Les entrepreneurs étrangers qui voudront intégrer l’écosystème « start-up » du Québec grâce à un nouveau programme d’immigration offert à partir de jeudi pourront le faire en n’ayant aucune connaissance du français, a constaté Le Devoir.
Dans le cadre de sa réforme de la Loi sur l’immigration, le gouvernement du Québec a révisé le « programme des entrepreneurs » afin de faciliter l’accueil des entrepreneurs étrangers qui souhaitent s’établir dans la province pour y établir le siège social de leur compagnie ou créer une filiale québécoise de leur entreprise.
L’un des volets de ce programme réformé, qui entre en vigueur jeudi, permet aux entrepreneurs étrangers d’obtenir ce que les acteurs du milieu surnomment le « visa start-up ». Pour ce faire, ils doivent faire accepter leur projet d’affaires par un accélérateur, un incubateur ou un centre d’entrepreneuriat universitaire québécois.
Les candidats sélectionnés peuvent s’installer au Québec, mais ils doivent ensuite poursuivre leurs démarches auprès du gouvernement du Canada pour obtenir leur résidence permanente.
Pour être admissibles au volet 1 du programme, les entrepreneurs étrangers doivent obtenir un minimum de 41 points (sur une possibilité de 85) attribués en fonction de différents critères de sélection. Or, un candidat âgé de 18 à 45 ans (10 points) ayant un diplôme d’études secondaires (2 points) et ayant un projet d’affaires validé — une exigence du programme — (30 points) obtiendrait par exemple la note de passage (42 points) sans connaître un seul mot de français.
Accompagnement offert
Interpellé au sujet de la sélection d’entrepreneurs potentiellement non francophones, le cabinet du ministre de l’Immigration, David Heurtel, nous a dirigé vers le ministère. La porte-parole Émilie Vézina a indiqué par courriel que « le [ministère de l’Immigration] contribuera au soutien et à l’accompagnement des entrepreneurs afin de maximiser leurs chances de réussite et leur établissement durable, en français, au Québec ».
Elle a également précisé qu’un maximum de 25 entrepreneurs associés à un accélérateur, à un incubateur ou à un centre universitaire québécois pourront être sélectionnés pour la période du 15 août au 31 mars. « Afin de favoriser la sélection de candidats francophones, les entrepreneurs démontrant une connaissance du français de niveau intermédiaire avancé peuvent présenter une demande en tout temps et sont exclus du nombre maximal de demandes », a-t-elle ajouté.
Si on veut attirer les mêmes talents que Toronto ou Vancouver, on n’a pas le choix d'ouvrir la porte [aux anglophones]
— Richard Chénier
« On n’a pas le choix »
« Si on veut attirer les mêmes talents que Toronto ou Vancouver, on n’a pas le choix d’ouvrir la porte [aux anglophones] », affirme Richard Chénier, qui dirige le Centech, l’un des accélérateurs montréalais qui pourront bénéficier du programme d’immigration réformé.
« Je pense que naturellement, à cause de la réalité du Québec, ce sont surtout des francophones qui vont venir ici », ajoute-t-il du même souffle.
« Je crois qu’on veut avant tout attirer les meilleurs projets de start-upà Montréal, tout comme on attire les meilleures filiales de sociétés étrangères, les meilleurs talents et les meilleurs étudiants internationaux, pour créer de la richesse », soutient Cédric Tawil, de Montréal international, dont le mandat est d’attirer des entreprises en démarrage provenant de l’étranger grâce au nouveau visa.
Au-delà des considérations linguistiques, M. Chénier est surtout heureux de constater que le Québec se dote enfin d’un programme semblable à celui qui était offert dans le reste du Canada depuis déjà cinq ans.
« Il y avait un double discours. On disait qu’on voulait accueillir des start-up à fort potentiel ici au Québec, mais quand les entrepreneurs étrangers entraient dans la portion immigration, c’était très compliqué. Ça faisait fuir les entreprises en démarrage à fort potentiel. »
De nombreuses embûches
Le cofondateur de l’entreprise française Tadaima, Benjamin Cabut, sait bien de quelles embûches M. Chénier parle. Il est débarqué au Québec en août 2017 dans le but de créer une filiale de sa jeune entreprise à Montréal.
« À l’époque, la seule option possible, c’était le visa d’affaires, raconte-t-il. Quand tu es devant le douanier et que tu as un permis qui ne correspond pas exactement à ce que tu vas faire, c’est toujours un peu délicat. »
Au bout d’un certain temps, il a dû se rendre à l’évidence et mettre un terme à l’aventure montréalaise de Tadaima. « On ne peut pas dire que l’échec de Tadaima est entièrement lié à l’immigration, explique l’entrepreneur. Mais ç’a été un frein sur pas mal de points, c’est indéniable. »
Moins de places disponibles ?
La réforme du programme d’immigration pour entrepreneurs devrait en principe accroître le nombre d’entreprises en démarrage provenant de l’étranger dans les accélérateurs et les incubateurs québécois. Cette compétition étrangère nuira-t-elle aux jeunes entreprises québécoises qui tentent elles aussi d’obtenir une place dans l’écosystème ?
« Une fois que les start-up viennent à Montréal, ça devient des start-upmontréalaises, répond Cédric Tawil. Si on sait que ces entreprises-là, dans deux ou trois ans, vont avoir une forte croissance et devenir des compagnies de 500 employés, on ne parlera plus de ce genre de problème. Ça va devenir des fleurons montréalais. »