Québec prévoit injecter 3 milliards $ au cours des cinq prochaines années pour mieux lutter contre la pauvreté, en augmentant l’aide financière versée aux plus démunis de la société, mais surtout à certains d’entre eux en particulier.
Ce sont les personnes inaptes au travail qui sortent grandes gagnantes de la réforme tant attendue de l’aide sociale annoncée dimanche. D’ici 2023, elles verront leur prestation annuelle faire un bond de 12 749 $ à 18 029 $, pouvant ainsi au moins espérer ne plus vivre bien en dessous du seuil de la pauvreté. Québec consentira 1,2 milliard $ à ces quelque 84 000 personnes, qui auront droit dorénavant à un revenu de base assuré (ou revenu minimum garanti), distinct du programme d’aide sociale.
La loi de l’aide sociale devra d’ailleurs être modifiée, dès la prochaine session, pour lever les contraintes actuelles à la création de ce revenu de base. Par exemple, elles ne seront pas pénalisées si elles reçoivent un héritage ou une autre forme de revenu, contrairement aux assistés sociaux.
Les personnes jugées aptes au travail seront moins gâtées. Elles continueront de fonctionner quant à elles selon le régime actuel d’aide sociale, avec quand même des primes bonifiées de formation et de recherche d’emploi.
On croit ainsi possible de sortir de la pauvreté quelque 100 000 personnes démunies, d’ici l’échéance de 2023.
Points saillants
- Enveloppe totale supplémentaire 2017-2023 pour les plus démunis: 3 milliards de dollars.
- Objectif: sortir quelque 100 000 personnes démunies de la pauvreté, d’ici 2023.
- En cinq ans, la prestation annuelle des personnes inaptes au travail passera de 12 749 $ à 18 029 $.
- D’ici 2021, le revenu disponible annuel des prestataires jugés aptes au travail passera de 9389 $ à 9929 $.
Telles sont les grandes lignes de la politique rendue publique dimanche par le premier ministre Philippe Couillard et le ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, François Blais.
Sitôt connu, le plan d’action a été aussitôt dénoncé par les groupes de défense des démunis, convaincus que Québec manie une fois de plus la carotte et le bâton, cherchant à créer deux classes de pauvres : ceux qui ne peuvent pas travailler et qui sont récompensés et les autres toujours pénalisés.
Le document, qui cumule 43 mesures et s’étend sur une centaine de pages, s’intitule « Plan d’action gouvernemental pour l’inclusion économique et la participation sociale 2017-2023 » et vise surtout les personnes seules.
Le Québec compte 802 377 personnes vivant actuellement sous le seuil de la pauvreté, fixé à 18 000 $ par an, pour une personne seule.
Le nombre de prestataires d’aide sociale est en baisse constante et se situe à l’heure actuelle à 419 527 personnes, ayant droit à une prestation mensuelle de base de 628 $.
Le plan d’action annoncé dimanche ne change rien à la controversée loi 70 adoptée l’an dernier. Elle prévoyait déjà diverses primes pour les prestataires acceptant de s’inscrire à un parcours d’emploi, mais incluait aussi des pénalités financières aux nouveaux prestataires qui refuseront toute initiative en ce sens. Leur prestation de base pourrait être amputée.
Bonifications au compte-gouttes
Québec reconnaît dans son document que les prestations d’aide sociale ont été indexées annuellement, en général, mais « n’ont pas progressé au même rythme que le coût de la vie, entraînant un manque à gagner ».
Cela n’empêche pas Québec de bonifier les prestations des gens jugés aptes au travail au compte-gouttes. La prestation de base des personnes seules aptes au travail sera bonifiée de 15 $ par mois en 2018, puis de 10 $ additionnels, en 2019, 2020 et 2021. D’ici 2021, le revenu disponible annuel de ces prestataires passera de 9389 $ à 9929 $, soit un peu plus de la moitié du seuil de la pauvreté.
S’ils veulent augmenter leur revenu, « la meilleure façon pour eux, c’est d’aller vers l’emploi », pour sortir de la pauvreté, a convenu le ministre Blais, en conférence de presse, en estimant avoir privilégié les meilleures pratiques au monde en la matière.
En cette période de pénurie de main-d’œuvre, le programme Objectif emploi, qui offre aux prestataires divers services facilitant la formation et l’accès au marché du travail, sera augmenté graduellement d’environ 7 millions par année au cours des 5 prochaines années.
Au total, en cinq ans, Québec prévoit injecter 580 millions $ supplémentaires pour la bonification des prestations aux gens aptes au travail et du bouquet de mesures associées à Objectif Emploi.
Questionnés à savoir si le revenu de base assuré à une catégorie de personnes démunies allait dans un deuxième temps être étendu à tous, le ministre Blais et le premier ministre Couillard sont demeurés vagues. Il ne semble y avoir aucun plan en ce sens dans un avenir prévisible.
Bons et mauvais pauvres
Le Collectif pour un Québec sans pauvreté était outré de l’approche préconisée par Québec. « Ceci n’est pas un plan de lutte contre la pauvreté », a jugé le porte-parole du collectif, Serge Petitclerc, mécontent de voir le gouvernement créer des « bons » et des « mauvais » pauvres.
« On veut en aider une partie [des pauvres], et on néglige les autres. C’est complètement inacceptable dans une société de droits », a renchéri Yann Tremblay-Marcotte, du Front commun des personnes assistées sociales, convaincu que le gouvernement, avec sa réforme, « creuse les inégalités » entre personnes aptes et inaptes, au lieu de les amoindrir.
« Rendez-vous manqué », a-t-il conclu.
À l’opposé, le ministre François Blais a indiqué qu’avec ce plan d’action il voulait voir le Québec faire partie des « nations industrialisées comptant le moins de personnes pauvres ».
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