Pour une école moins hétéronormative

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Il faut surtout refuser l'imposition des théories déconstructivistes aux enfants québécois par des militants déguisés en universitaires


Dans ses manuels, ses programmes et ses pratiques enseignantes, l’école québécoise continue de faire de l’hétérosexualité une norme, constate une sociologue. Difficile alors pour les élèves d’affirmer leur orientation sexuelle ou leur identité de genre lorsqu’on leur apprend essentiellement la bonne manière d’être une fille ou un garçon.


« L’éducation à la sexualité dessert la plupart des élèves. Elle met de côté les personnes LGBTQ, qui ne retrouvent pas leur réalité à l’école, et elle réduit les spectres des possibles pour les autres, qui se font dire comment se comporter en tant que fille ou garçon », note l’auteure et sociologue du genre Gabrielle Richard. Elle signe l’essai Hétéro, l’école ? Plaidoyer pour une éducation antioppressive à la sexualité, qui fera son entrée dans les librairies québécoises mardi.


En 160 pages, l’auteure explore la façon dont on parle de sexualité dans les écoles du Québec et en France, où elle vit depuis quatre ans. S’appuyant sur des études et ses propres recherches, elle démontre comment l’école véhicule des valeurs hétéronormatives. Et ce, principalement par l’entremise du programme d’éducation à la sexualité, qui reste très incomplet.


C’est dans le cadre de recherches sur l’homophobie, en rencontrant des groupes de jeunes dans les écoles et les cégeps du Québec, que la sociologue a constaté l’ignorance des élèves en la matière. « Ce qui m’a marquée, c’est quand une jeune fille de 17 ans a raconté qu’elle s’était découverte lesbienne depuis peu et qu’elle n’avait jamais entendu personne à l’école parler du fait que ça pouvait être une possibilité d’être autre chose qu’hétéro. »



Il nous faudrait une éducation à la sexualité pérenne, qui ne soit pas dépendante de l’actualité et des inquiétudes des parents




Gabrielle Richard, qui s’identifie comme lesbienne, n’en revenait pas. « C’était comme dans les années 1990, quand j’étais au secondaire. Voir qu’il n’y a eu aucune amélioration, qu’il demeure un silence pesant sur ces questions, ça m’a poussée à écrire ce livre. »


Si elle déplore la situation, elle ne s’étonne plus outre mesure, après plusieurs années de recherches. Que ce soit en France, au Québec ou dans d’autres sociétés occidentales, l’éducation à la sexualité se fait surtout dans une perspective sanitaire et préventive. On parle de puberté, de reproduction et des infections transmissibles sexuellement. Mais pratiquement rien sur le plaisir sexuel, la diversité des corps, le consentement, les préférences sexuelles ou les identités de genre.


À titre d’exemple, elle explique avoir analysé 17 000 pages de manuels scolaires québécois dans le cadre de sa maîtrise, en 2010. « Il n’y avait qu’une poignée de mentions de l’homosexualité. C’était soit pour dire [que les homosexuels] avaient été des victimes de l’Holocauste ou bien pour parler des données sur le suicide des gais. Pas très joyeux. »


Les élèves trans ou en questionnement sur leur genre retrouvent encore moins leurs expériences dans les contenus scolaires et, lorsque c’est le cas, leur situation est abordée comme un problème ou une pathologie.


Au Québec, le nouveau programme d’éducation à la sexualité de 2018 a au moins misé sur « un langage plus inclusif », mais il demeure imparfait, dit l’auteure. « On suggère de présenter la naissance comme résultant de la rencontre de l’ovule et du spermatozoïde [au lieu de l’homme et de la femme] », donne-t-elle en exemple. Mais lorsque la puberté est abordée, la « bicatégorisation » reprend le dessus. C’est-à-dire qu’on insiste sur l’existence « de deux sexes, de deux types de corps et de deux genres leur correspondant ».


Une façon de faire qui aurait pour effet de retarder les questionnements ou le coming out de certains élèves, tandis que d’autres refouleraient carrément leurs désirs et certains aspects de leur identité.


Débat de toujours


Mais, souligne Mme Richard, peut-on vraiment s’étonner de voir ces notions de la sexualité humaine passer à la trappe quand on voit le nombre d’heures qu’on y accorde annuellement, soit entre 5 et 15 heures au Québec et 3 heures en France ?


« Il nous faudrait une éducation à la sexualité pérenne, qui ne soit pas dépendante de l’actualité et des inquiétudes des parents », soutient-elle, rappelant à quel point cet enseignement a toujours été remis en question. « Ça a toujours été tabou, les parents ont peur qu’en parlant d’orientation sexuelle et d’identités de genre on sème la graine chez leur enfant comme quoi c’est possible de ne pas être hétérosexuel. »


La semaine dernière, le gouvernement ontarien de Doug Ford a d’ailleurs retardé l’enseignement de certaines notions, comme l’identité de genre, de plusieurs années dans la nouvelle version du programme d’éducation sexuelle.


« Le problème, c’est que plus on repousse ces discussions, plus on leur confère un caractère sensible et exceptionnel qui alimente les tabous », note Mme Richard.


Courage politique


La sociologue estime que les gouvernements manquent de volonté politique, en maintenant des programmes incomplets et en donnant des directives floues. Au Québec, les orientations sont minimes et on laisse le soin aux enseignants d’aborder la matière, alors qu’ils peinent déjà à boucler leur programme scolaire initial. « Difficile de savoir ce qui est enseigné et de quelle manière, et ce qu’en retiennent les élèves », écrit-elle.


À ses yeux, les réticences des parents représentent le principal frein à la mise en place d’une éducation sexuelle digne de ce nom. Et au lieu de vouloir « faire consensus auprès des parents », les gouvernements devraient se soucier d’offrir une éducation sexuelle qui « amènera l’ensemble des jeunes à se connaîtrent et à s’explorer sur le plan identitaire, à interagir avec les autres dans le respect et à apprendre à vivre en société ».


L’auteure aborde d’ailleurs dans son essai des pistes de solution, mettant en avant une « éducation à la sexualité positive, inclusive et anti-oppressive ». C’est-à-dire qui n’évoque pas la sexualité dans une perspective du risque, qui parle de la « pluralité d’identités et de configurations sexe-genre » et qui remet en question non pas ce qui est marginal, mais plutôt ce qui est considéré comme la norme. « Pourquoi l’hétérosexualité va-t-elle de soi ? On devrait se poser la question. »



Hétéro, l’école? Plaidoyer pour une éducation antioppressive à la sexualité


Gabrielle Richard, Éditions du remue-ménage, 2019, 168 pages





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