Québec -- Même si la francisation des immigrants demeure un objectif du gouvernement du Québec, ministères et organismes publics désignent systématiquement comme anglophones une majorité de nouveaux arrivants allophones, dont plusieurs ont pourtant une certaine connaissance du français. À ce titre, ces immigrants obtiendront, leur vie durant, que l'anglais soit la langue dans laquelle l'État québécois communiquera avec eux et leur fournira des services.
Selon les informations obtenues par Le Devoir, jusqu'aux trois quarts des immigrants allophones qui s'établissent dans la région de Montréal demandent aux ministères et aux organismes publics auxquels ils ont affaire de se faire servir en anglais, convaincus qu'ils sont que la province de Québec est un territoire bilingue. Les fonctionnaires n'ont d'autre choix que d'obtempérer; ils peuvent faire l'objet d'une réprimande s'ils ne se plient pas à la politique linguistique de l'administration publique.
C'est le cas notamment à la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ) et à la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) qui constituent des passages obligés pour les immigrants dès leur arrivée.
La RAMQ a confirmé qu'une majorité de nouveaux arrivants allophones se font servir en anglais par les agents de l'organisme. «Effectivement, les allophones, plus souvent qu'autrement, ils parlent anglais», a indiqué le porte-parole de l'organisme, Marc Lortie.
Dès les premiers contacts d'une personne avec l'organisme, un «code de langue» lui est automatiquement attribué. Après le «bonjour» d'usage lancé par le fonctionnaire, toute personne qui s'adresse en anglais au préposé se verra décerner le code de langue qui stipule que toute communication avec cette personne se fera désormais en anglais. C'est donc le «client» qui choisit dans quelle langue -- le français ou l'anglais --, il sera servi par l'État.
À la RAMQ, on ne lésine pas avec ce «droit» d'être servi en anglais. Dans une note de service datée du mois de novembre, la direction de l'organisme réitère l'importance de servir en anglais toute personne qui le demande et signale qu'elle veut être tenue au courant de tout incident où un client qui souhaite être servi en anglais le serait malencontreusement en français.
La situation est similaire à la SAAQ où un code de langue est aussi octroyé à tout client. Il est strictement interdit aux employés de la SAAQ de modifier un code anglais même s'ils constatent qu'une personne peut bien s'exprimer dans la langue officielle. Seul le client peut demander un code français.
La carte d'assurance maladie, le permis de conduire et le certificat d'immatriculation sont rédigés en français, mais toute la correspondance relative à leur renouvellement ainsi que tout document d'information sont disponibles en anglais.
Typiquement, le nouvel arrivant allophone obtiendra un bail en anglais de la Régie du logement. En tant qu'organisme quasi judiciaire, la Régie du logement, à l'instar des cours de justice, est bilingue. L'allophone pourra aussi se faire servir en anglais par le ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale. Enfin, si certains de ses enfants naissent en sol québécois, ils se verront donner un «birth certificate» du Directeur de l'État civil.
En revanche, à leur arrivée à Montréal, les nouveaux arrivants sont accueillis en français par des représentants du ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles. Les fonctionnaires insistent beaucoup sur le caractère français du Québec, a souligné le porte-parole du ministère, Claude Fradette. On communique avec les nouveaux arrivants dans leur langue également, s'ils ne comprennent pas le français. On évite de passer par l'anglais pour s'adresser aux immigrants allophones. Par la suite, dans les deux ou trois semaines qui suivent, c'est en français qu'auront lieu les séances d'information sur la réalité québécoise. M. Fradette s'est montré quelque peu surpris des pratiques de la RAMQ et de la SAAQ en matière linguistique.
Selon Stephan Reichold, de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes, le Québec est perçu comme une terre bilingue par les immigrants qui arrivent à Montréal. «Pour les immigrants d'Europe, c'est excitant un environnement bilingue, c'est très valorisant», a souligné M. Reichold, qui est lui-même un immigrant d'origine allemande mais francophone. À cause de son nom, il lui est déjà arrivé de recevoir du gouvernement du Québec de la correspondance en anglais.
M. Reichold reconnaît les efforts que le ministère de l'Immigration déploie pour sensibiliser les immigrants sélectionnés au fait que le français est la langue officielle au Québec. «C'est clairement dit et redit. Mais une fois qu'ils arrivent ici, on est en Amérique du Nord, au Canada; l'environnement, c'est anglais», a-t-il fait remarquer.
Pour Guy Dumas, sous-ministre associé au Secrétariat de la politique linguistique, c'est pratique courante pour les ministères et organismes publics de servir ceux qui le désirent en anglais, et ce, quels que soient les gouvernements qui se sont succédé. En 1996, Louise Beaudoin, alors ministre responsable de la Charte de la langue française, a fait adopter la Politique gouvernementale relative à l'emploi et à la qualité de la langue française. Le gouvernement cherchait ainsi à renforcer le français en interdisant, notamment, les communications gouvernementales bilingues qui s'étaient multipliées. Depuis, chaque ministère et organisme étatique s'est doté d'une politique linguistique. Les communications «dans une langue autre que le français», selon la formule utilisée dans la Charte de la langue française, ne seraient permises qu'avec des personnes physiques qui s'expriment en ces autres langues. Dans les faits, le terme «autre langue» est un euphémisme pour désigner l'anglais.
«C'est sûr qu'il y a une offre de service en anglais à ceux qui le demandent dans la mesure du possible», a signalé Guy Dumas. Le gouvernement n'y est pas obligé, mais il peut le faire. Dans la pratique, il le fait. «La pratique, c'est d'essayer de servir le client le mieux possible», a-t-il dit. «La tendance, par politesse, par souci de bien servir la clientèle, pour un fonctionnaire qui maîtrise un peu l'anglais, c'est d'essayer de se débrouiller pour rendre le service.»
À l'heure actuelle, le gouvernement se targue du fait que 58 % des nouveaux immigrants connaissent le français. Mais, comme l'a démontré le démographe Michel Paillé, 38 % des immigrants récents parlent et le français et l'anglais; il en découle que 55 % des immigrants peuvent s'exprimer au moins en anglais à leur arrivée au Québec. Le quart des nouveaux arrivants ne parlent ni l'anglais ni le français.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé