Le 13 janvier 2012, l’agence de notation Standard and Poor’s retirait à la France son triple A. Ce vendredi 8 novembre, voilà qu’elle dégrade notre note : nous passons du AA+ au AA. Quelles en seront les conséquences sur notre pays ?
La première conséquence sera un accroissement des taux que le gouvernement ainsi qu’un certain nombre d’entreprises privées vont payer quand il leur faudra emprunter. Mais la conséquence la plus directe d’une dégradation de note, c’est progressivement l’extension de cette situation. Un certain nombre d’entreprises publiques seront probablement dégradées dans les semaines à venir, ce qui accroîtra leur difficulté à se financer.
Pierre Moscovici a déploré les jugements de Standard and Poor’s, qu’il a qualifiés de « critiques et inexacts »…
Il est assez normal que le ministre des Finances proteste contre l’abaissement de la note de son pays par une agence de notation. Sans vouloir faire de la publicité à ces dernières, il faut quand même souligner que cet abaissement survient finalement assez tard (quasiment deux ans après le premier, sous Nicolas Sarkozy, le 13 janvier 2012) et que, d’une certaine manière, la logique économique aurait voulu que la note de la France soit abaissée à nouveau, à la fin de l’année dernière ou au début de cette année. Partant de ce principe, il n’y a dans cette dégradation rien de véritablement scandaleux. Évidemment, l’on peut toujours se demander si c’est aux agences de notation et au secteur privé de noter la dette des États souverains. C’est un véritable problème. Sauf que, dans la mesure où nous faisons commerce de ces dettes et où il existe un marché de ces dernières, il faut évidemment s’attendre à des notations sur ce même marché. On ne peut pas avoir à la fois le beurre du libéralisme et l’argent du beurre du refus de ces principes de notation.
Standard and Poor’s dit que cette notation n’affectera pas les banques françaises pour l’instant. Il semblerait donc que le gouvernement soit le seul visé par cette dégradation.
Elles ne vont pas être affectées « pour l’instant ». C’est parfaitement compréhensible dans la mesure où, évidemment, nous sommes en présence d’un avis qui est porté par Standard and Poor’s sur la dette souveraine française. Mais la prise en considération de la situation des banques françaises surviendra bien à un moment ou à un autre. Par conséquent, lorsque l’agence S&P dit ne juger pour l’instant que le gouvernement, elle a bien sûr raison, mais nous savons très bien que d’ici trois ou quatre mois, il y aura à nouveau un phénomène de dégradation des notes, et cette fois-ci sur les banques françaises.
Dans le monde, onze pays conservent leur triple A, dont huit en Europe. Quelle est aujourd’hui notre position par rapport à ces derniers, et que nous manque-t-il pour nous maintenir comme ils le font ?
Il ne s’agit pas de savoir ce qu’il nous manque. Très simplement, soit les pays concernés ont des dettes relativement faibles ; soit ils ont une bonne réputation (qu’elle soit justifiée ou non est un autre problème), comme l’Allemagne, dont l’ampleur de la dette souveraine diffère en réalité assez peu de la nôtre ; soit ce sont des pays qui font des efforts dans le cadre d’un libéralisme débridé, chose que les agences de notation apprécient généralement. Le problème est plutôt de savoir pourquoi S&P a décidé, aujourd’hui, de dégrader la note française. En réalité, nous voyons que cette agence ne fait que réagir – avec certes un peu de retard – à des problèmes bien connus et tout à fait indiscutables.
Comment expliquer la relative surprise, notamment des médias, à l’annonce de cette dégradation ?
On ne sait jamais quand une telle décision est prise, mais elle n’est pas du tout surprenante. Quand on connaît la situation française actuelle, l’on ne peut que s’attendre à ce que, à un moment ou à un autre, la dette souveraine française soit dégradée. Aucune surprise, aucun complot là-dessous. Mais pourquoi cela survient-il aujourd’hui ? Pourquoi la note n’a-t-elle pas été dégradée en septembre ou même au printemps dernier ? Là, en réalité, l’on peut dire que les agences de notation ont été relativement sympathiques et qu’elles ont même, d’une certaine manière, facilité la tâche du gouvernement ! En fait, les agences soutiennent François Hollande, bien entendu jusqu’à un certain point.
« Nous ne percevons pas de plan d’ensemble pour redéfinir les dépenses publiques afin de dégager un potentiel de croissance », a déclaré Standard & Poor’s. Le reproche est sans équivoque. Faut-il aller au bout du libéralisme affectionné par les agences ou retourner à un certain protectionnisme ?
Ni l’un ni l’autre. Premièrement, il faut comprendre que les agences de notation demandent aux gouvernements des choses contradictoires : elles veulent peu de dépenses publiques, mais elles veulent aussi une croissance relativement forte. C’est tout à fait compréhensible, car ces mêmes agences se situent du côté du prêteur, qui se demande quelles sont ses chances d’être remboursé de son argent et qui regarde évidemment quelle est la croissance d’un pays et se détermine en fonction de cette dernière. Là, il n’y a rien de bien étonnant. Deuxièmement : est-ce que le montant de la dette n’est pas trop élevé (là, il s’agit plutôt de l’endettement public, etc.) ? La meilleure solution pour retrouver de la croissance serait de sortir de la zone euro, ce que se garderont bien de nous dire les agences de notation. Non seulement nous retrouverions de la croissance, mais les recettes publiques augmentant, la réduction du déficit serait très rapide, alors qu’il va continuer à être important en 2014 et 2015. Ce qui est intéressant, c’est que toute la stratégie de François Hollande est prise à contre-pied. Va-t-il tenir compte de la décision de S&P ? Je ne le pense pas. Est-ce que cela ne doit pas nous amener à penser qu’il faudrait réellement agir en faveur de la croissance et qu’en réalité, une partie des problèmes de la France peut s’expliquer par ceux que nous avons au sein de la zone euro et par le taux de change de l’euro ? Il s’agit là d’une autre question, qui impliquerait d’autres réponses.
En tous les cas, la dégradation de la note de la dette française aura eu au moins l’immense avantage de nous ramener aux véritables questions, et peut-être un jour aux véritables réponses.
Pour retrouver la croissance, il faudrait sortir de la zone euro !
L'Euro n'a pas d'avenir : le cas de la France
Jacques Sapir142 articles
Jacques Sapir est un économiste français, il enseigne à l'EHESS-Paris et au Collège d'économie de Moscou (MSE-MGU). Spécialiste des problèmes de la transition en Russie, il est aussi un expert reconnu des problèmes financiers et commerciaux internationaux....
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Jacques Sapir est un économiste français, il enseigne à l'EHESS-Paris et au Collège d'économie de Moscou (MSE-MGU). Spécialiste des problèmes de la transition en Russie, il est aussi un expert reconnu des problèmes financiers et commerciaux internationaux.
Il est l'auteur de nombreux livres dont le plus récent est La Démondialisation (Paris, Le Seuil, 2011).
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