Les avocats de Québecor, La Presse et Radio-Canada contestent une requête du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) qui vise, selon eux, à les «bâillonner», en prévision du procès de Nathalie Normandeau.
Les avocats de la défense, du DPCP, du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) et des médias avaient tous rendez-vous au palais de justice de Québec, lundi, pour débattre de la liberté de presse et d’une requête visant à interdire la publication de tout élément de preuve de l’enquête Serment sur les fuites à l’UPAC.
Pas moins de 60 personnes ont été interrogées jusqu’à présent par le BEI, dont l’enquête est toujours en cours. Les résultats de cette enquête pourraient alimenter la défense et influencer les procédures dans le dossier de Nathalie Normandeau, Marc-Yvan Côté et leurs quatre coaccusés, soupçonnés d’avoir participé à un système de financement politique occulte.
Me Pascal Grimard, du BEI, a reconnu le caractère «exceptionnel» de sa demande pour obtenir un «huis clos» systématique et une ordonnance de non-publication générale qui toucherait l’ensemble des médias au sujet du projet Serment, jusqu’en juin 2020. Il a cependant plaidé la «nécessité» de cette mesure au juge André Perreault en le sensibilisant aux effets de toute nouvelle fuite potentielle.
«Une fois que ça tombe dans le public, c’est irréversible. Il y a une possibilité que l’enquête en cours soit lourdement affectée. Ce n’est pas une enquête normale, c’est une enquête exceptionnelle qui commande également des mesures exceptionnelles», a-t-il fait valoir.
Une ordonnance qui va «dans tous les sens»
Les procureurs des médias ne l’entendent pas de cette façon et jugent que l’ordonnance de non-publication réclamée par le BEI ratisse beaucoup trop large et «va dans tous les sens».
«Ici, ce que (le BEI) vous demande, c’est du jamais-vu, c’est d’émettre une ordonnance globale quant à tout, une ordonnance tous azimuts, à l’aveugle, sans qu’on ait à vous démontrer au cas par cas que ça rencontre les critères reconnus par la jurisprudence de la Cour suprême. C’est une ordonnance qui va être illégale et qui porte atteinte à la liberté de presse», a exprimé Me François Fontaine, qui représente les intérêts de Québecor.
Ce dernier a fait valoir que les journalistes, qui reçoivent des informations de diverses façons et de différentes sources, s’exposeraient potentiellement sans le savoir à une forme d'outrage au tribunal en diffusant des informations qui recoupent l’enquête Serment, sans même savoir si elles ont être présentées en cour à huis clos.
«Je suis conscient que dans certains cas, c’est nécessaire d’avoir une ordonnance. Encore faut-il ce qu’on sache ce que ça vise. Il faut que l’ordonnance soit précise et qu’elle ait un contour pour que la personne assujettie puisse savoir ce qui peut être fait ou non», a observé Me Fontaine.
«C’est une tentative d’instrumentaliser le tribunal. On va mettre un grand parapluie là-dessus à l’avance et ça va régler le problème», a ironisé Me Christian Leblanc, qui représente Radio-Canada et La Presse.
Huit requêtes à trancher
Le juge André Perreault entendra une requête similaire, mardi, visant à interdire la publication d’éléments de preuve. Elle sera présentée cette fois par le DPCP. En tout, le magistrat devra trancher huit requêtes avant de présider le procès de Nathalie Normandeau, s’il finit par avoir lieu.
Rappelons que deux requêtes en arrêt des procédures sont toujours pendantes. La défense prévoit d'en déposer une troisième, éventuellement, et invoquer des délais déraisonnables en se basant sur l’arrêt Jordan de la Cour suprême. Parmi les autres requêtes, on a appris lundi que la Couronne avait déposé une requête en irrecevabilité d’une requête de l’avocat de Marc-Yvan Côté, lequel a répliqué avec une requête en irrecevabilité... de la requête en irrecevabilité.