité. Ces espaces ne sont pas nécessairement tous utilisés dans les mêmes proportions et parfois certains ne le sont pas du tout. Ainsi, un professeur pourrait enseigner moins et faire plus de recherche ou moins d'enseignement, moins de recherche et plus d'administration pédagogique ou d'activités syndicales. Par le jeu des dégrèvements et des libérations de tâche d’enseignement, il arrive même parfois que des professeurs réussissent à ne pas enseigner, ne fassent pas de recherche, se consacrent uniquement à l'administration pédagogique ou à la représentation syndicale, étonnamment, parfois même aux deux!

Ainsi, certaines universités libèrent leurs professeurs de leurs activités d'enseignement et de recherche pour faire surtout de l'administration. La principale conséquence étant que des professeurs qui ont des doctorats et des compétences exceptionnelles pour l'enseignement et la recherche font surtout de l'administration. S'agit-il là d'un gain ou d'une perte de valeur pour accomplir des tâches qui nécessitent des qualifications différentes? On dit d'ailleurs que les professeurs, sauf exception, sont rarement de bons gestionnaires. Les récents dépassements de coûts dans différentes universités seraient-ils le reflet de cette réalité?

Les professeurs qui oeuvrent dans des domaines lucratifs comme l’administration, le génie et le droit et dont les connaissances sont recherchées, ont également la possibilité de travailler à l’extérieur de l’université. Les règles régissant le travail extérieur varient d’une université à l’autre, certaines l’interdisent, d’autres le réglementent. Ainsi, il existe dans plusieurs établissements des règles limitant la proportion du revenu gagné à l’extérieur. Il est par contre difficile de sanctionner ces règles puisque les professeurs qui en profitent ne rendent pas nécessairement compte de tout leur emploi du temps. Souvent, ces situations sont tolérées parce que les gestionnaires sont eux-mêmes des professeurs qui n’exigeront pas des autres professeurs ce qu'ils ne voudront pas qu'on exige d'eux lorsqu'ils retourneront à la tâche de simple professeur. D'autres professeurs, plus pragmatiques, déclarent que ces activités lucratives entrent à l'intérieur de la tâche de service à la collectivité et sont des occasions pour le professeur de développer ou maintenir ses habiletés professionnelles tout en faisant mieux rayonner l'Université à l'extérieur de son cénacle. Ceux qui n'ont pas de bureau à l'extérieur, utilisent parfois les locaux et le matériel de l'établissement pour rendre des services sur une base privée. D'où les fréquentes critiques des confrères du privé qui parlent alors de concurrence déloyale. En général, les plus habiles évitent ces critiques en ayant un bureau dans une firme privée à l’extérieur de l’université. Ils sont, par le fait même, moins disponibles pour encadrer leurs étudiants.

Il serait toutefois injuste de mettre tous les professeurs dans le même panier et de prétendre que ce sont tous des profiteurs qui gagnent 100,000 $ et plus par année et qui fournissent le minimum d'efforts. Nombreux sont ceux qui réussissent à enseigner à tous les cycles, encadrent des étudiants gradués, ramassent les plus prestigieuses et importantes subventions de recherche, innovent, donnent des conférences partout dans le monde parce qu’ils se consacrent totalement à la mission universitaire. Si les universités se montraient plus justes à leur égard, il pourrait y avoir plus de ces professeurs exceptionnels qui se gardent bien de critiquer leurs confrères de peur d'être victimes de chapelles universitaires à l’occasion de l’évaluation de leur propre tâche par leurs pairs. Comme ces jeunes professeurs qui n’osent pas trop se plaindre du fait que de nombreux titulaires enseignent les mêmes cours depuis des décennies, ne cherchent plus, passent plus de temps dans leur emploi extérieur et ne sont pas dans leurs officines pour effectuer un encadrement adéquat de leurs étudiants avec la bénédiction des comités d’évaluation et de l’administration universitaire, pendant qu'eux, s'échinent à construire de nouveaux cours, font progresser la recherche de pointe et encadrent la relève dans les domaines qu'ils sont les seuls à maîtriser, et cela, pour la moitié du salaire de leurs aînés.

Est-il normal qu’un professeur puisse continuer à gravir les 36 ou 40 échelons des échelles de salaire universitaires s'il ne consacre pas le temps requis à sa tâche, en particulier à l’enseignement et à la recherche?

Il faut donc revoir la gestion de la tâche et la rémunération des professeurs d'université à cause des iniquités qu'elles suscitent entre jeunes et vieux professeurs, ceux qui enseignent et ceux qui n’enseignent pas, ceux qui cherchent et ceux qui ne cherchent pas, ceux qui se consacrent aux missions d'enseignement et de recherche et ceux qui s'occupent surtout de tâches administratives ou de leur second emploi mieux rémunéré et que l'on considère souvent, à tort, comme des services à la collectivité ou du rayonnement universitaire. Devant de telles situations, on doit sûrement s’interroger sur la validité des processus d’évaluation et d’approbation de tâches auxquels se livrent les pairs et les gestionnaires de l’université et reconsidérer leurs pratiques.

Par ailleurs, les universités devraient s’inspirer davantage du modèle collégial pour l’enseignement au premier cycle. De la sorte, plus de professeurs enseigneraient au premier cycle, donneraient plus de cours, gagneraient un salaire raisonnable pour la prestation qu’ils fournissent et ne seraient plus payés pour de la recherche qu’ils n’effectuent pas. Il s’ensuivrait un meilleur équilibre entre le nombre de cours donnés par les professeurs et ceux donnés par des chargés de cours dont la proportion dépasse les 50% dans la plupart des universités du Québec, une réduction du coût relatif des études de premier cycle, une plus grande cohésion des programmes d’études et une amélioration notable de la qualité de l’encadrement et de la formation donnés aux étudiants.

Enfin, on devrait interdire le double emploi à ceux qui ne font pas de recherche. S’ils n’ont pas le temps de chercher, ils ne devraient pas se chercher de clients sur leur temps d’emploi sous prétexte du rayonnement universitaire. Les meilleurs salaires devraient être versés aux meilleurs chercheurs et professeurs qui consacrent tout leur temps à la poursuite de la vraie mission universitaire, peu importe leur âge ou l'avancement de leur carrière.

Compte tenu des iniquités qu’elle suscite et lorsque l’on sait que la masse salariale des professeurs d’université du Québec est de plusieurs centaines de millions de dollars,,il serait donc tout à fait logique de revoir la tâche des professeurs et l’évaluation qui en est faite avant même de songer à investir de nouvelles sommes d’argent provenant des droits de scolarité des étudiants.» Quelle crise des universités?

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Une tâche obscure

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Louis Lapointe534 articles

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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1 commentaire

  • Michel Pagé Répondre

    8 janvier 2013

    Sur le sujet que vous abordez aujourd'hui, il serait bon de d'ajouter deux volets que l'on tait ..
    1. Il serait utile de comprendre que le tronc commun des études collégiales ne constitue pas, à proprement parlé, un niveau d'enseignement supérieur mais une étape intermédiaire préparatoire aux études de l'enseignement universitaire. Tel en est-il partout ailleurs, sous les régimes anglo-saxon ou des Lycées! Sous ce paradigme, la question des financements et celle des cégeps en français (la première année) deviennent beaucoup plus claire...
    2. Il serait utile et pertinent de soulever la question du surfinancement de l'enseignement en anglais notamment au niveau des cégeps anglophones et surtout par le truchement de la croissance relativement récente de l'université Concordia. Tout du statut linguistique et de l’ex-croissance de cette université devrait être remis en question…

    Il serait utile de prendre connaissance de la section ''Déséquilibre systémique, récurrent et croissant entre le secteur anglophone et francophone '' de la brochure http://www.coopuqam.com/257901-Livres--produit.html Financement des universités et hausses des droits de scolarité :solidarité citoyenne, contrat social, saine gestion et des non-dits.
    Bien votre
    MP