Monsieur le Ministre,
En réponse à votre demande de suggestions pour améliorer votre projet de Charte de la laïcité, il me fait plaisir de vous faire parvenir les miennes. Certaines de vos propositions laissent songeurs quant au statut de Charte et aux objectifs poursuivis par votre projet.
Tout d’abord, le nom de Charte suppose un certain nombre d’a priori par rapport à un projet de Loi. Une Charte devrait préciser d’autres lois fondamentales de notre société, voire les modifier. Il y a quelques caractéristiques qui permettent de vérifier que nous avons bel et bien affaire à une Charte d’une part, et de la laïcité ensuite. Je vous précise d’entrée de jeu que je ne suis ni avocat ni philosophe, que je ne suis qu’un citoyen préoccupé de l’avenir du Québec. Je vais vous livrer les objections ou les précisions que je voudrais voir ajouter à la Charte.
L’une des premières caractéristiques d’une Charte est son universalité. Elle devrait s’appliquer partout sur le territoire, avoir le même sens pour tous les citoyens et maintenir l’égalité de tous devant la Loi. En ce qui concerne la primauté de l’égalité des hommes et des femmes devant la loi quand il faut interpréter la Charte des droits et libertés, l’objectif est parfaitement rencontré. De même pour les services sollicités à l’État, ou rendus par lui, il fallait préciser la condition du visage découvert qui, sans jeu de mots, crève les yeux d’évidence.
Par contre, je ne comprends pas qu’un groupe de non élus puissent surseoir une Charte indéfiniment. En fait, je ne comprends pas que qui que ce soit puisse le faire, fut-il maire de Montréal ou de Québec, et ce, même temporairement. Je ne comprends pas non plus ce qui motive une telle discrétion donnée à de simples administrateurs ou à des élus. Si vous redoutez des difficultés d’implantation, vous pouvez fixer un délai raisonnable pour permettre aux institutions de s’adapter, à toutes les institutions, avec le même délai. Si vous redoutez une réaction démesurée dans certains milieux, où dans le fond, une Charte pose problème ou n’en règle aucun, on peut tirer la ligne autrement. Mais une fois tirée, la ligne ne devrait pas devenir un élastique permettant à tout un chacun de faire n’importe quoi.
J’ai aussi beaucoup de réserves sur la proposition d’interdire le port du voile et du turban à nos compatriotes musulmanes et Sikhs, tout en permettant les signes chrétiens d’une certaine grosseur. Tout d’abord, la Charte permet ainsi aux uns ce qu’elle interdit aux autres; la Loi devrait être la même pour tout le monde. Ensuite, elle laisse une place bien trop grande aux détournements de toute nature. Le voile des Musulmanes n’est pas la seule différence vestimentaire permettant de les identifier. J’ai observé quelques Musulmanes voilées dans le métro. Non seulement le voile les caractérise-t-elles, mais tout le reste du costume : pantalons ou jupes très longs, manches très longues, couleurs uniformes (blanc ou noir).
En ce qui concerne l’école, il devrait être clair qu’il est interdit dans toutes les écoles publiques et privées, de réciter une prière et d’accommoder tout étudiant sur une base de religion pour les horaires, les jours de congé, etc.. C’est ainsi que ça se passe aux États-Unis, notre aimable voisin, pays particulièrement chatouilleux en ce qui concerne les droits et libertés des citoyens et pourtant très religieux.
Je sais qu’en ce qui concerne le port de signes religieux, s’appuyant sur ses études et des opinions juridiques, la Commission Bouchard-Taylor recommandait que ces interdits soient réservés aux seules personnes ayant pouvoir de coercition. Nonobstant l’immense respect que j’éprouve pour ces deux représentants de l’élite intellectuelle québécoise et pour Monsieur Parizeau, je ne suis pas d’accord.
En ce qui concerne le port de signes religieux, je dois avouer que je ne comprends pas ceux qui en sont offensés. Il y a cinquante à peine, avec nos valeurs de l’époque, les Québécois étaient choqués à l’idée de voir des homosexuels s’embrasser en public, certains, sans doute pour participer aux chansons de Brassens, s’offusquaient même des amoureux qui se bécotent sur les bancs publics. Nous avons bien changé aujourd’hui, les chefs de tous les partis politiques affirment assister à la parade de la fierté gaie depuis longtemps, où ce qui est montré publiquement était autrefois réservé à des cabarets étroitement encadrés par la police.
Mais j’entends que des citoyens sont offusqués par la présence de signes religieux lorsqu’ils sont servis par des employés de l’État ou de ces agences, d'autres se plaignent du gout douteux de certains employés. Plusieurs craignent que des étudiants ou de jeunes enfants exposés à des signes religieux entraînent un questionnement de la part des enfants qui les amènent vers la religion de ceux de nos compatriotes qui les pratiquent. Je reviens à l’exemple des Musulmanes, seulement enlever le voile est insuffisant, surtout que certains islamistes vont s’ingénier à nous provoquer en cherchant le costume permis par la Charte, mais qui identifiera le plus clairement leurs ouailles.
Pour tous les cas où la Loi prévoira l’interdiction des signes religieux, je suggère que les employés visés par cet interdit soient tenus de porter un uniforme ou un costume. Ça n’a rien de révolutionnaire. Les infirmières et les infirmiers en ont longtemps porté un, les facteurs et les releveurs de compteurs d’Hydro-Québec aussi, même les employé(e)s du pavillon québécois de Terre des hommes avaient un costume, et aucun de ces corps d’emploi n’exerce de coercition. Les personnes ayant un pouvoir de coercition portent un uniforme de policier ou de gardien de prison qui n’est pas particulièrement attrayant, mais en autant que je me souvienne celui des employées du pavillon québécois était particulièrement réussi. Et en agissant ainsi, la Charte respecterait le principe d’universalité.
Il faudrait limiter le costume aux seuls employés de l’État ou de ses agences en contact avec le public. Je ne vois pas pourquoi on interdirait le port de signes religieux aux autres employés de l’État. Et parce que les élèves y sont bien assez grands pour ne pas être influençables, je ne vois pas pourquoi les professeurs de collège ou d’université ne pourraient pas porter de signes religieux. Je suis loin d’être convaincu que même pour de jeunes enfants cette règle ait une quelconque efficacité. Mais je suis prêt à voir des enseignants portant un costume prescrit pour rassurer les sceptiques.
Dernier détail qui a son importance. Les assemblées délibérantes (Assemblée nationale, conseils municipaux, etc.) devraient les premières respecter une Charte qui proclame la laïcité. Donc la Charte devrait y prohiber les signes religieux : les crucifix, la photographie ou le portrait du ou de la chef de toute secte, comme la secte anglicane (en clair, je parle de Sa Majesté du chef du Canada), des prières en tout temps, des vêtements associés à une religion, etc..
J’ai limité aux seuls irritants mes commentaires, mais vous comprendrez que je suis tout à fait d’accord avec la primauté de l’égalité des hommes et des femmes pour interpréter la Charte des droits et des libertés et qu’il est urgent de passer le message. De même pour les services offerts ou demandés à visage découvert, il y a là un consensus dont il faut profiter. Pour le reste, je me dois de vous demander d’agir avec célérité, ce débat tourne au vinaigre, et Dieu sait où il nous conduira si vous le laissez dégénérer. Je vous rappelle que le concept de neutralité ou de laïcité de l’État a été développé en Occident pour régler le problème des guerres de religion qui dévastaient l’Europe. Il ne devrait pas être utilisé ici pour susciter ici une nouvelle croisade.
Recevez, Monsieur le Ministre, l’expression de mes sentiments les meilleurs,
Lettre ouverte à Bernard Drainville
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3 commentaires
Archives de Vigile Répondre
8 octobre 2013Bonjour Louis Champagne
Dans la théorie de la communication, il y a l'émetteur, le message et le récepteur. Parlons du récepteur qui est moi. Le récepteur ne reçoit pas le message et s'interroge sur l'émetteur pour lequel il a beaucoup d'estime.
Devant votre message, je revis l'expérience éprouvante que j'ai vécue en lisant "L'éthique" de Spinoza qu'Andrée Ferretti dit comprendre et ça m'épate: je ne comprends rien. Ça rend humble ce qui n'est pas une mauvaise chose. Je renonce à essayer de vous comprendre ce qui ne m'arrive pas souvent.
Il faudrait comparer votre message avec la déclaration du Rassemblement pour la laïcité qui est publiée sur le site www.laicitequebec.org où tous peuvent apposer leur signature.
Je viens de la signer et cette déclaration exprime ce que je pense de la Charte des valeurs québécoises. A titre d'exemple, Gilles Vigneault et Yves Michaud l'ont signée et font partie des 13,560 citoyens et citoyennes qui en date du 8 octobre à 13h30 l'avaient signée. Nicole Hébert d'independantes.org l'a aussi signée.
Cette pétition est une initiative de Michèle Sirois qui a publié sur la Tribune libre de Vigile, le 18 septembre 2013, un excellent article intitulé: "Lettre à Maria Mourani ; La laïcité inclusive ou l’aveuglement volontaire."
Une suggestion: lire la libre opinion de Victor-Lévy Beaulieu dans Le Devoir d'aujourd'hui intitulée: "Non, Monsieur Parizeau".
Louis Champagne Répondre
6 octobre 2013Bonjour M. Barberis-Gervais,
Non, l’idée du costume n’est pas une de mes plaisanteries comme vous le croyez. Auriez-vous l’obligeance de me donner quelques exemples de son inefficacité, peut-être un ou deux arguments, plutôt que des affirmations sans fondement. Cette formule réconcilie Parizeau et Drainville sans faire perdre la face à personne, ce n’est pas rien. Cherchez un peu d’arguments, nous en discuterons.
Je vois que vous continuez à dénigrer la Charte des droits et libertés du Québec, la première qu’ait connue non seulement le Québec, mais le Canada. Soit. Vous croyez sérieusement que l’égalité des hommes et des femmes découle de la Charte de Drainville. Soyons sérieux. Même sa primauté pour interpréter les autres droits et libertés garantis par notre Charte aurait pu être ajoutée à la Charte québécoise des droits. L’égalité des hommes et des femmes vient de la Charte des droits (de Trudeau selon vous), pas de la Charte des valeurs. Allez lire le texte de M. Nestor Turcotte un peu plus loin sur Vigile si vous ne comprenez pas le sens de la laïcité. Et rassurez-vous, même si vous n’accordez de valeur qu’à la Charte canadienne, je ne croirai pas pour autant que vous et Drainville seriez devenus des disciples de Trudeau.
Selon vous, le voile des musulmanes doit être retiré parce qu’il serait l’expression de la domination de l’homme sur la femme. Ce n’est pas ce qu’affirment nombre de musulmanes. Vous avez été cherché ça dans l’avis, unanime, ça va de soi, du Conseil du statut de la femme. Si c’est votre argument, pourquoi forcer les Sikhs à retirer leur turban alors? Ce n’est certes pas pour des raisons d’égalité des hommes et des femmes qu’ils devront le faire, c’est parce que c’est un signe religieux. Il faudra retirer tous les signes religieux où nous déciderons de l’imposer parce que ce sont des signes religieux, et uniquement pour cette raison, et non pour obéir aux dictats du CSF, si unanimes soit-il. J’ai écrit que tous ces signes devraient être retirés, et comment éviter des ennuis d’interprétation ensuite.
Car n’allez pas croire qu’une fois dévoilées par Drainville, les musulmanes vont se promener en mini-jupes et décolletés profonds. Je suis convaincu que nous ne sommes pas au bout de nos peines si nous ne sommes pas prudents maintenant. D’où l’idée du costume.
Je vois que vous voyez quelques imperfections à la Charte de Drainville. Au moins progressons-nous.
Archives de Vigile Répondre
4 octobre 2013Monsieur Champagne,
Tant que vous refuserez d'admettre l'incompatibilité entre l'égalité hommes-femmes et le port du foulard islamiste imposé par l'intégrisme, vous ne comprendrez pas qu'on puisse être offusqué par la présence de ces signes dits religieux. Vous n'êtes pas le seul hélas! puisque c'est aussi le cas de ceux et celles qui font du port du foulard islamiste un droit fondamental selon la Charte des droits de Pierre Elliot Trudeau. Sans voir que le droit à l'égalité pour les femmes est un droit plus fondamental qui est contredit par le port du foulard fût-il multicolore pour nous tromper comme le fait Dalida Awada.
Nous acceptons (à contrecoeur) que certains se servent du concept de liberté religieuse pour justifier le port du foulard islamiste partout et en tout temps sauf sur les heures de travail pour un employé des secteurs publics et parapublics. L'Etat qui est neutre au point de vue religieux ne peut être représenté par des femmes qui portent ostensiblement un signe religieux comme le foulard, un signe religieux, qui en plus, est le signe d'une soumission de la femme à l'homme.
Comme vous ne comprenez pas ces principes de base comme Jacques Parizeau et Lucien Bouchard, ou que vous ne voulez pas les comprendre, vous pouvez vous permettre d'essayer plus ou moins subtilement de ridiculiser ceux qui ne pensent pas comme vous en suggérant le port d'un costume ou en suggérant que des femmes musulmanes plus ou moins intégristes qui ne porteraient plus le foulard vont continuer à porter le reste d'un attirail de vêtement qui va continuer de les identifier comme musulmanes. Cette considération est tout simplement ridicule et vous le savez et le sachant vous frôlez la mauvaise foi, je n'ai pas le droit de l'écrire car ce pourrait être considéré comme une attaque ad hominem. Vous avez un petit côté pince sans rire que certains ne perçoivent pas.
Vous faites exprès pour compliquer les choses avec votre logique qui se croit implacable en proposant des choses inapplicables. Puisque les opposants à la Charte se servent à peu près tous de l'argument des études sans lesquelles on ne pourrait rien faire, je vous citerai une étude qui a démontré que les croyants sont moins intelligents que les incroyants. Je n'en crois rien évidemment mais je vous avoue que vos élucubrations m'y font penser et pourraient servir d'argument à ceux qui soutiennent cette thèse.
Pauvre ministre Drainville s'il se mettait en peine de donner suite au genre de propositions que vous lui faites.
Quant aux illogismes, aux inconsistances et aux contradictions que vous notez dans le projet de Charte des valeurs, espérons qu'elles seront corrigées quand le gouvernement aura fait son lit. Pour le moment, qu'elles ne vous servent pas à discréditer ce qu'il y a de valable dans le projet soit l'interdiction du port des signes religieux ostensibles sur leurs heures de travail pour les employés des secteurs publics et parapublics.
Robert Barberis-Gervais, 4 octobre 2013