Lors du conflit qui opposa le Barreau du Québec à ses étudiants en 1974, non sans courage et fidèle à lui-même, Julius Grey fut un des rares étudiants à franchir le piquet de grève des étudiants qui boycottaient les examens du Barreau. Ses droits individuels primaient ceux des autres étudiants en grève.
Si Julius Grey réussit ses examens, les grévistes qui perdirent leur année scolaire eurent gain de cause. Parmi eux, tout aussi courageux, le Bâtonnier Francis Gervais qui, contrairement à Julius Grey, n’a jamais eu la réputation d’être un homme de gauche.
Le Barreau dut se rendre à l’évidence et moderniser ses pratiques pour répondre aux critiques de ses futurs membres. L’École du Barreau est donc devenue une entité autonome du Barreau financée par le gouvernement du Québec et les droits de scolarité de ses étudiants.
Une société ne peut pas se mettre toute une génération d’étudiants à dos en refusant de discuter avec elle.
Le Barreau l’avait bien compris à l’époque et n’avait pas eu le choix d’entreprendre un virage qui permit à l’École du Barreau de se transformer, même si au fil des années ses relations parfois houleuses avec le Barreau du Québec, les facultés de droit et le ministère de l’Éducation n’ont pas toujours favorisé la prise des meilleures décisions.
Le conflit qui oppose aujourd’hui les universités et le gouvernement aux étudiants en grève et dans lequel interviennent les défendeurs des droits individuels qui veulent franchir les piquets de grève n’est pas très différent de celui qu’a vécu le Barreau du Québec il y près de 40 ans.
Ce qui différencie toutefois ces deux conflits étudiants, c’est l’absence de débat.
Contrairement au gouvernement du Québec, le Barreau du Québec avait reconnu la légitimité des demandes des étudiants en imprimant un sérieux virage à son École, soulignant même l’importance de cette grève dans l’évolution de l’École.
Contrairement à ce que prétendent Jean Charest et Line Beauchamp, le débat sur la gestion des universités et la gratuité universitaire n’a jamais eu lieu. Les recteurs se sont peut-être assis à la même table que les représentants du gouvernement, mais il n’y a pas eu de débat public.
Un sujet* que les recteurs ont décidé d’occulter une fois de plus en proposant que les étudiants travaillent encore plus pour payer leurs droits de scolarité ou, à tout le moins, qu’ils investissent dans leur avenir, une façon polie et politiquement correcte de leur suggérer de s’endetter davantage. Quand succès scolaire et gratuité universitaire vont de pair
***
Que Richard Martineau, Yves Boisvert, Jean-Jacques Samson, André Pratte et Alain Dubuc soient tous pour la hausse des droits de scolarité et contre la grève des étudiants n’a rien d’étonnant en soi. Ils logent tous à la même enseigne que le gouvernement et les universités et ont tous en commun de présenter une analyse superficielle de la situation des universités. Connaissant peu le milieu universitaire, ils préfèrent céder à la facilité et défendre une vision idéologique plutôt que de faire de vraies enquêtes sur ce qui se passe à l’intérieur des universités. Ce qu’on appelle communément de la paresse intellectuelle.
Les positions de Joseph Facal et Christian Dufour sont quant à elles beaucoup plus préoccupantes.
Peu enclin à l’autocritique, ces deux enseignants universitaires n’abordent jamais la question de la gestion des universités et de la tâche des professeurs dans leurs chroniques.
Comme si les administrations universitaires n’avaient pas contribué à leurs propres difficultés financières et que la résolution de leurs problèmes se résumait à comparer les sommes que le gouvernement et les étudiants leur versaient à celles que les autres universités du continent percevaient.
Comme si toutes les sphères de la société québécoise devaient faire mieux avec ce qu’elles recevaient, sauf les universités. Un manque flagrant de respect pour les contribuables et les étudiants.
À l’image de Julius Grey, si Joseph Facal et Christian Dufour peuvent être qualifiés d’empêcheurs de tourner en rond, le combat qu'ils poursuivent en est un d’arrière-garde et le changement qu’ils prônent est en fait une régression sociale de plus face à l’ultralibéralisme ambiant.
Comme le dit Catherine Audard, si le libéralisme a échoué dans le projet de rendre les individus plus libres, la réponse ne peut pas être « de détruire une bonne partie des acquis sociaux, pour lesquels le libéralisme social du début du 20e siècle s’était battu », mais d’éviter le pire, en résistant au pouvoir injuste par la dissidence, la seule façon d’exprimer sa liberté lorsqu’on ne peut promettre le meilleur. Le pessimisme de Joseph Facal
Reconnaissons-le, la gratuité universitaire n’est une utopie que pour ceux qui ont abandonné le combat pour la défense des acquis sociaux et la grève étudiante est probablement la meilleure façon de résister à ce pessimisme!
***
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4 commentaires
Archives de Vigile Répondre
12 avril 2012Je n'ai aucun problème avec la gratuité de l'éducation ni même le gel des frais à l'Université. Toutefois, rien ne va plus dans les finances de la Province. L'utopie n'est pas d'avoir la gratuité mais d'avoir une saine gestion des finances publiques et para-publiques.
Commençons par y faire le ménage; il nous sera alors possible d'évaluer ce que nous pouvons nous permettre tout en remboursant nos dettes comme le suggère monsieur Turcotte.
Élisons un gouvernement qui non seulement promettra l'assainissement des finances publiques et para-publiques mais qui se mettra à l’œuvre dès le lendemain des élections.
Actuellement, nous nous dirigeons, tête baissée, vers un mur. Nous n'avons plus les moyens de tout donner sans recevoir.
Archives de Vigile Répondre
12 avril 2012Le pouvoir est dans les médias, on ne s’en sort pas! Les gouvernements de droite favorisent le « vivre et laisser vivre ». Chacun fait sa part. Je vais travailler à ma banque nationale ce matin, viens pas m’achaler à la porte avec tes revendications d’enfants : va t’en travailler et paie tes taxes comme moi je les paie, pour défrayer tes études.
Ces réflexions retransmises par les médias sont la contamination d’une ministre stipendiée par la haute finance. Son supérieur immédiat, qui doit garder les mains blanches pour se faire réélire, n’apparaît que par clips furtifs, comme un renard qui regarde de côté son employée se compromettre, et se pousse dans son terrier.
Et le plus sidérant, c’est la contamination d’une (majorité?) partie des étudiants eux-mêmes, qui réclament leur propre bastonnade : augmenter leur dette à vie! Ils veulent arrêter le boycott pour rentrer vite à leur boulot d’été, gagner les sous pour payer cette augmentation… augmentation qui les empêche quand même de payer leur loyer en septembre… la droite raisonne à Ottawa/Toronto, à Québec conscrit, dans les médias concentrés, dans les tête des familles qui parlent avec leurs jeunes éponges…
Un (raté) Mario Dumont tente de dénigrer le sens du long terme dont témoigne Gabriel dans son leadership étudiant… il prétend l’avilir en lui attribuant de l’ambition personnelle dans un parti pseudo-indépendantiste… Or, quel que soit le choix de ce jeune planificateur social, son travail des derniers mois démontre qu’il a déjà gradué à l’université de la rue. Si le peuple sort assez nombreux le 22 avril en réclamant la démission en bloc du gouvernement Charest, la Junte estudiantine est déjà prête à l’éclipser… Aidons-les à compléter la Révolution tranquille : le monde nous observe.
Archives de Vigile Répondre
11 avril 2012Quel était le montant de la dette du Québec en 1965 ? Quel est le montant de la dette du Québec, aujourd'hui?
Avant d'offrir ce que l'on n'a pas, ne pourrait-on pas commencer par payer ce que l'on doit?
Nestor Turcotte
Raymond Poulin Répondre
11 avril 2012Le sociologue Guy Rocher, co-rédacteur du Rapport Parent, aura 88 ans ce mois-ci. Il précède donc d’au moins deux générations la plupart des ténors de l’instruction tarifée. On comprendrait qu’il se trouvât du côté de ces derniers. Or il promouvait déjà, en 1963, la gratuité scolaire de la maternelle au doctorat; aujourd’hui, il appuie sans restriction les étudiants en grève et qualifie leur cause de juste. Nos vieilles barbes ne sont pas celles qu’on pourrait penser. C’est dire à quel point la censée modernité de nos contempteurs de carabins traîne derrière elle les casseroles d’une idéologie mercantiliste remontant au XVIIIe siècle, eux qui ne daignent même pas s’apercevoir combien coûte à la société québécoise le principe de l’utilisateur-payeur lorsque le bien commun est en cause. Nos Martineau, nos Facal et nos recteurs devraient faire valoir leur droit à la retraite dans un établissement pour cerveaux prématurément ramollis.