La politique, c'est avant tout des idées qui s'affrontent, qui font polémiques et qui suscitent la réflexion. Toutefois, il est parfois ahurissant de constater que certains enjeux et certaines politiques jouissent d'un faux-semblant de consensus les entourant, comme s'ils étaient immaculés, incontestables.
Ces véritables vaches sacrées politiques font l'objet d'une agressive défense médiatique dès que l'on songe à les remettre en question, prouvant bel et bien que les intérêts qui les défendent bénéficient d'une extraordinaire puissance et parviennent à censurer toute opposition crédible et envisageable.
La gestion de l'offre
Un brillant exemple de politique farouchement défendue médiatiquement, au point que tous savent très bien qu'il faut s'armer de courage pour la contester, est incarné par le système de gestion de l'offre en vigueur pour les agriculteurs canadiens.
Certes, il parvient à assurer un revenu stable aux agriculteurs du pays, un bienfait évident, mais le dogme l'entourant est largement amplifié et constamment remis de l'avant dans les médias, comme s'il s'agissait d'un dogme à ne jamais transgresser, plutôt qu'une politique comme une autre qui peut être débattue, revue et discutée autant que nécessaire.
Et c'est efficace: très peu de citoyens comprennent en quoi consiste exactement la gestion de l'offre, mais demandez-leur s'il faut l'abolir et ils vous répondront majoritairement que non (à 75%), puisqu'ils ont bien compris en lisant les journaux qu'ils ne devaient pas se prononcer contre le système.
Maxime Bernier a appris cette leçon à ses dépens. On peut aisément mettre sa défaite à la chefferie conservatrice sur le dos de sa farouche opposition à la gestion de l'offre. Une fois manifestée, sa position a pris le devant de la scène médiatique et fait polémique jusqu'à ce qu'il soit battu de justesse par des agriculteurs ayant pris leur carte du Parti conservateur du Canada expressément pour le voir perdre.
Le résultat a unanimement été salué comme le sauvetage des agriculteurs canadiens sans que le public parvienne à comprendre exactement ce qui avait été sauvé, comme à l'habitude.
Pourtant, si les citoyens savaient que certains souhaitent l'abolition de la gestion de l'offre, parce qu'elle fait gonfler les prix artificiellement pour les consommateurs et entraîne une certaine uniformité des produits en plus de contrevenir au principe de libre entreprise - Bernier a écrit un chapitre à ce sujet- peut-être seraient-ils plus nombreux à remettre en cause la position dominante. D'ailleurs, Maxime Bernier a été éjecté du cabinet fantôme conservateur dès que son chapitre est paru sur le web...
Peut-être aussi que les citoyens décideraient que les nombreux bienfaits de la politique, dont un revenu stable pour les agriculteurs locaux, sont plus importants que ses inconvénients; dans ce cas-ci, ce serait un choix éclairé et conscient plutôt que l'adoption aveugle d'un dogme irréfléchi.
Les commissions scolaires
Une autre institution bénéficiant d'une auréole de statu quo et de complaisance quasi unanime est la commission scolaire, l'intouchable pilier de l'éducation québécoise. Le porte-parole en la matière de la Coalition avenir Québec, Jean-François Roberge, a fait maintes fois connaître son désir d'abolir ces structures, qui servent, en quelque sorte, de supérieur aux écoles publiques pour les transformer en «centres de services aux écoles» et ainsi donner plus d'autonomie aux différents établissements. Expliquée ainsi, la proposition peut sembler tout à fait légitime et mériter réflexion.
En bonnes vaches sacrées, les commissions scolaires bénéficient d'une sympathie généralisée, sans raison ni logique.
Toutefois, en bonnes vaches sacrées, les commissions scolaires bénéficient d'une sympathie généralisée, sans raison ni logique, au point que leur abolition soit devenue une espèce d'épouvantail que l'on agite à la population pour leur faire miroiter l'apocalypse en éducation, sans expliquer pourquoi ni comment évidemment.
Autant le Parti libéral que le Parti Québécois s'en prennent constamment au parti en tête des sondages, espérant le discréditer aux yeux du public seulement sur la base de sa volonté de mettre la hache dans les commissions scolaires. La plupart du temps, le résultat y est: beaucoup de gens sont effarouchés par cette proposition, non pas parce qu'ils ont un avis réfléchi sur le sujet, mais bien parce qu'ils savent qu'ils ne «peuvent pas» l'appuyer, tellement elle est démonisée médiatiquement.
Sans prendre position sur le sujet, qui n'est clairement ni noir ni blanc, on peut facilement constater l'énorme pente à gravir pour les pourfendeurs des commissions scolaires, Jean-François Roberge le premier, tellement les défenseurs du statu quo travaillent fort pour que leur position demeure la seule à être bien vue publiquement.
Les seuils d'immigration
Vache sacrée parmi les vaches sacrées, les seuils d'immigration, bien que plutôt contestés dans la population, font l'objet d'une campagne de légitimation constante dans l'opinion publique autant par les médias eux-mêmes que par les acteurs politiques.
Pourtant, tous ou presque s'entendent pour dire que l'intégration des nouveaux arrivants est médiocre au Québec et que le modèle actuel produit la plupart du temps de la ghettoïsation massive à Montréal et une incapacité marquée à apprendre la langue commune, comme l'explique avec éloquence le rapport de la vérificatrice générale paru l'an dernier. Bref, le Québec a excédé sa capacité maximale d'intégration.
Malgré tout, on ne cesse de nous sortir la même bouillie: le vieillissement de la population et la pénurie de main-d'œuvre seraient tels qu'on ne pourrait faire autrement que d'accroître sans cesse l'immigration au Québec, argument que démantelait récemment Joseph Facal dans sa chronique du Journal de Montréal.
En renfort, on appelle aussi fréquemment les arguments émotionnels, outils fétiches des multiculturalistes pour culpabiliser les masses, dans ce grand effort de «moralisation de la politique» visant à déterminer le «bien» et le «mal».
En renfort, on appelle aussi fréquemment les arguments émotionnels, outils fétiches des multiculturalistes pour culpabiliser les masses, dans ce grand effort de «moralisation de la politique» visant à déterminer le «bien» et le «mal», pour faire comprendre à la population ce qu'ils ont le droit de penser. C'est là une extension plus intrusive que jamais du «politiquement correct» et, bien sûr, toute réduction de l'immigration se retrouve du mauvais côté, vouée à être démonisée comme une politique «d'intolérance», de «repli sur soi» ou encore de «peur de l'autre», vous connaissez le refrain.
Là où l'on constate la force de frappe brutale de la bien-pensance en immigration, c'est lorsqu'on s'aperçoit que même si 44% des Québécois se disent favorables à une baisse des seuils d'immigration, les partis courtisant l'électorat nationaliste mettent des gants blancs pour ne pas provoquer l'ire des élites multiculturalistes en la matière.
Le Parti Québécois refuse de baisser les seuils lui-même et préfère pelleter le problème dans la cour de la vérificatrice générale en lui donnant la responsabilité de définir les seuils. De son côté, la Coalition avenir Québec ose profaner la doxa en promettant de les baisser de 20%, mais insiste fermement sur la dimension temporaire de sa proposition pour éviter de se retrouver du «mauvais côté» du débat.
En somme, l'intimidation intellectuelle en politique québécoise touche plusieurs sujets, dont il est plus ou moins interdit de discuter sous peine de se faire lancer de la boue simplement pour avoir voulu soulever le débat.
Pour bénéficier d'une saine vie démocratique, les Québécois méritent qu'on les expose à tous les points de vue, afin qu'ils puissent sérieusement réfléchir aux enjeux plutôt que de se faire servir du prêt-à-penser, soigneusement orchestré par de puissants lobbies financiers et idéologiques. Pour le bien commun, les vaches sacrées doivent tomber et être jugées selon leur mérite, rien d'autre.