Quel avenir pour la langue française?

(...) les conséquences de l'immobilisme de la Francophonie seraient désastreuses pour l'avenir du français

XIIe Sommet de la Francophonie - Québec du 17 au 19 octobre 2008

Ce sujet brûlant est le titre d'un nouvel essai écrit par Jean-Louis Roy, (Hurtubise HMH) à la veille du Sommet de la Francophonie. Un livre intéressant, tant par les informations qu'il contient que par les propositions qu'il avance [[NDLR: nous en publions d'ailleurs des extraits ci-contre->15155]].
Depuis quelque temps, universitaires et observateurs de la scène linguistico-politique s'intéressent à cette bataille des langues qui fait rage et qui pourrait bientôt conduire à la diminution sinon à la fin de la prédominance de l'anglais dans le monde. Ainsi, Le Monde diplomatique consacrait un numéro de Manière de Voir, en février 2008, à cette question, et Bernard Cassen y allait d'un éditorial combatif sur «cette arme de domination...» qu'est pour lui l'anglo-américain, vecteur de la mondialisation néolibérale.
Par ailleurs, dans un livre collectif auquel j'ai participé, L'Avenir du français, publié il y a quelques mois aux Éditions des Archives contemporaines, en France, les auteurs reprenaient ces thèmes; en introduction, on y lit que les conséquences de la chute du Mur de Berlin, de la réunification de l'Allemagne, de l'implosion de l'URSS, de la renaissance de la Chine, de l'affirmation de l'Inde et de la construction européenne «laissent entrevoir un possible rééquilibrage entre les langues de grande diffusion à l'échelle planétaire».
Jean-Louis Roy fait le même constat et démontre que certains pays émergents prenant des forces économiques et politiques développent parallèlement «des ambitions pour leur langue et leur culture».
Le cas de la Chine illustre bien son propos. Il rappelle d'abord que le mandarin est la langue parlée par le plus grand nombre de locuteurs dans le monde et qu'elle est répandue dans toute l'Asie qui, vraisemblablement, dominera économiquement la planète au XXIe siècle. Pour plusieurs spécialistes américains, ajoute-t-il, la langue chinoise est déjà devenue stratégiquement incontournable. Le maire de Chicago ne déclarait-il pas récemment au New York Times: «Je crois qu'il y aura deux langues mondiales, la langue chinoise et la langue anglaise.»
La Chine s'est donné une véritable politique linguistique extérieure, dont un puissant réseau d'enseignement à distance et une grande chaîne télévisuelle multilingue -- CCTV -- que l'on peut, en effet, capter dans sa version française un peu partout dans le monde. Mais le coeur de son offensive réside dans la création, d'ici à 2020, de mille Centres Confucius dans lesquels l'apprentissage du chinois sera à l'honneur. Existent pour l'instant 145 de ces centres répartis dans 50 pays.
L'objectif de la Chine est clairement affirmé par les autorités chinoises: faire un jour du chinois la langue du monde, ni plus ni moins. Elle y met toute sa volonté politique qui est grande et des moyens considérables, humains et financiers, y inclus en Afrique francophone où elle investit beaucoup dans tous les secteurs de l'économie sans oublier l'audiovisuel... en français. Il en va de même, à des degrés moindres, de la Russie et de l'Inde ainsi que de l'entreprenante hispanophonie.
Quel avenir, par conséquent, pour le français dans cet univers de concurrence sans merci? La langue française a des atouts: elle est présente sur tous les continents et elle est enseignée soit comme langue maternelle, langue seconde ou étrangère, dans la plupart des pays même si, en termes relatifs -- Jean-Louis Roy nous le rappelle -- le nombre d'étudiants de français diminue pour se situer aujourd'hui autour de 6 %, c'est-à-dire à 90 749 813.
L'Organisation internationale de la Francophonie, l'Agence universitaire de la Francophonie et TV5Monde agissent et contribuent concrètement par leurs programmes et leur coopération multilatérale à l'effort collectif en faveur du français, tout comme les Alliances françaises, les Centres culturels français et les lycées français présents partout dans le monde. Mais il faut aujourd'hui, explique Jean-Louis Roy, changer d'échelle et donner une réponse «décisive», à la hauteur des enjeux posés par la mondialisation culturelle si nous voulons que le français demeure une des grandes langues internationales, une langue d'influence.
Il faut en tout premier lieu, croit-il, se donner comme priorité des priorités l'éradication de l'illettrisme en Afrique. Il dénonce, avec raison, comme proprement scandaleux le fait que, dans plusieurs pays africains francophones, en plein XXIe siècle, une majorité d'enfants n'iront pas à l'école une seule journée de leur vie. La seconde priorité d'action concerne la création d'un espace culturel commun à la Francophonie associant les pouvoirs publics, les créateurs, les dirigeants d'entreprise, les Organisations internationales non gouvernementales. Si ce marché commun ne voit pas le jour, les francophones devront renoncer à occuper une place importante dans le nouvel environnement qui se crée sous nos yeux.
Il manque, à mon avis, une troisième priorité qui n'est pas abordée dans ce livre, et c'est celle du français et du multilinguisme en général dans les organisations internationales. Que ce soit dans les institutions européennes, africaines ou dans le système des Nations unies, malgré les principes proclamés, les textes, normes et règlements, les langues autres que l'anglais sont en repli. Des actions ont été entreprises, mais, là encore, la nature du problème nécessite un véritable sursaut de la part de la Francophonie et des autres aires linguistiques.
Les chefs d'État et de gouvernement ayant le français en partage se réunissent en Sommet à Québec à la mi-octobre: la route est toute tracée. À eux de décider de la suivre ou non. Souhaitons qu'ils ne nous déçoivent pas, car les conséquences de l'immobilisme de la Francophonie seraient désastreuses pour l'avenir du français.
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Louise Beaudoin est chercheuse invitée au CERIUM et coordonnatrice du Réseau francophonie


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