Ils ont milité pour «les vieux partis», mais Tania, Mauro et Vincent ont depuis décidé de «se donner Legault». À l’occasion du Conseil général de la CAQ, portrait de ceux qui, comme de plus en plus d’électeurs québécois, pensent que François Legault est «l’homme de la situation».
«On peut te traiter de bien des choses, mais sûrement pas d’être opportuniste.» C’est ce qu’un militant péquiste a écrit à Tania Longpré après que l’ancienne blogueuse du Journal ait décidé de quitter le PQ pour la CAQ, qui était à l’époque bonne troisième dans les intentions de vote. Un parmi les centaines de commentaires reçus, souvent désobligeants, qui la forceront à fermer sa page Facebook.Moins d’un an plus tard, la CAQ s’est hissée en première position dans les sondages. Après avoir été candidate pour le PQ dans une élection partielle en 2013, Tania n’exclut pas de retenter sa chance en politique active. Mais pour la CAQ cette fois-ci, évidemment.
«Je me suis toujours chicanée avec les militants du PQ. J’ai toujours eu des idées plus de centre-droit», plaisante-t-elle.
Reste que ce n’est pas de gaieté de cœur qu’elle a fait une croix sur son rêve d’adolescente et, par le fait même, sur celui de ses parents: faire du Québec... un pays!
«Ç’a été dur, mais j’en suis vraiment venue à la conclusion qu’il y avait des enjeux plus importants que la souveraineté. L’indépendance, c’est devenu une utopie.»
«Des vraies affaires», comme la défense de la loi 101, la laïcité, l’intégration des immigrants...
«En restant dans le Canada, ça devient encore plus important de défendre l’identité québécoise. La CAQ est maintenant le seul parti à Québec qui se préoccupe de ces enjeux-là», constate l’enseignante en francisation pour les nouveaux arrivants.
Ni souverainiste ni fédéraliste
Si elle n’est plus souverainiste, est-elle pour autant devenue fédéraliste? «Je suis nationaliste», s’entête-t-elle à répondre.
En se revendiquant nationaliste, est-ce dire que le parti de François Legault souffle «sur les braises de l’intolérance», comme l’a déjà prétendu le premier ministre Couillard?
«Être nationaliste, ça ne veut pas du tout dire ça. Être nationaliste, c’est aimer le Québec, défendre sa culture, son identité, ses valeurs. Ça n’a rien à voir avec l’extrême droite en Europe. Moi, mon chum est Syrien, ma mère est née en Italie.»
De libéral à caquiste
Mis à part leurs origines italiennes, Tania et Mauro n’ont pas grand-chose en commun.
Mauro a grandi dans une famille d’immigrants italiens à Saint-Léonard. Scolarisé avant l’adoption de la loi 101, il a appris l’anglais avant le français.
Comme bon nombre d'allophones à l’époque, ses parents étaient rouges, coûte que coûte. «Quand il y avait des élections, le lendemain, mon père se levait pendant le souper et il nous disait d’aller voter. On savait très bien ce que ça voulait dire. Il fallait qu’on vote libéral. C’était IMPENSABLE de voter pour le PQ», se souvient Mauro Barone.
C’est donc tout naturellement qu’il fera ses premiers pas en politique aux côtés des libéraux. Un parcours de militant qui le mènera jusqu’à Ottawa où il travaillera pour Jean Chrétien et Alfonso Gagliano. «J’étais jeune. Je pensais que j’étais là pour changer le monde.»
Puis, éclate le scandale des commandites. «J’étais tellement dégouté. Je me demandais comment ça pouvait être possible. Je ne voulais plus rien savoir de la politique. Je suis gêné de le dire, mais je n’ai pas voté pendant presque 10 ans.»
Entre temps, François Legault quitte le Parti québécois pour fonder son propre parti. Un politicien pour qui Mauro a toujours eu beaucoup de respect. «Quand il était ministre, j’ai toujours trouvé qu’il était intelligent. C’est quand même le fondateur d’Air Transat! Je me demandais ce qu’il pouvait bien faire avec les séparatistes.»
L’engagement de François Legault à ne pas tenir de référendum convaincra Mauro de s’impliquer à nouveau en politique. Il portera les couleurs de la CAQ dans Mille-Îles, à Laval, en 2018.
Serrer des mains, faire du porte-à-porte, faire sortir le vote... Un peu comme à l’époque où il était bénévole pour le Parti libéral.
Cette fois par contre, Mauro sait que ce sera un peu plus difficile. «Dans le temps, quand je faisais du pointage pour les libéraux, le jour de vote, dès qu’on voyait que quelqu’un avec un nom de famille italien ou haïtien était allé voter, on savait que c’était un vote de plus pour nous.»
«Le vote ethnique»
Une époque révolue, d’après Mauro, qui est persuadé que le CAQ saura rejoindre les allophones, comme les anglophones, en 2018.
«L’autre jour, j’étais dans un baptême. La moitié des gens qui étaient là était d’origine italienne, l’autre moitié venait du West Island. Tous les Italiens me disaient qu’ils ne voulaient plus rien savoir du Parti libéral et les anglophones me disaient que, si Legault s’engage à ne jamais faire la séparation, ils pourraient voter pour nous.»
Rien pour rassurer les libéraux qui observent d’un œil inquiet l’opération séduction de la CAQ chez cet électorat. Selon les derniers sondages, 20 % des anglophones ont l’intention de voter pour la CAQ à la prochaine élection.
«Chaque soir, j’écoute les nouvelles italiennes. Là-bas, la corruption est vraiment systémique. Aujourd’hui, quand j’écoute les nouvelles au Québec, je trouve qu’on commence à ressembler à l’Italie. Les libéraux nous ont fait reculer de 50 ans! Les francophones, les anglophones, les allophones, je pense que tout le monde est écœuré», peste le candidat caquiste.
La goutte de trop
Mauro ne sera pas le seul ancien libéral dans les rangs CAQ au prochain scrutin. Vincent Caron a lui aussi suivi le chemin inverse des ministres libéraux Dominique Anglade et Gaétan Barrette.
Attaché politique du député libéral de Portneuf, Michel Matte, jusqu’en avril dernier, il a été désigné, quelques mois plus tard, candidat de la CAQ dans cette même circonscription.
Pour lui, l’attentat à la mosquée de Québec a été la goutte de trop. «Je n’ai pas aimé la réaction de Philippe Couillard. Il aurait dû prendre la main tendue des partis d’opposition pour régler la question des accommodements raisonnables. Il n’a pas été capable d’unir les Québécois.»
Vincent pense que François Legault saura le faire. «Il parle autant aux anciens souverainistes qu’aux fédéralistes. Il met de côté les vieilles chicanes pour faire avancer le Québec», souligne celui qui est arrivé au Québec tout juste après le second référendum.
Le Emmanuel Macron québécois
En regardant ce qui se passe dans son pays natal, la France, Vincent fait le parallèle entre François Legault et le président français Emmanuel Macron, l’homme «qui a rassemblé la gauche et la droite.»
Alors, François Legault est-il le «Emmanuel Macron québécois»?
Physiquement, certainement pas. Et sur le plan des idées, la ressemblance n’est pas plus évidente. Comme Macron, l’ancien ministre péquiste réussit toutefois à s’entourer de gens aux parcours parfois contradictoires, comme Tania, Mauro et Vincent.
Mariage de raison ou de passion? Peu importe, pourvu que l’union dure jusqu’au 1er octobre 2018?