«Quand Nicolas Sarkozy deviendra-t-il président?» Ce titre glané dans la presse française ne date pas de la campagne électorale qui a précédé l'élection de Nicolas Sarkozy. Il n'est pas non plus extrait d'une biographie portant sur son ascension à la présidence. On pouvait le lire tout récemment dans un grand magazine parisien. Or il exprime assez fidèlement ce que pensent les Français ordinaires de celui qui a pourtant été élu il y a dix mois au terme d'une élection chaudement disputée.
Il n'aura fallu que dix mois et des gaffes à répétition pour découvrir que le 6 mai dernier, la France n'a pas vraiment élu un président de la République mais tout autre chose. Les experts ne s'entendent pas tout à fait sur les qualificatifs. Il s'agirait d'un «président bling-bling», selon une partie de la presse française. Il faudrait plutôt parler d'un croisement entre «Napoléon et Coluche», selon le très sérieux correspondant parisien du non moins sérieux quotidien madrilène El País. L'éditorialiste du Nouvel Observateur, Jacques Julliard, estime quant à lui que les Français ont tout simplement élu un «sujet de conversation».
Autant de façons de dire que, sauf à de très rares moments et malgré ses promesses d'avoir «changé», Nicolas Sarkozy n'a pas donné l'impression d'avoir enfilé les habits présidentiels depuis son élection. On connaît les principales manifestations de cette «non-présidence»: étalage exhibitionniste de sa vie privée, utilisation frénétique des médias, familiarité constante et vulgarité occasionnelle, non-respect de la séparation des pouvoirs, effets d'annonce à répétition et interventionnisme permanent sur les sujets les plus anodins comme les plus graves.
Le résultat est simple: après toutes ces «ruptures», fruits des spin doctors sarkozystes, les Français ne savent plus trop qui ils ont élu. À force de se faire servir le mot «réforme» à toutes les sauces, ils ne savent plus vraiment ce qu'il signifie dans l'esprit de celui qui est censé diriger le pays pendant encore quatre ans.
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Les proches du président ont beau le nier, mais depuis la gifle qu'a représenté l'échec de la droite aux élections municipales, un changement de cap est en train de s'opérer. La nouvelle équipe chargée des communications à l'Élysée a pour mission de fabriquer à Nicolas Sarkozy une stature présidentielle.
Premier ingrédient: créer la rareté. Les proches de Nicolas Sarkozy ont compris qu'un président qui fait irruption dans le salon de ses concitoyens chaque fois qu'un enfant se fait mordre par un chien (cet exemple est véridique) ne pourra jamais être considéré comme un président et, surtout, ne pourra pas survivre cinq ans. On a donc limité les déplacements et les interventions. On s'arrange pour espacer les apparitions télévisées. Et on évite les discours-chocs aux effets médiatiques imprévisibles dont le président a le secret.
Deuxième ingrédient: changement de style. Tous les observateurs ont remarqué que Nicolas Sarkozy avait rangé sa Rolex et ses Ray Ban. On ne voit plus son téléphone cellulaire, qu'il tripotait comme un enragé, même devant le pape. À Londres, son épouse Carla Bruni a accepté de revêtir un manteau d'une sobriété qu'on ne lui connaissait pas et même de porter un affreux sac à main comme certaines Anglaises les aiment. On voit de plus en plus Nicolas Sarkozy respirer par le nez et parler de calme et de modération. Surtout, rester zen!
Troisième ingrédient: recentrer les interventions sur les questions de fond. Celles qui concernent normalement un président. On va beaucoup voir Nicolas Sarkozy intervenir sur les grandes questions internationales dans la période qui vient. Le prochain sommet de l'OTAN, la semaine prochaine, s'y prêtera à merveille. Adieu les sujets «porteurs» qui permettent d'ouvrir le journal télévisé et de faire la une des magazines people. Plus d'opérations de sauvetage pour aller chercher de pauvres humanitaires français prisonniers des geôles tchadiennes. Il y a bien trois semaines que le président n'a pas parlé du sort tragique d'Ingrid Betancourt, prisonnière des guérilleros colombiens. On l'a même vu parler d'un sujet aussi peu sexy que la Francophonie, un mot qu'il n'avait presque pas prononcé depuis son élection.
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Mais les recettes des spin doctors pourront-elles changer l'homme? C'est la question qu'on se pose depuis deux semaines.
Plusieurs en doutent. Lors de son premier discours sur la Francophonie, la semaine dernière, Nicolas Sarkozy n'a pas pu s'empêcher de sortir de son texte. Le naturel est alors revenu au galop. Le voilà qui s'est mis à tutoyer le très respecté Abdou Diouf, secrétaire général de la Francophonie, son aîné de plus de 20 ans. «Alors, mon cher Abdou... » La salle en était gênée. Après un discours plutôt équilibré lançant quelques défis à la Francophonie, il s'est mis à répéter comme à son habitude que «ça va bouger». «Ah! il va falloir s'habituer à ce que ça bouge!» Et Sarkozy de faire la leçon à une organisation qu'il connaît mal, lui reprochant sur le ton d'un préfet de discipline de ne pas sévir contre ses membres qui ne respectent pas la démocratie. Le président n'était visiblement pas au courant que l'OIF avait déjà suspendu le Togo et la Mauritanie pour de telles raisons.
«Bouger pour bouger»: telle est souvent la recette du président français lorsqu'il ne sait pas quoi dire. Sa retenue actuelle, pourvu qu'elle dure, devrait permettre de mettre un baume sur les plaies des derniers mois. Au moins, cette nouvelle attitude plus réservée permettra d'y voir plus clair et de parler enfin des véritables enjeux. Et ils ne sont pas minces au moment où la France affronte un ralentissement économique avec un déficit record.
Ça fait quand même dix mois de perdus, ou presque.
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crioux@ledevoir.com
Président: mode d'emploi
Il faudrait plutôt parler d'un croisement entre «Napoléon et Coluche»
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