Pourquoi pas le provincialisme?

L'idée fédérale

Je souhaite répondre à Virginie Proulx, qui a signé [«Small is Beautiful: plus que jamais»->21146], dans la page Idées du Devoir du 13 août dernier. Votre lettre d'opinion visant à démontrer la nécessité de la souveraineté du Québec à partir des principes d'Ernst Friedrich Schumacher (Small Is Beautiful, 1973) présente un argumentaire bien ficelé et particulièrement agréable à lire dans le cadre d'un débat souvent trop émotif et emporté. Du même souffle, bien que je sois fédéraliste, mon opinion se rapproche plus de la vôtre que de celle des plus radicaux des deux camps. Cependant, une réflexion parallèle m'amène à une conclusion sensiblement différente de ce que vous exposez.
En effet, vous partez du principe que la structure fédérale canadienne ne peut être réformée. Si je ne puis nier que les tentatives passées de résolution de la question ont été vaines, je me dois également de souligner que, dans tous les cas, les protagonistes de ces négociations se sont toujours basés sur le fait que le Québec seul voulait plus de pouvoirs et d'autonomie. De mon côté, j'ai le sentiment que si nous tirons de manière isolée sur la couverture, jamais nous n'en arriverons à une entente satisfaisante.
Comme vous le mentionnez dans votre article, dans l'idéal, chaque province canadienne serait un pays indépendant. Ceux-ci pourraient ensuite construire, à l'instar de l'Europe, une structure d'intégration politique et économique à partir de fondations plus saines. Cette situation a, hélas, bien peu de chances de se produire dans la réalité. Bref, nous semblons être face à une impasse, à laquelle certains proposent la souveraineté.
Néanmoins, vous mettez vous-même le doigt sur le principal problème de notre approche jusqu'à présent, peut-être de manière inconsciente. Vous posez que l'indépendance des provinces permettrait leur épanouissement «sans devoir incessamment revendiquer des droits ou de l'argent d'un ordre de gouvernement supérieur». Vous poursuivez en ajoutant qu'il «y a certainement dans le fédéralisme une perte évidente de pouvoir, d'argent, de liberté et de démocratie pour les citoyens».
Qu'en serait-il si nous cessions tout simplement, avec les autres provinces, de considérer le gouvernement fédéral comme un palier supérieur pour plutôt le voir comme étant subordonné aux États fédérés, disposant d'une légitimité découlant d'une volonté commune d'association, comme le voudrait un réel esprit fédéral? La perte de pouvoir, d'argent, de liberté et de démocratie dont vous parlez existe réellement, non pas dans le principe fédéral en lui-même, comme vous le laissez entendre, mais plutôt dans le modèle canadien actuel, conçu il y a près d'un siècle et demi pour une tout autre réalité.
Je développe depuis un certain temps cette idée de «provincialisme», qui consisterait à tenter de réunir toutes les provinces autour d'un principe central: le palier gouvernemental provincial devrait être à la base de la construction du Canada moderne. La décentralisation des pouvoirs ne doit pas se faire au seul profit du Québec, à plus forte raison lorsque l'on considère que l'élasticité de l'asymétrie a ses limites et qu'un trop grand déséquilibre entre les partenaires fédérés mènerait tôt ou tard à des crises profondes. Toutes les provinces doivent plutôt s'unir pour remettre à l'honneur l'esprit réel du fédéralisme: une union d'entités politiques consentantes se dotant d'institutions communes, mais n'étant pas inférieures à elles, bien au contraire.
Bien entendu, une telle ambition ne serait pas une mince affaire à traduire dans la réalité. Il existe toutefois des indices encourageants. Certaines provinces semblent de plus en plus prendre conscience qu'elles sont trop à l'étroit dans les pouvoirs qui leur sont conférés: l'Alberta et Terre-Neuve semblent notamment assister à un réveil des consciences provincialistes. La coopération interprovinciale semble également se renforcer alors que les premiers ministres se rencontrent fréquemment.
Un effort de renversement de perspective dans la conception du fédéralisme au Canada passerait par une réécriture approfondie de notre constitution, ce qui nous permettrait de mettre à jour un document devenu peu pertinent pour notre époque et n'ayant subsisté que par la force des désaccords et du statu quo. Ce serait un exercice certes exigeant, mais qui mériterait d'être tenté ne serait-ce que pour essayer d'établir une réforme dans une optique nouvelle et plus équitable.
Avant de nous tourner définitivement vers la souveraineté, je crois donc que nous aurions tout avantage à voir les problèmes du fédéralisme canadien d'un oeil nouveau et à tenter d'y apporter des solutions plus adaptées à la réalité moderne. D'ailleurs, le même esprit ne devrait-il pas présider à une certaine décentralisation au sein même du Québec? Avec le provincialisme, nous pourrions bénéficier du meilleur de «small is beautiful» et de «l'union fait la force».


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