Quelle pointure chaussait Félix ?

Chronique de Jean-Pierre Durand

Il se trouve des hurluberlus pour dire qu’ils ont vu Elvis Presley la semaine dernière sur un coin de rue à Memphis et d’autres, plus fous encore, pour prétendre que le français se porte bien au Québec. Remarquez que pour la première assertion, je pencherais pour dire que cela se peut. Après tout, n’ai-je pas croisé Elvis déjà à la boulangerie de Sainte-Béatrix? Avant qu’on ne vienne me passer la camisole de force, précisons que mon Elvis à moi n’avait rien de paranormal et que c’était plutôt le comédien Julien Poulin, qui personnifie Elvis Gratton dans les films de Falardeau et qui demeure dans Lanaudière de toute façon. Pour ce qui est d’Elvis Presley, il faut bien se faire à l’idée qu’il est mort, tout comme Marilyn Monroe d’ailleurs, dont Tony Curtis, qui était de passage à Montréal le mois dernier, dans le cadre du Festival des films du monde, confirmait même au Journal de Montréal qu’elle s’était suicidée (méchant scoop!) et rabrouait la thèse de l’assassinat (cette fabulation qui a la vie dure à cause de l’idylle qu’on lui a prêtée avec les frères Kennedy). Bref, car là je sens que je m’éloigne du sujet, pour les morts, quand ils le sont vraiment, les chances de les rencontrer autrement qu’en esprit sont minces, à moins d’aller les rejoindre dans l’au-delà… très peu moi, le ciel peut attendre.
Félix Leclerc nous a quitté le 8 du huitième mois vers 8 heures en 88 ! Avouez que c’est plus fort qu’Elvis surpris à manger un roteux au Montréal Pool Room et qu’en plus, là, c’est vrai… hélas! Car il nous manque, notre troubadour, notre barde, notre célèbre chansonnier, qui nous a laissés inconsolables comme ce « pauvre Bozo pleurant sur son radeau ». Vingt ans déjà et l’on sait que les anniversaires, surtout quand ils ont des chiffres ronds, on les souligne d’ordinaire davantage. Et c’est très bien ainsi.
Dans ce concert de commémorations pour Félix, s’il faut à n’en point douter saluer l’œuvre littéraire et musicale, et se rappeler en les fredonnant ses plus belles chansons (Dieu sait que Félix n’en manquait pas, voire n’en manquait pas une), il importe aussi, pour les indépendantistes, de se souvenir que Félix était du même côté de la barricade que nous. C’est en substance ce qu’on pouvait lire sur un tract distribué par des militants du Réseau de Résistance du Québécois le 8 août dernier, lors des Francofolies de Montréal, qui citait les dernières lignes du « Tour de l’île » : « Les fruits sont mûrs dans les vergers de mon pays. Ça signifie l’heure est venue si t’as compris. » Et qui se terminait, si ma mémoire est bonne (mais ne vous y fiez pas trop quand même), par « Joignez les rangs de la Résistance. Vive le Québec libre ! » Toujours aux Francofolies, d’autres militants, cette fois du Mouvement Montréal français, faisaient signer une pétition pour le renforcement de la Charte de la langue française. Voilà à mon avis deux belles et militantes façons de commémorer Félix. Je dis cela, mais il ne faudrait pas pour autant bouder notre plaisir et se priver des chansons de Félix, qu’elles soient douces, naïves, d’amour, gaies ou tristes, ou engagées comme « L’alouette en colère ».
Le Québec possède de très grandes voix pour interpréter les chansons de Félix. On l’a vu à maintes reprises, que l’on pense, pour n’en nommer qu’une, à Johanne Blouin lors de notre Fête nationale, cette même Johanne Blouin qui récidivait plus tôt cette semaine en lançant avec quatorze autres artistes un album hommage à Félix. Le 24 août dernier, j’étais sur les Plaines d’Abraham avec bobonne pour le spectacle du 400e « Paris – Québec » quand Linda Lemay et Hugues Aufray ont repris le « Petit bonheur ». Dans la même soirée, Yves Duteil reprenait pour la mille et unième fois sa « Langue de chez nous » (qu’il avait dédiée d’ailleurs à Félix), dans laquelle il nous trimballe pour notre plus grand petit bonheur de l’Île d'Orléans jusqu'à la Contrescarpe.
Ce même 24 août, mais en après-midi, j’ai refait le tour de l’île d’Orléans, lieu des ancêtres de Félix (mais aussi des Durand… quoique, au fond, tout cela a bien peu d’importance – surtout pour les Durand! – puisque l’île mythique se confond avec le pays québécois tout entier). J’ai visité l’Espace Félix-Leclerc. Au risque de vous paraître renoteux sur les bords, j’ai trouvé dommage et un brin inutile que certains des panneaux présentés dans ce musée contiennent des traductions anglaises. Je m’explique. Les visiteurs du lieu sont quasiment tous francophones, sinon francophiles. Moi qui ai maintes fois visité les musées ontariens, because la belle-famille, je peux vous dire que des inscriptions bilingues (à moins que ce ne soit dans un musée fédéral), c’est rare comme de la merde de pape. Et, j’insiste, je ne veux pas accabler les initiateurs de ce magnifique Espace Félix-Leclerc, oh que non! mais j’ai pensé immanquablement à ces mots tirés du « Tour de l’île » : « On veut la mettre en minijupe and speak english. Faire ça à elle l’Île d’Orléans, notre fleur de lyse. »
Quand j’ai fait remarquer les inscriptions bilingues à mon épouse, qui est anglaise, la pauvre (car ça ne se corrige pas), depuis sa naissance en Ontario, elle m’a répondu : « Sois pas fou, ou tu cherches des poux, ou tu vois de l’anglais partout. » (Comme monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, ma femme fait des rimes en crime.) Ce à quoi j’ai répondu du tic au tac, comme disait l’autre: « Je peux bien voir de l’anglais partout, figure-toi donc que ça fait bientôt trente ans que je couche avec une Anglaise. » Et vlan! Quins-toé!
Pour revenir à Félix, puisque la plupart des hommages qui lui seront rendus feront peu ou prou abstraction de son engagement politique, rappelons certains de ses propos, comme celui-ci rapporté par le journaliste Pierre Gravel de La Presse en janvier 1965 : « Un colonisé, c’est un homme dépersonnalisé. Qui parle, s’habille comme son maître, le singe et le lit. Et qui au fond le hait et l’envie. Un homme libre, c’est un homme qui n’a pas honte de son père et sa mère, ni de son milieu. Qui circule tête haute sur la planète, commandant le respect et la fierté. »
En janvier 1980, lors d’un spectacle télédiffusé, Leclerc déclare à la toute fin : « Le Québec est un pays divisé, excepté quand il chante. Chante Québec et tu ne mourras pas. » Encore serait-il indiqué aujourd’hui de préciser, question de faire un énième pied de nez à mademoiselle Picarbenne : « Chante en français Québec et tu ne mourras pas. »
Impliqué dans le camp du Oui au référendum de 1980, Leclerc dit ceci : « Si les Québécois avaient, pour tout ce qui est québécois, la moitié du fanatisme que les Anglais ont pour tout ce qui est anglais, Québec serait un pays libre demain matin. Le même exemple va pour les Juifs… Québec serait une force redoutée et redoutable. »
À l’été de 1983, Félix accepte l’invitation de Jean-Pierre Ferland de participer à son émission Station Soleil sur les ondes de Radio-Québec. Il s’adresse alors plus spécifiquement aux jeunes, les exhortant de persister dans leur quête d’un pays, soulignant que certains peuples ont pris jusqu'à 200 ans pour gagner leur indépendance : « Ce n’est pas vrai que cette idée (d’indépendance) soit dépassée. Il faut ressusciter ce rêve. Il faut en parler encore. Si on se laisse faire, on deviendra la Louisiane. La jeunesse, à qui appartient la tâche de changer les choses, doit prendre la place des aînés et faire son choix décisif. La souveraineté, c’est maintenant son affaire! »
Leclerc écrira, ou commettra, c’est selon, d’autres textes engagés comme cette magnifique épitaphe pour René Lévesque : « La première page de la vraie histoire du Québec vient de se terminer, à ceux qui restent d’écrire la deuxième. (…) Dorénavant, il fait partie de la courte histoire des libérateurs de peuple. ». Et encore, ce célèbre texte du printemps 1988 qu’il fit parvenir à la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal au sujet de la Charte de la langue française et qui dit entre autres ceci : « Nous avions la Loi 101 comme protection et survie. Où est-elle rendue? » Mais mon texte préféré de Félix sur la question du français demeure ce télégramme lu lors de la manifestation du Mouvement Québec Français, le 17 avril 1988 : « L’étudiante de 17 ans est partie à l’épouvante quand on lui a dit que la langue française était dehors, dans un panier d’ordures, mourait de froid et de faim. Elle l’a emportée, soignée, guérie et sauvée. »
Alors, quelle pointure chaussait Félix? Cette question est sans intérêt, l’essentiel étant de marcher dans ses pas…
(NOTE : La majeure partie des citations de Félix sont tirées du merveilleux livre que lui a consacré Marcel Brouillard : Félix Leclerc, L’histoire d’une vie, paru aux Intouchables. Rappelons que la SSJB de Montréal présente dimanche le 7 septembre, à midi, un spectacle-conférence intitulé Félix, 20 ans déjà, animé par Marcel Brouillard, avec la présence de Gaétan Leclerc, le neveu de Félix, qui interprétera plusieurs chansons de ce grand Québécois. On s’informe pour les billets en contactant la SSJB de Montréal au numéro suivant : 514-843-8851.)


Laissez un commentaire



2 commentaires

  • Daniel Verret Répondre

    5 septembre 2008

    Alors, quelle pointure chaussait Félix ? Cette question est sans intérêt, l’essentiel étant de marcher dans ses pas…
    Félix était un géant, alors, il n’existe pas de mesure pour de tels pieds.
    Pour ce qui est de marcher dans ses pas. Pas de problème puisque l’espace est suffisant pour toutes les pointures; à la condition de faire de très grandes enjambés car M. Leclerc avait des jambes proportionnelles à ses pieds de géant.

  • Michel Guay Répondre

    4 septembre 2008

    L'oeuvre de Félix Leclerc en dit long sur son respect de la nation Québecoise , sur son amour pour notre pays le Québec, son courage pour l'éveil de tous et son ouverture au monde des êtres libres , décolonisés et fiers de leur histoire.
    Avec des piliers solides, profonds de long en large qui s'élévent dans les plus grandes hauteurs comme tous les patriotes du monde le Québec est assuré d'un avenir merveilleux.