Un procès curieux. Un homme qui avait obtenu – comme beaucoup d’autres – que fût mentionné en marge du registre paroissial : « A renié son baptême », jugeant cette mention insuffisante, voulait que son nom fût carrément effacé du registre, afin que nulle trace ne demeurât de son entrée dans l’Église, ni de sa sortie. Le baptême n’aurait jamais eu lieu, les témoins n’auraient pas témoigné, le curé n’aurait pas administré le sacrement : prière, bénédiction, dialogue avec les parents, parrain et marraine, eau baptismale, onction du chrême, signature du registre… Bref, cet homme – bien qu’il dise avoir été croyant une partie de sa vie – n’aurait jamais appartenu à cette religion.
Il gagna en première instance. Le diocèse ayant fait appel, la cour, au motif que la mention du reniement suffisait, annula la décision.
Pourquoi demander l’effacement ? Renier ne suffisait pas, il fallait nier ce qui fut, annuler une réalité : la cérémonie qui s’est déroulée un jour, en un lieu, par le choix, certes non pas de l’enfant, mais de ses parents. Or le baptême chrétien a ceci d’original qu’il ne laisse pas de trace physique sur le corps : l’eau s’efface, l’huile aussi. Dans d’autres religions, il n’en va pas ainsi au moment de l’intégration religieuse de l’enfant : juif ou musulman, le garçon y laisse son prépuce ; dans certains pays musulmans, les filles tout ou partie de leur clitoris ; ailleurs, un tatouage, une marque quelconque. Pas seulement une page dans un registre.
Faudrait-il donc, en cas de reniement, apostasie ou quel que soit le nom qu’on donne à ce refus de la religion imposée, rendre à l’un son prépuce, à l’autre son clitoris, effacer le tatouage ? L’argument de l’Église est d’une logique implacable : ce serait falsifier un acte historique, entériner un faux. Évidemment, il y a des précédents : à la grande époque de l’URSS triomphante, les photos des dirigeants successivement modifiées, en des temps plus anciens la damnatio memoriae dans l’Empire romain ou en Égypte pharaonique.
Mais justement, pour conquérir pleine liberté n’est-il pas nécessaire de modifier l’histoire ? Affirmer pour chacun comme pour les peuples la maîtrise des choses, et du temps. Non pas seulement – pratique ancestrale – balayer sous le tapis ce qui nous gêne, enfermer les cadavres dans les armoires. Les tapis restent poussiéreux, les armoires puent. Non, vraiment effacer, anéantir, faire disparaître la mémoire par un acte de force qui disparaît aussi dans l’instant même. Méthode ordinateur : effacer le fichier jusque dans les méandres du disque dur.
Et pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Au lieu de la mention « divorce » sur l’état civil, il faudrait demander l’effacement du mariage (« Je ne suis plus le/la même »). Et puis, aucun de nous n’a demandé à naître, ni choisi ses parents : destin intolérable quand on y songe. Alors, pour mettre de la liberté là où elle ne fut jamais, réclamons la modification des registres d’état civil : je veux être fils/fille de personne ou seulement de l’un des deux, ou de quelqu’un de mon choix. Après tout, une mère peut bien disparaître de la vie de l’enfant une fois né, un géniteur être tenu dans l’ignorance de sa descendance, un autre se voir imposer un enfant qui n’est pas le sien, un fournisseur de sperme ou d’ovule être inexistant à l’état civil… Pourquoi, comme enfant cette fois, n’aurait-on pas le même droit de maîtriser son destin, la même liberté de se choisir et de se faire, d’abolir les liens imposés et les identités moisies ? L’avenir radieux…
« Oh le bon temps que ce siècle de fer !»
Qu’on me rende mon prépuce !
Olga Le Roux
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