Quand Monsieur est parti

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«On se crache dans les mains, et on recommence !»

Je viens de terminer la lecture de « Monsieur Parizeau. La plus haute autorité », un recueillement signé Victor-Lévy Beaulieu. C’est un beau livre, un très beau livre, extrêmement touchant. En plus, le commander permet d’encourager la maison d’édition Trois-Pistoles, qui envoyait au départ l’ouvrage en version limitée. J’ai personnellement reçu l’exemplaire numéroté 47 sur 266.

Quoi qu’il en soit, je ne vise pas ici à recenser l’ouvrage de monsieur Beaulieu, mais à faire comme lui, soit me livrer à un petit témoignage –très personnel– sur le décès de Monsieur, alors que l’année de sa disparition tire à sa fin.

J’étais à Montpellier le 1er juin. J’y ai passé l’après-midi en compagnie du philosophe Jean-Claude Michéa, l’un des intellectuels les plus intéressants de France, sur une terrasse ensoleillée, place de la Canourgue. Nous avions eu de longues et captivantes discussions sur la mondialisation, le socialisme, le libéralisme, le passé, l’avenir, la France et... le Québec. Il me disait avoir lu avec passion –et avec l’aide de Wikipédia!– mon livre « Le Souverainisme de province », et avait tout particulièrement été fixé sur Camille Laurin et Jacques Parizeau qui, disait-il, incarnaient l’universalisme par l’enracinement. Le soleil se couchant, j’ai commis l’erreur d’accompagner Jean-Claude à une gigantesque librairie de Montpellier, sachant que cette visite risquait d’heurter violemment mon portefeuille. Et pour cause !

La nuit tombée, mon cellulaire ne cessait de vibrer sur la table de nuit de ma chambre d’hôtel. Le décalage horaire y était pour quelque chose, on tentait de m’avertir du départ de Monsieur pour des cieux plus cléments. Je regardai mon cellulaire au petit matin, tombant ainsi sur ce SMS d'un ami militant : Parizeau est mort. Trois mots, simples et clairs, rendant ce réveil des plus ardus. Je n’étais pas un intime, et pourtant je ressentais la douleur d'un proche.

Ce matin coïncidait avec mon départ de Montpellier pour Paris. Après quelques échanges de messages avec un ami œuvrant à la radio où je collaborais régulièrement à l’époque, nous nous sommes entendus pour une participation téléphonique à l’émission. Malheureusement, le TGV aura eu raison de notre tentative de connexion à un océan de distance.

Arrivé à Paris, j’ai téléphoné à un vieux compagnon de Monsieur que je savais en deuil, ce cher Yves Michaud, non loin de la Place du Québec qu’il avait tant travaillé à créer. Je n’avais jamais eu l’occasion avant de discuter avec un Michaud dont le caractère truculent était si peu au rendez-vous, témoignant de sa peine profonde pour l’ami disparu.

Je soupais –dînais, dirait-on là-bas–le lendemain avec le premier ministre Bernard Landry à la célèbre Brasserie Lipp, lieu emblématique d’une époque révolue où St-Germain-des-Prés était le centre bouillonnant de Paris. Nous avons débuté la soirée par un apéritif au café Les Deux Magots, situé juste en face.

Le premier toast porté a bien entendu été un hommage bien senti à Monsieur. Au cours de cette même rencontre, je reçus un appel du responsable des pages Idées au Journal de Montréal/Québec, pour me solliciter afin que je rédige une chronique à la mémoire de Jacques Parizeau. Lui apprenant que j’étais en compagnie de monsieur Landry, il n’en fallait pas plus pour boucler une chronique de la part de l’ex-PM au sujet de son illustre prédécesseur. Mon interlocuteur m’a alors demandé un service qui s’est avéré beaucoup plus ardu que je ne l’aurais cru : m’assurer, connaissant les carences technologiques de monsieur Landry, que son texte puisse se rendre au Journal avant le lendemain matin. Il aura finalement fallu que je téléphone deux fois à monsieur Landry à son appartement parisien, le dernier appel dépassant le coup de minuit. Son épouse Chantal Renaud m’envoya finalement le fameux texte du premier ministre, axé sur l’impressionnante contribution de Jacques Parizeau à l’économie québécoise.

Ma chronique fut publiée le lendemain, le 4 juin, avec pour titre « Parizeau, la clarté sans complexe ». J'y rappelais des faits connus –et d’autres qui le sont moins- sur le parcours de Monsieur : son opposition initiale, sous René Lévesque, à ce que l’indépendance advienne autrement que par la voie électorale ; son opposition, une fois le principe référendaire accepté, à ce que celui-ci se scinde en deux exercices ; son départ fracassant lorsque le Parti québécois congédiera l’indépendance au profit d’une réforme du fédéralisme ; sa défense acharnée, en 1995, d’une question claire amenant une réponse l’étant également ; son appui, en 2005, à une révision du cadre stratégique devant mener à la souveraineté. L’héritage de Monsieur est bien entendu impossible à résumer en 500 mots, j’ai choisi d’axer mon texte sur la question nationale.

J’avouerai d’ailleurs, malgré toute mon admiration pour le constructeur de l’État et le grand révolutionnaire-tranquille qu’il fut, être bien davantage un « pariziste » irréductible sur la question de l’indépendance que sur des enjeux tels que le libre-échangisme mondialisard ou l’identité nationale, ayant trouvé Monsieur trop enthousiaste sur le premier et trop tiède sur la seconde.

En cette fin d’année 2015, qui a vu ce bâtisseur nous quitter, j’ai un regret fondamental : celui de ne pas avoir davantage connu Monsieur à titre personnel. Je l’aurai peut-être rencontré, au maximum, une vingtaine de fois.

Je me souviendrai d’ailleurs toujours d’une certaine réception du temps des fêtes à l’Île-des-Sœurs où, ayant à peine le temps de lui dire mon nom, il me répondit immédiatement : « Ah! Les jeunes bloquistes ! J’apprécie beaucoup ce que vous faites…». En 2010, Jacques Parizeau avait su reconnaître par un nom le président de l’aile-jeunesse du parti frère de celui qu’il ne dirigeait plus depuis cinq ans. C’est qu’il appliquait cette maxime de son ex-stratège, Jean Royer : l’information, c’est le nerf de la guerre.

Je me sens extrêmement choyé de côtoyer et d’entretenir des rapports amicaux avec ces pionniers, ces grands visionnaires de notre histoire. Mais je ne peux m’empêcher de penser au fait que je n’aurai jamais véritablement connu personnellement Jacques Parizeau. Je garderai néanmoins de lui trois livres et une photo, tous dédicacés, et une petite phrase… On se crache dans les mains, et on recommence !

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Simon-Pierre Savard-Tremblay179 articles

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Simon-Pierre Savard-Tremblay est sociologue de formation et enseigne dans cette discipline à l'Université Laval. Blogueur au Journal de Montréal et chroniqueur au journal La Vie agricole, à Radio VM et à CIBL, il est aussi président de Génération nationale, un organisme de réflexion sur l'État-nation. Il est l'auteur de Le souverainisme de province (Boréal, 2014) et de L'État succursale. La démission politique du Québec (VLB Éditeur, 2016).





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2 commentaires

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    17 décembre 2015

    SPST,
    Nous souhaitons lire ici tous vos billets du Journal, qui reçoit quand même quelques voix de l'opposition officielle au Québec. Quand on veut narguer le chef en l'accusant d'influer sur 40% de l'info, on oublie de rappeler que 60% sont aux mains fédéralisantes d'Un Canada Uni... Et comme vous avez grandi dans le giron des jeunes bloquistes, vous aimerez qu'on rappelle un autre petit trudeauisme récent aux Communes: Les Bloquistes qu'on empêche de parler dans la formation du comité spécial sur l'aide médicale à mourir s'opposaient... Les Libéraux ont voulu leur faire porter l'odieux du blocage en exigeant le consentement unanime alors que la procédure parlementaire permettait dès le départ de former le comité à moins que 25 députés s'y opposent!
    Les bloquistes ne sont que 10. Ont cessé de s'opposer. (Sur des questions aussi fondamentales, avec les délais qui sont requis, on ne voulait pas que ça ne se passe pas) (Luc Thériault, député)

  • Archives de Vigile Répondre

    16 décembre 2015

    Très beau texte véridique et aussi nostalgique du fait qu'il nous ait quitté trop tôt.