Aussitôt évoquée, aussitôt larguée. La perspective qu'un gouvernement conservateur majoritaire rouvrira la Constitution canadienne pour y faire adhérer le Québec a été tuée dans l'oeuf hier, autant à Québec qu'à Ottawa.
Ottawa -- On ne saura peut-être jamais si la sortie du ministre fédéral Jean-Pierre Blackburn, selon laquelle un gouvernement conservateur majoritaire pourrait rouvrir la Constitution, relevait du ballon d'essai ou du dérapage, mais il n'a fallu que 24 heures pour que les conservateurs referment cette porte à peine ouverte. Faire rentrer le Québec dans la grande famille canadienne? Le fruit, dit-on maintenant à Ottawa comme à Québec, n'est tout simplement «pas mûr».
À Québec, le premier ministre Jean Charest ainsi que le ministre responsable des Affaires intergouvernementales canadiennes, Benoît Pelletier, n'ont montré guère d'enthousiasme devant la perspective d'amender la Constitution canadienne. «Allez demander à M. Harper ce qu'il en pense», a lancé M. Charest à l'entrée du conseil des ministres. Si une telle démarche devait se faire, a-t-il ajouté à l'Assemblée nationale, «je doute beaucoup que ce soit fait par un ministre du gouvernement dans une entrevue qu'il donne à un journal, aussi important soit-il». M. Pelletier a renchéri. «Les Québécois n'insistent pas comme tel pour une réouverture du dossier constitutionnel pour différentes raisons. Un de ces raisons est que, comme tout le monde le sait, c'est une boîte de Pandore.»
La commotion constitutionnelle a été déclenchée par les déclarations du ministre conservateur du Travail, le Québécois Jean-Pierre Blackburn. En entrevue avec le Globe and Mail, M. Blackburn a déclaré que «la reconnaissance de la nation québécoise à l'intérieur du Canada nous donne à penser qu'on peut mettre de la chair autour de tout cela et qu'un gouvernement majoritaire est beaucoup plus en mesure de faire un certain nombre de choses tout en étant respectueux à l'égard de l'ensemble des provinces».
Blackburn recule
Les troupes conservatrices ont vite fait de rappeler leur collègue à l'ordre. «Le gouvernement n'a pas d'appétit pour procéder à des amendements constitutionnels», a lancé le ministre et lieutenant du PC pour le Québec, Lawrence Cannon. «M. Blackburn a émis une opinion personnelle. M. Blackburn a exprimé une volonté. Mais M. Blackburn s'est rallié en disant effectivement qu'il n'y aura pas d'ouverture de la Constitution à cette étape-ci.»
Même M. Blackburn a rebroussé chemin. «Il faut qu'il y ait une volonté des provinces, il faut que les circonstances s'y prêtent pour procéder dans cette voie. Actuellement, non, je pense que tout le monde peut reconnaître que le fruit n'est pas mûr», a-t-il dit. Le ministre du Saguenay n'en continue pas moins de croire que «ce serait une chose qu'on pourrait souhaiter».
Dumont et Marois déçus
Les chefs des deux partis d'opposition à Québec ont été déçus par les réactions de Jean Charest. Mario Dumont a trouvé «surprenant, frappant, atterrant» que le premier ministre et son ministre se fassent «les éteignoirs» de la proposition lancée par M. Blackburn. «On les a entendus l'un et l'autre nous dire: "Oui, le fruit n'est pas mûr." On a l'impression que dès que le soleil sort, c'est eux qui vont mettre le fruit à l'ombre. Et un fruit à l'ombre, il finit par pourrir avant de mûrir.»
De son côté, la chef du Parti québécois, Pauline Marois, trouve «déplorable» la réponse du gouvernement québécois. «Ça nous désole qu'un gouvernement du Québec ne semble pas vouloir reprendre la balle au bond. Au contraire, justement, en donnant du crédit à cette proposition-là, déjà, il engagerait le Québec vers une démarche pour plus de moyens et plus de pouvoirs», a-t-elle livré au cours d'un point de presse.
Mais à Ottawa, les critiques visaient M. Blackburn lui-même. Il a été accusé d'hypocrisie par le député néo-démocrate Thomas Mulcair. Celui-ci a rappelé que mardi, alors que le ministre exprimait ses souhaits au Globe and Mail, il votait contre une motion du Bloc québécois demandant que la loi 101 soit aussi respectée au Québec par les institutions fédérales et les entreprises relevant des compétences fédérales (banques, compagnies aériennes, etc.). Seuls les députés du Bloc et ceux du NPD ont voté en faveur de cette motion.
En terrain connu, le chef libéral Stéphane Dion s'est attaqué à ce qu'il considère comme de l'improvisation dangereuse de la part du gouvernement conservateur. «Même erreur que du temps de Mulroney! On fait des promesses pour se rendre populaire à court terme, au risque de ne pas savoir quoi livrer et de ne pas créer un consensus.» M. Dion déplore que depuis son fameux discours de Québec, en décembre 2005, Stephen Harper n'ait pas précisé «quels pouvoirs fédéraux il veut transmettre aux provinces, et particulièrement à la province de Québec mais peut-être pas aux autres».
Pourtant, lui ont fait remarquer les journalistes, ce discours de Québec explique en grande partie le succès électoral de M. Harper dans la province. N'y a-t-il pas une leçon à tirer pour le Parti libéral? «Je n'ai pas tellement entendu de gens dire que leur priorité était de rouvrir la Constitution.»
Le chef bloquiste Gilles Duceppe voit dans la rétractation conservatrice la preuve que la réforme constitutionnelle dont rêvent plusieurs Québécois nationalistes ne viendra jamais. «Après 141 ans de fédération canadienne, le fruit n'est pas mûr? Il y a un problème. [...] Ce n'est pas le fruit qui n'est pas mûr, c'est l'arbre qui est pourri.»
Bourde ou ballon d'essai?
Blackburn évoque une nouvelle ronde constitutionnelle mais doit se rétracter
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