Comme vous le savez sans doute, la société canadienne Barrick Gold a déposé une poursuite de six millions de dollars contre Alain Deneault et ses collaborateurs Delphine Abadie et Wiliam Sacher, auteurs du livre Noir Canada - Pillage, corruption et criminalité en Afrique, ainsi que les Éditions Écosociété.
Ils veulent non seulement faire retirer l'ouvrage des librairies mais aussi interdire toute communication verbale et écrite des auteurs du livre répétant ses allégations. Comme vous le savez également, Barrick Gold est la plus grosse société aurifère au monde. Selon les avocats de la compagnie, le livre porterait atteinte à sa réputation et son contenu serait assimilable à des gestes de diffamation.
Pourtant, nous ne parlons pas ici d'un petit brûlot rédigé par quelques affamés de scandales. Plusieurs organisations ont déjà apporté leur soutien à la cause morale des auteurs de Noir Canada et des Éditions Écosociété. Parmi celles-ci, l'Union des écrivains québécois, la FTQ et le Congrès du travail du Canada.
Liberté d'expression
Le problème que nous voulons porter à votre attention se résume à deux grands principes moraux et juridiques qui s'affrontent: d'une part, les protections des individus et des entreprises contre la diffamation; d'autre part, le droit à la liberté d'expression. Il semble évident que la sensibilité à la diffamation augmente à une allure étonnante de nos jours. Or, si les protections juridiques contre les atteintes à nos droits fondamentaux sont indispensables, elles doivent valoir pour tous.
S'il faut protéger le droit, il faut aussi protéger le droit à la liberté d'expression des auteurs de Noir Canada contre toute forme d'intimidation. Si la contestation ou la dénonciation deviennent impossibles sous peine de poursuites, dans quel État de droit vivons-nous? Nos sociétés ont besoin de la vigilance des intellectuels, auteurs, chercheurs et journalistes. Si un journaliste avait été empêché dans son travail pour des motifs analogues, nous aurions dénoncé avec raison une atteinte au droit à l'information.
Combat financier
S'agit-il d'un dilemme cornélien entre liberté des uns et protection des autres? Nous ne le pensons pas. En premier lieu, les allégations réunies dans Noir Canada proviennent de différentes sources, dont des organisations humanitaires reconnues comme Human Rights Watch. Si la poursuite intentée par Barrick Gold était fondée, faudrait-il aussi autoriser cette société à poursuivre toutes les sources du livre? Cela semble évidemment absurde.
En second lieu, étant donné l'importance sur les marchés boursiers d'une multinationale comme Barrick Gold, quel véritable mal peut-elle avoir à défendre son propre point de vue sur la place publique en réponse à celui des auteurs de Noir Canada? Il est étonnant qu'une entreprise si soucieuse de son image ait recours à des méthodes qui ne peuvent que nuire à sa réputation de transparence.
Combat d'argent
Enfin, dans ce combat juridique, qui sera en réalité un combat d'argent, les Éditions Écosociété ne sont pas à armes égales devant l'immensité des moyens mis à la disposition des avocats de la multinationale. Il est donc dans l'intérêt de tous que cessent ces poursuites qui ressemblent beaucoup aux fameuses poursuites-bâillons, ou SLAPP, contre lesquelles vous vous proposiez fort judicieusement d'intervenir il y a quelque temps.
La liberté d'expression est un gain trop fragile de nos sociétés contemporaines pour la voir remettre en cause par des intérêts commerciaux. Voilà pourquoi nous vous demandons d'intervenir en faveur des auteurs de Noir Canada et d'oeuvrer à de nouveaux cadres juridiques où des situations comme celle-ci seraient encadrées de manière beaucoup plus raisonnable pour le bon fonctionnement de la société civile.
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